Publié le 1 Feb 2016 - 11:41

La 4G au Sénégal, leurre ou lueur ?

 

La 4G au Sénégal en 5 questions simples :

1.     Les opérateurs ne peuvent pas ou ne veulent pas acquérir la licence 4G ?

Quelques chiffres clés pour commencer :

Le taux de pénétration de la téléphonie mobile s’élève à 110,36%  (14.908.119 clients) au 30 septembre 2015 (source : ARTP rapport trimestriel sur le marché des télécommunications juillet –Septembre 2015). Ce qui veut dire qu’en moyenne, chaque sénégalais détient 1 ,1 puce téléphonique. Les parts de marché de SONATEL sont de 55,86%, celles de TIGO de 22,84% et celles de Expresso de 21,30%.

Le trafic mensuel est estimé à 1,54 milliards de minutes en septembre 2015. Si le coût de la minute de communication est estimé à 65 F CFA (hypothèse basse), cela veut dire que les trois opérateurs se partagent une manne financière de 100,1 milliards de F CFA par mois  rien que pour la téléphonie mobile.

Ce mode de calcul ne prend en compte les promotions, bonus, forfaits  et autres réductions commerciales. Prenons un autre angle de calcul moins optimiste, le fameux ARPU (Average Revenue Per User) qui est le chiffre d'affaires mensuel moyen réalisé par l’opérateur  avec un client. Au Sénégal, il était de 3559 F CFA en 2011 et de 2784 F CFA en 2014 (selon le rapport 2014 de la SONATEL, en baisse constante il est vrai). Si on le multiplie par le nombre d’abonnés, soit 14.908.119, le revenu mensuel pour les trois opérateurs au Sénégal serait de 41.504.203.29 F CFA.

Sur les deux modes de calcul, les revenus sont quand même substantiels et situent entre les hypothèses basses et hautes ci-dessus, tout en sachant que ces chiffres sont toujours discutés au vu des enjeux financiers énormes.

Même s’il est vrai que le marché du mobile arrive peu à peu à saturation avec un taux de pénétration de 110,36%,  le marché de l’Internet est naissant et offre des perspectives alléchantes.

Selon le rapport annuel de la SONATEL en 2014, le groupe SONATEL  a réalisé un chiffre d’affaires de 816 milliards de F CFA dont 425 milliards par sa filiale sénégalaise, soit 52 %. Le résultat net (ou bénéfice) au Sénégal est de 173.665.631.924 F CFA.

Tout cela pour dire que les opérateurs de télécommunications ont un business rentable au Sénégal. Ce n’est pas sortir 30 milliards pour une entreprise qui gagne 173 milliards qui est difficile.

Ainsi la réponse  à la question : « est ce que les opérateurs ne peuvent pas ou ne veulent pas acheter la licence 4G au prix minimum de 30 milliards ? » peut paraître évidente : clairement, à mon avis,  les opérateurs ne veulent pas. A moins que les conditions du cahier de charges ne leur conviennent pas.

2.     Pourquoi les operateurs ne veulent pas ?

Pourquoi au Sénégal l’appel d’offres pour la 4G a été un échec alors que deux jours avant l’arrivée de l’échéance, le 15/01/16, les opérateurs d’un pays voisin de l’UEMOA (la côte d’ivoire) sont passés à la caisse pour payer une avance sur la somme de 100 milliards que chaque operateur doit payer  pour la licence 4G. J’ai vu les échanges entre l’ARTP et le SONATEL au sujet du Maroc. A mon avis, l’exemple de la Côte d’Ivoire me parait plus approprié. Le Cameroun aussi pourrait être un bon exemple.

Si les opérateurs qui cherchent à faire du bénéfice ne veulent pas c’est que sûrement l’affaire n’est pas rentable pour eux. En effet, pourquoi bâtir de nouvelles autoroutes s’il n’y a pas de bolides qui doivent y rouler? Eh oui, l’écosystème de l’économie numérique au Sénégal est encore immature: les jeunes créateurs ne développent pas assez d’applications innovantes consommatrices de bandes passantes, il n’y a pas de projets gouvernementaux d’envergure sur la télé-médecine, la télé-éducation ou l’offshoring…. Bref il n’y a pas de trafic qui justifierait de nouveaux investissements sur la 4G alors que la 3G supporte parfaitement le trafic existant - ce qui n’est pas le cas de la Cote d’Ivoire qui est en plein essor dans le domaine de l’économie numérique.

