Des chiffres et des paroles !
Disons-le sans détour, c’est une très bonne nouvelle que le Message de nouvel an du Président Macky Sall soit davantage articulé autour des questions économiques plutôt que celles politiques. Nous avons, nous sénégalais, la bien fâcheuse tendance à ne nous intéresser qu’aux questions politiques, voire politiciennes ; d’enfler clameurs et rumeurs au point de créer souvent un climat peu favorable au progrès économique.
Entendons-nous bien ! Nous ne disons pas que les questions politico-institutionnelles ne sont pas importantes. Bien au contraire, l’équilibre des pouvoirs entre l’Exécutif et les autres institutions de la République, le verrouillage de certaines dispositions fondamentales de la Constitution, comme la durée, le nombre de mandats du Président, le renforcement des compétences du Conseil constitutionnel ainsi que celui de l’Assemblée nationale (package intégré dans les réformes annoncées), sont des questions capitales. Il est en effet prouvé que la stabilité des institutions ainsi que leur crédibilité sont un gage de progrès économique, en ce sens que les investisseurs discriminent entre les pays, surtout africains, en mettant en avant ces paramètres-là. Le problème n’est donc pas relatif au fait qu’on parle politique. Il réside en fait dans l’omniprésence au sein de l’espace public, du débat politicien. Or cette réalité inverse toutes les priorités.
Avec l’hypertrophie du débat politique, c’est le piège du verbiage qui nous emprisonne sans que nous en soyons pleinement conscients dans les futilités. Et encore, parmi ces stars, ‘’experts en politique’’ qui défilent à longueur de mois sur le petit écran ou à la radio, la plupart ne maîtrise pas assez les sujets évoqués. Sophistes sur les bords, il leur suffit de claquer les bretelles, de rouler les ‘’r’’ en se regardant de façon jouissive à l’écran, pour se convaincre qu’ils ont déraciné tous les baobabs de la savane. Et comme au Sénégal, rares sont ceux qui vous regardent dans le blanc des yeux pour vous dire ce qu’ils pensent vraiment de vos performances réelles, bonjour donc les dégâts. La conséquence, c’est que nous nous installons dans une ambiance à cheval entre le comique et le pathétique avec des acteurs bien souvent ‘’immatures’’, alors que ça bouge à une vitesse vertigineuse en Afrique et dans notre sous-région.
Que le Président Macky Sall insiste, sur ce coup, sur les chiffres, les politiques économiques, sociales, les chronogrammes et les deadlines, nous semble être une démarche à encourager. L’illustration de cette tendance, sans encore préjuger du fond, transparaît déjà dans les proportions du discours lu le 31 décembre. Il faut en effet s’amuser à compter le nombre de caractères du texte en format Word, pour constater que c’est seulement le tiers du discours qui est consacré aux questions politico-institutionnelles. L’Economie s’installe bien dans le dispositif alors que les chiffres, parfois à l’excès, il faut le dire, sont mis sur la table.
Morceaux choisis : ‘’Pour 2015, les récoltes céréalières sont estimées à 2.271.000 tonnes, soit une hausse de 82% par rapport à 2014’’ ; ‘’la production d’arachides se chiffre à 1 121 474 tonnes, soit 68% de hausse’’ ; ‘’Celle du riz paddy a augmenté de 64%, passant de 559 000 à 917 371 tonnes’’. Macky Sall évoque les Domaines agricoles communautaires (DAC) qui ‘’mobilisent déjà 177 Groupements de producteurs’’ et qui auraient déjà permis ‘’la mise en valeur de 2.555 hectares et la création de plus de 7000 emplois’’. Dans le domaine des Infrastructures, il annonce vingt-cinq autres projets pour ‘’un total linéaire de 810 km de routes ; 685 km de pistes rurales et 6 ponts de désenclavement à Baïla, Diouloulou, Foundiougne, Ganguel Soulé, Marsassoum et Wendou Bosséabé. Ce n’est pas tout. ‘’Les travaux du Train Express Régional (TER) Dakar-Diamniadio-AIBD, première liaison ferroviaire rapide du Sénégal, démarreront en 2016’’, dixit le Président. Le TER ‘’desservira 14 gares et pourra transporter jusqu’à 115 000 passagers par jour, en moins de 45 minutes entre Dakar et l’aéroport international Blaise Diagne’’. On peut aussi évoquer la réhabilitation de la voie ferrée Dakar-Kidira sur 644 km.
Le Président Sall cite plusieurs autres chantiers dans le domaine de l’Hydraulique (urbaine et rurale), de l’Energie, de l’Education (voir page 3), évoque les coûts, fixe un chronogramme et indique un impact en termes d’emplois créés, de réduction de la pauvreté etc. Ceci permet, toujours selon le chef de l’Etat, d’avoir, en fin 2015, un taux de croissance de 6,4% ; le meilleur après celui de 6,7% réalisé en 2003.
L’exercice auquel s’adonne le Président est en vérité risqué. Parce qu’il donne des chiffres, indique des projets qu’il localise dans l’espace et le temps, il s’installe automatiquement sur la posture de l’élève à évaluer en…‘’Calcul’’. Or et bien paradoxalement, nos politiques n’attaquent curieusement pas ce talon d’Achille. Du moins, ils ne l’investissent que timidement, sous l’angle de la dénégation, pas suffisamment argumentée. Comme par exemple, le fait de dire, sans le prouver, que le taux de croissance est…gonflé. Un argument peu convainquant du fait que le ministère de l’Economie et des finances n’est pas le seul acteur du jeu. Et que depuis Diouf et Wade, ce sont pratiquement les mêmes acteurs qui calculent ces indicateurs-là. On a en effet bien du mal à croire que l’ancien Directeur national des Statistiques, Sogui Diarisso connu pour être sérieux, l’actuel Directeur de l’Agence nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD) qui est très loin d’être un guignol, les bailleurs de fonds (FMI etc.) et la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’ouest vont se coaliser pour s’entendre sur un chiffre-somnifère, pour des raisons bassement politiciennes.
Bien difficile à avaler !