Remember Omar
La première veillée funèbre dans la cour de la maison familiale d’Omar Blondin Diop fut empreinte d’une douleur solennelle et poignante. Les divergences entre les groupuscules de gauche engagés dans la lutte contre le régime de Senghor avaient laissé des séquelles profondes. Un camarade venu masqué avait soulevé le courroux d’une partie de l’assistance tandis que les autres plaidaient les circonstances particulières d’une clandestinité imposée. Le décès du jeune militant révolutionnaire marque en fait la période de reprise d’initiative d’un régime, acculé par la conjonction des luttes sociales et politiques de mai 1968, qui instaure l’État d’urgence l’année suivante pour juguler la grève de la Fédération des banques et établissements de crédit dont 83 responsables syndicaux sont licenciés. L’Union nationale des travailleurs du Sénégal (UNTS) qui avait contraint l’État à la signature d’accord sur ses revendications et celles des étudiants est amputée par une scission pro-gouvernementale.
Parmi les mesures autoritaires à l’actif du pouvoir, le retour au pays des étudiants sénégalais de France dont les enseignements pouvaient être dispensés ici. Agrégatif de Lettres, Omar Blondin était compris dans le lot sans en être affecté outre mesure. La poursuite de la remise en cause de l’ordre social entamée en France semblait être la principale préoccupation de ces revenants qui sans doute couvaient leurs contradictions théoriques dans la cité universitaire où chaque faction avait son quartier général dans un des pavillons. Les membres de l’Union démocratique des étudiants sénégalais (UDES), proche du Parti africain de l’indépendance (PAI), devaient désormais se faire à l’idée de cohabiter avec des conceptions idéologiques concurrentes majoritaires dans les associations d’étudiants africains. Le groupe d’Omar Blondin Diop exerçait sur le nôtre, émergeant des comités de lycée, les véritables héros des batailles de rues de mai 1968, une réelle fascination.
Proches du Parti communiste sénégalais (PCS) handicapé par l’absence de ses dirigeants du champ universitaire, méfiants à l’endroit des étudiants du Mouvement des étudiants du Parti africain de l’indépendance (MEPAI) dont l’organisation politique de tutelle avait eu une posture opportuniste face au soulèvement ouvrier de mai 1968, nous développâmes une proximité plus affective que doctrinale avec Omar Blondin Diop, Abdou Salam Kane dit Billy, Ibrahima Paye dit Jacky, Issa Samb dit Joe Ouakam et, était-il déjà là, Nouhoum Camara ? Personnellement, c’est à Abdou Salam Kane que je me suis le plus attaché à cette période. Il était souvent de permanence au Centre d’information de l’Union des étudiants de Dakar (UED) et chaque fois que je l’y trouvais, il m’en confiait la garde que je consacrais à la lecture des journaux des peuples en lutte dont celui des forces armées populaires du Nord-Vietnam jusqu’aux organes des Black Panthers, des guérilleros d’Amérique Latine.
Cette vague complicité se concrétisa par une alliance électorale lors de l’érection du bureau du Mouvement démocratique de la jeunesse sénégalaise (MDJS) entre le Club Patrice Lumumba que nous avions créé, le Free Jazz et les sœurs unies. Elle permit de mener rondement des actions d’agitation et de propagande lors de la prise de contrôle de l’amphithéâtre de la Faculté de Droit et de Sciences économiques, prenant quasiment en otage le Recteur de l’Université et le doyen de la Faculté qui n’est autre qu’un certain futur président de la République. Une opération de charme destinée à masquer les effets de la guerre civile menée aux États-Unis contre les militants insurgés du ''pouvoir noir'' par une comparaison entre le niveau de vie des Américains noirs et des Africains qui fut transformée en meeting de solidarité aux peuples en lutte. Omnia non dicam…
Oumar Blondin Diop prit contact avec nous en tant que groupe lors de la conférence commérant la Journée de la paix initiée par l’Union régionale du Cap-Vert de l’Union progressiste sénégalaise au pouvoir à la maison des jeunes. Quoique le thème de la conférence fût la paix, la salle ne tarda pas à s’échauffer comme c’était souvent le cas quand le parti au pouvoir organisait. L’invitée d’honneur de cette conférence était Carmen Pereira, un des commandants des Forces armées populaires de libération de la Guinée-Bissau et des Îles du Cap-Vert, venue du maquis. Le fait que les différents intervenants insistaient sur la paix, la paix, la paix, nous a tapés sur le système et, sans crier gare, un de nos camarades, Petit Mandingue pour ne pas le nommer, s’est levé pour crier des vertes et des pas mûres, enrobées de bon sens militant : leur sérénade sur la paix, ils n’ont qu’à aller la chanter à Salazar et à Richard Nixon, les fauteurs de guerre coloniale. Les slogans bien cadencés ponctuèrent toute la propagande capitularde des intervenants et ne donnèrent du répit que lors de la pertinente réplique du commandant Pereira expliquant la position de son parti sur la question de la guerre et de la paix.
C’est donc à la fin de cette conférence pendant laquelle nous avions tenu en respect les comités d’action du parti au pouvoir qu’Omar Blondin nous demanda une rencontre entre nos deux groupes. Nous lui proposâmes deux lieux possibles à Fass et à la Médina. A notre grande déception, le contact avec Omar fut différé par un émissaire d’une certaine nébuleuse dirigeante. Le Mouvement des jeunes marxistes-léninistes avait été créé et l’émissaire ne demandait rien moins qu’une sélection au niveau du groupe. Je refusais cette scission que d’autres accepteront au niveau de Fass, créant une atmosphère de suspicion entre les marxistes-léninistes armés de la pensée de Mao Ze Dong et les militants révolutionnaires qui se posaient des questions sur le voyage du président Nixon en Chine Populaire entre deux sorties d’escadrilles de B 52 sur le Nord Vietnam. Nous n’eûmes que de vagues échos sur les querelles internes qui firent éclater le Mouvement des jeunes marxiste-léniniste.
Omar Blondin Diop retourna donc en France. Les cadres de lutte construits ensemble, tel le Mouvement démocratique de la jeunesse sénégalaise (MDJS), furent laissés entre les mains d’une petite bourgeoisie peu endurante qui les disloquèrent après deux interpellations policières. L’UDES fut décapitée par les exclusions ciblées. L’appel d’un certain Comité d’initiative pour une action révolutionnaire prolongée (CIARP), la veille de la visite de George Pompidou, ne résonna que des échos d’une cité universitaire désertée par ses occupants. Les actions violentes qui commencèrent au début de l’année 1971 vit la répression d’État s’abattre sur les jeunes, les syndicalistes et les groupes de feu. Quand ses frères furent arrêtés, le destin d’Omar Blondin Diop était scellé : des camps d’entraînement palestiniens en Syrie aux geôles du Comité militaire de redressement national (CMRN) au Mali, la mort était aux aguets. Omnia non dicam…