Tous les analystes sont unanimes pour dire que l’avenir du secteur de l’économie numérique se jouera sur le « Haut débit Mobile » comme la 4G.  Les opérateurs ne se permettraient pas de rater ce virage. De plus il faudrait qu’ils tiennent compte du fait que l’existence d’une infrastructure 4G impulserait la création de services adaptés. Se livrent-ils alors à un jeu de dupes avec l’Etat ? That is the question…

3.     Pourquoi il y a eu une levée des boucliers des opérateurs quand l’Etat a voulu faire la 4G en 2014 ?

En octroyant une licence de télécommunications à un privé, l’Etat délègue une partie de sa souveraineté. Si cette délégation ne marche pas comme l’aurait souhaité le délégataire, l’Etat pourrait, si le secteur revêt une importance stratégique pour la conduite de sa politique, prendre les choses en main en ne violant toutefois pas le principe de la privatisation et le fait que « L’Etat ne peux pas être juge et partie ». Tout est une question de vision et d’organisation.

En 2014, dans le cadre du projet de passage de la télévision analogique à la télévision numérique, l’Etat a envisagé un moment d’impulser la naissance d’un opérateur d’infrastructures 4G qui vendrait ses services non pas au grand public mais aux opérateurs pour ne pas concurrencer ces derniers. Cette initiative a été frontalement combattue par les opérateurs.  Pourtant elle avait l’avantage de transformer leur CAPEX (investissement) en OPEX (fonctionnement). Que veut-on donc ?

L’Agence de l’Informatique de l’Etat (ADIE) (que je connais bien J ) a développé pour le compte de l’Etat un impressionnant réseau national en fibre optique dont la réalisation a été accélérée depuis l’avènement du Président de la République Macky Sall. En effet l’ADIE avait bâti de 2004 à 2012, 500 kms de fibre optique (phase 1). Avec la phase 2 que j’ai conduite en 2013, 1000 nouveaux kms ont été faits  et avec la phase 3 qui vient de démarrer 3000 kms seront réalisés d’ici deux ans dans le cadre du projet « large bande » lancé en marge du projet de passage à la télévision numérique. Ainsi l’ADIE disposera de 4500 kms de fibre optique (dont 4000 réalisés sous le régime de Macky Sall). Pourquoi tout cet investissement ? Il est temps d’arrêter les investissements et de rentabiliser ce qui existe et la 4G est une voie royale. Les deux éléments fondamentaux d’une infrastructure 4G sont le backbone en fibre optique et la bande de fréquences tirée du fameux dividende numérique.

Le gouvernement sénégalais peut s’inspirer du  gouvernement rwandais qui a décidé en 2014 de couvrir en 3 ans 95% de sa population en services Internet très haut débit 4G dans le but de « créer des emplois, soutenir le progrès social et propulser la croissance économique ».

Si ce n’est pas cette solution d’opérateur d’infrastructure, alors pourquoi pas carrément un 4e opérateur de télécommunications ?

4.     Quel prix pour la 4G ?

Les bribes de connaissance que j’ai en économie indiquent clairement que la fixation des prix dépend de la fameuse loi de l’offre et de la demande. Le prix de la licence 4G (offre de l’Etat) doit se fixer de lui-même par rapport à l’intérêt que les opérateurs lui portent (demande des opérateurs). Cet intérêt étant évidemment basé sur celui que les consommateurs – qui paient la facture in fine – portent sur l’offre de services 4G. Et les lois du marché doivent s’appliquer. Etant entendu que l’intérêt pour les opérateurs est purement financier (et non patriotique comme le voudraient certains) car le « capital étranger » est venu au Sénégal pour se faire de l’argent et le rapatrier chez lui, n’en déplaise à notre PIB.

5.     Quelle régulation ?

Toute cette alchimie qui préserve les intérêts tripartites de l’Etat, des Opérateurs de Télécommunications et surtout des Citoyens doit se faire sur la base d’une régulation forte,  mais pas avec la force, une savante préservation des intérêts de chaque partie. Tout est une question de dialogue.

Et tout ceci devra être encadré par une bonne stratégie nationale sur l’économie numérique qui devra être définie, validée et portée par nos plus hautes autorités.

Le Sénégal a toujours été leader dans le domaine des télécommunications en Afrique. Personne, pour quelque intérêt que ce soit, n’a le droit de participer à l’inversion de cette tendance. Les générations futures ne nous le pardonneraient pas. /.

Khassoum WONE

Acteur du secteur de l’Economie numérique

Ancien Directeur Général de l’ADIE

Khassoum.wone@live.fr

 

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