La rupture, à petits pas
Le Discours de politique générale du Premier ministre devant l’Assemblée nationale s’est articulé autour de vœux pieux de bonne gouvernance, d’une logique d’incapacité du Sénégal à se développer de manière autonome et de son enrôlement dans la guerre civile internationale menée par la superpuissance mondiale contre les pays musulmans.
Le premier élément de ce triptyque est démenti par une pratique de cinq mois francs de pouvoir, le second mise sur un capitalisme international aussi vertueux que le régime rêve de l’être et le troisième dévoile une remise en cause de notre longue appartenance au camp des non-alignés, tendance colombe.
Au regard de ce qui précède, le constat est patent que l’avènement du régime de Macky Sall n’est pas une rupture par rapport à celui qu’il a supplanté sur la question de la bonne gouvernance, sinon à petits pas. Le discours du Premier ministre est un exercice solitaire dont les thuriféraires du pouvoir veulent nous faire accroire sans y croire eux-mêmes qu’il émanerait d’une inspiration présidentielle à travers un programme nommé ''Yoonu Yokkute'', lequel reste confidentiel pour l’immense majorité des Sénégalais. Ni le parti présidentiel, ni les différents cercles de soutien politique du pouvoir ne se sont manifestés dans un élan d’adhésion massive à la politique esquissée.
La première session de l’Assemblée nationale issue du plus large consensus politique de notre courte histoire, faute d’un accord programmatique entre les protagonistes, était surtout partie pour équilibrer les rapports institutionnels entre les partis de gouvernement et l’opposition. Autour d’un Premier ministre sans contentieux politique majeur, donc commode arbitre des rancœurs partisans, l’hémicycle était le cadre de retrouvailles entre les vainqueurs et les déchus des élections. Quelle que soit l’âpreté des débats, ils ont porté sur les modalités de préserver l’intérêt supérieur des clans de la classe politique et de reconduire leurs privilèges exorbitants. A ce stade, la paix civile en dépend.
Ce Premier ministre n’en est pas moins de longue continuité depuis que les officines d’affaires du régime socialiste lui mirent les pieds à l’étrier pour service rendu à la nation par son père. Celui-ci relia le régime senghorien à celui de son successeur par un bon mot : ''Les Sénégalais sont fatigués'', qui a traversé les générations malgré sa sublime banalité. Le fils nous apprend accessoirement qu’ils ne se sont pas reposés davantage depuis que le Sopi s’est installé. Et son discours, que le nouveau régime a prudemment renoncé à appeler Discours Programme, ne souffle mot d’éventuelles réalisations que le nouveau gouvernement aurait engrangées pendant l’exercice de ces cinq mois.
Dans la vision prospective du Premier ministre, l’économie de notre pays sera très extravertie. Or cette implication étrangère impose une attitude politique appropriée sur laquelle le Premier ministre est resté muet. Les perspectives de développement endogène sont plombées par la dette intérieure et celle extérieure de l’ancien régime, que le nouveau régime nous dit astronomique, ainsi que son emprunt dans les trois mois qu’il ne dément pas s’élever à près de 450 milliards. L’absence inhérente au libéralisme de politique économique volontariste est patente et la recette du Premier ministre est le résultat de ce renoncement : le capital privé international y pourvoira.
Ce qui n’est pas pour doper le capital national mobilisable pour l’investissement intérieur dans le secteur de l’agriculture par nos propres hommes d’affaires du Conseil national du patronat (CNP) et de la Confédération nationale des employeurs du Sénégal (CNES). Ces deux entités d’une bourgeoisie nationale aspirant à émerger depuis la crise de mai 1968, sont elles-mêmes étouffées par l’inconséquence des régimes successifs qui les concurrencent dans les relations d’affaires qu’elles devraient entretenir avec le capital étranger. Et aussi par leur propre incapacité à se concilier des forces politiques et sociales dans la mesure où dans les pays du Sud, l’existence d’une bourgeoisie et d’une classe moyenne autonome est le gage le plus sûr d’un développement économique.
Sur le moment lestées par les dettes contractées par l’État à leurs dépens, ces deux entités se doutent bien, malgré l’affirmation du Premier ministre de s’appuyer sur le secteur privé national, que le contexte économique et politique leur est défavorable. Il leur incombe de peser sur les choix politiques, ne serait-ce que pour convaincre Macky Sall que la paix dans la sous région est le principal facteur de productivité au moment où les puissances occidentales allument mille foyers de tension entre les peuples et au sein des nations.
Au demeurant, l’esquisse de politique agricole telle qu’annoncée, réduit le paysan sénégalais à aliéner sa terre à l’agro-business et l’État sénégalais à renoncer à encadrer sa paysannerie au profit de petits producteurs dans de grandes fermes et d’unités agro-industrielles. La paysannerie va-t-elle disparaître comme la classe ouvrière ? La modernisation de l’agriculture et sa mécanisation semblent ne se concevoir que du point de vue de l’implication étrangère qui reste à être mieux codifiée. Au surplus, il n’est nulle part question d’une volonté affirmée de transfert de technologie ni d’implantation d’une moyenne industrie sinon de transformation. Ce qui est un recul par rapport aux visions de l’ancien régime matérialisées par les usines de montages de bus de Thiès.