“La peste porcine africaine décime nos élevages”
La filière porcine en Casamance est dans une situation peu reluisante. Les nombreuses ruptures de viande et la cherté du prix au kilogramme illustrent cette situation. Dans cet entretien accordé à ‘’EnQuête’’, Jean-Jacques Rodriguez, chargé de la communication au sein de l’Association des éleveurs et charcutiers de Ziguinchor, estime que l’inexistence de vaccin contre la peste porcine africaine (PPA), l’insuffisance de porcheries modernes, et principalement l’absence d’unités de production d’aliments porcins, explique cet état de fait. Entretien.
Comment se porte la filière porcine dans la région de Ziguinchor ?
De manière générale, Ziguinchor était connue comme étant le bastion du porc dans le pays. Quand vous arrivez dans la région, vous voyez les porcs divaguer. Aujourd’hui, la situation est tout autre. La filière rencontre beaucoup de difficultés liées à l’approvisionnement en porcs, en aliments porcins et autres intrants, mais également pour garder nos porcs chez nous. La filière ne se porte pas bien. Le porc est devenu une denrée rare.
Vous vous êtes constitués en association. Peut-on avoir une idée précise du nombre d’acteurs qui s’investissent dans cette filière ?
Pour plusieurs raisons, nous n’avons pas une idée précise du nombre de personnes qui s’activent dans la filière. Bien que nous soyons regroupés en association régionale, il y a une manière bien de chez nous d’exploiter le porc. Beaucoup de gens ne veulent pas compter leurs porcs. Cela est peut-être lié aux croyances anciennes. Peu de gens vous diront combien ils disposent de têtes de porc, par exemple. La filière est encore traditionnelle. Beaucoup de personnes élèvent de manière traditionnelle, parce que le porc occupe une place importante dans l’organisation de cérémonies et de rituels traditionnels. Il a une dimension socioculturelle.
Mais au niveau de l’association, nous sommes plus d’une centaine de membres. Nous faisons de l’élevage moderne. Dans notre quête de modernité, nous prônons la non-divagation des bêtes et l’utilisation d’aliments appropriés, pas le ‘’ñaam mbaam’’. Les acteurs commencent à comprendre que l’avenir est dans l’élevage moderne.
Vous savez, il y a un frein à l’essor de la filière. Il s’agit de la peste porcine africaine (PPA). Jusqu’au moment où je vous parle, il n’y a pas de vaccin. Les acteurs sont conscients que laisser les bêtes divaguer signifie disposer de cent porcs aujourd’hui et se retrouver avec dix le lendemain. Cette peste peut décimer tout un troupeau de porcs, en un temps record.
Parlons-en ! En dehors de cette peste, y a-t-il d’autres contraintes qui gangrènent le développement de la filière ?
Oui, il existe d’autres difficultés. Les gens laissent divaguer les bêtes, parce que l’aliment porcin coûte cher. Il est spécifique. Le tourteau coûte cher. Son prix a doublé, en moins d’un an. La Sonacos, qui fournit la matière, n’en dispose presque pas. Le son aussi est difficile à trouver et coûte relativement cher. Le maïs est une denrée rare et n’est pas à la portée de toutes les bourses. La plupart des acteurs sont donc obligés de chercher et de créer leurs propres aliments. Il s’agit là d'une véritable contrainte.
Cette épine explique-t-elle, en partie, le prix élevé et la rareté de la viande de porc constatés dans la région ?
Oui ! Au niveau de la région, la demande est nettement supérieure à l’offre. L’on note, très souvent, des ruptures de viande. C’est pourquoi, au niveau de l’association, nous sommes dans la promotion constante de l’élevage porcin. C’est la raison pour laquelle, tous les ans, nous organisons la foire du porc. Ces journées sont l’occasion pour nous de faire la promotion du porc et de tous ses dérivés. Nous sommes à notre 7e édition. Du fait de la rareté de la viande, les prix ne font que flamber. Le kilogramme est à 3 000 F CFA. Avant 2001, il était à 1 500 F CFA. On est passé du simple au double.
À côté des efforts que les acteurs ne cessent de consentir, quelles sont les actions que l'État a initiées pour l’essor de la filière porcine ?
Par devoir de vérité, il faut reconnaître que l’État a fait des d’efforts, ces dernières années. Nous avions eu à bénéficier d’un appui en aliments. Au départ, seuls les éleveurs de moutons et de chèvres bénéficiaient de cet appui. Nous avons reçu des dons en aliments que nous avons distribués à nos membres. Il y a moins de deux ans maintenant, l’État a mis à notre disposition des géniteurs pour l’amélioration de la race porcine. Tous nos membres ont reçu soit un verrat (un mâle) ou une truie (femelle). Cela a été très bénéfique pour les acteurs.
Par ailleurs, l’État, par le biais de la Délégation à l’entrepreneuriat rapide (Der), nous a aidés à la réalisation d’une unité de production d’aliments (à hauteur de l’avenue des 54 M à Ziguinchor) qui sera bientôt fonctionnelle. Nous avons aussi bénéficié du ministère de tutelle d’une charcuterie moderne pour l’abattage, il y a quelques années. L’État nous soutient, mais il reste beaucoup à faire. Nous avons reçu, il y a trois ans, le prix du chef de l’État pour l’Élevage en signe de reconnaissance des efforts que nous cessons de mener.
Selon vous, quelles sont les solutions qu’il faut mettre en œuvre pour sortir la filière de son aspect traditionnel et se projeter vers un développement durable ?
Il faut trouver une solution à la peste porcine africaine pour non pas éradiquer, mais réduire très sensiblement le taux de mortalité des bêtes. Autre chose, l’État avait initié un programme de construction de porcheries modernes. Certains membres de l’association en ont bénéficié. Nous demandons à l’État de bien vouloir relancer et de poursuivre ce programme qui est d’une importance capitale pour l’essor de la filière dans la région de Ziguinchor, parce qu’il participe à sa modernisation. Il faut aussi qu’il nous aide, dans les meilleurs délais, à achever la construction de l’unité locale de fabrication d’aliments porcins appropriés évoquée plus haut. Nous ne pouvons pas continuer à nourrir le porc avec le ‘’ñaam mbaam’’.
Un dernier mot ?
La filière porcine à un bel avenir, notamment en Casamance où nous disposons d’assez d’espaces. Le porc est l’un des animaux qui se multiplient très vite. Il a presque trois portées par an avec un minimum de huit pourceaux. Aucun autre élevage ne dispose de ce potentiel. Les acteurs tout comme l’État doivent poursuivre les efforts. Il faut que cette filière soit reconnue comme faisant partie de l’élevage dans le pays et comme tous les autres secteurs, qu’elle puisse bénéficier des politiques que l’État met en œuvre pour le développement de l’élevage, d’une manière générale.
PROPOS RECUEILLIS PAR HUBERT SAGNA (CORRESPONDANT À ZIGUINCHOR)