Sécurité et souveraineté
L’annonce concomitante de la création d’une Agence nationale de sécurité et du recrutement prochain d’un millier de policiers par le ministre de l’Intérieur, le Général Pathé Seck, sonde la conscience des patriotes quant à l’efficience de notre politique de défense nationale en rapport à une souveraineté internationale acquise à la fin des années 1950.
L’opération relève en effet de la poursuite d’une logique de guerre assumée par le Sénégal sans que la crise malienne, qui en est la cause, soit une menace directe à notre intégrité territoriale et à la pérennité de nos institutions républicaines comme l’est la rébellion casamançaise. Imbriqué dans une longue guerre de libération de sa province septentrionale, le président du Sénégal Macky Sall a suivi une autre priorité sous la conduite de la France, laquelle serait de libérer le Mali de la double menace d’une dissidence indépendantiste d’une part, islamiste d’autre part, de ses propres citoyens en armes.
Notre gouvernement, en faisant ce choix important, ne s’est pas basé sur une orientation politique claire puisque les Maliens eux-mêmes étaient partagés sur la nécessité d’une guerre et sur ses modalités si après toutes négociations, elle s’imposait. L’attitude de réserve des pays autour du champ de bataille, lesquels étaient déjà engagés dans la guerre contre leurs propres islamistes, l’Algérie et la Mauritanie, pouvait être un indicateur fiable, source de prudence. Elle découlait aussi, cette attitude de principe, d’un nationalisme plus intransigeant du premier qui avait conquis son indépendance les armes à la main et du second à cause d’une défiance à l’endroit de la France que lui avaient inspirée des relations parfois empreintes de duplicité. Le jeune leadership sénégalais, quoi qu’on en ait espéré, est resté sous le joug séculaire que parfois ses prédécesseurs savaient secouer, Senghor sur la question biafraise, Abdou Diouf sur l’Afrique australe et s’alignant sur un tiers-mondisme militant notamment dans ses relations avec l’Algérie de Chadli Ben Jeddid.
Le président Macky Sall, dès l’entame de son mandat, semble avoir choisi un suivisme sans principe d’un leadership libéral pris en main par un leadership socialiste de l’Hexagone, mais qui au regard des tournures que prend la marche du monde, n’est pas sans danger. L’intensité actuelle des effets de la crise malienne sur les voisins immédiats du conflit suivra une logique graduelle qui peut épargner notre pays puisqu’il n’est pas en contact frontalier direct avec la zone, mais qui va certainement éprouver notre gouvernement avec la nouvelle équation posée par la duplicité de la France. Comment être en complicité avec la dissidence du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) sans être sensible à la cause casamançaise ? Quoi qu’il advienne des combats engagés entre les forces armées maliennes et celles dissidentes de l’Azawad, l’attitude équivoque de la France pèsera sur ses alliés africains. Ce qui est déjà perceptible dans le fléchissement du volontarisme tchadien et la vulnérabilité du Niger. Cette attitude équivoque est en cause dans la posture délicate du régime islamiste turc qui voulait donner des gages de réalisme à l’Occident contre la Syrie.
Les propos rassurants du ministre des Forces armées sur la préparation des troupes sénégalaises sur le théâtre des opérations vont de soi. Sauf qu’à ce jour, et pourvu que cela dure, aucun engagement important les concernant n’est signalé. Quand bientôt ils seront sous le commandement de l’Organisation des nations-unies, leur action aura une légalité internationale même si l’évolution de cette institution internationale en fait une force à la disposition de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN). Il reste que la reconversion en force de maintien de la paix ne change pas le statut de belligérant de notre pays où le processus de fascisation des régimes de guerre est enclenché quand les citoyens sont invités hic et nunc à participer à la défense du territoire non point les armes à la main mais par la délation, ''en signalant aux forces de sécurité la présence de personnes suspectes'' comme aux temps lugubres de la guerre d’Algérie, les Français de la métropole.
La spécificité de cette guerre irrégulière n’aidant pas, le général Pathé Seck chargé de l’Intérieur et le Docteur Augustin Tine chargé de la guerre s’emmêlent les pinceaux sur les questions de sûreté nationale et de sécurité pour nous dépeindre un décor d’apocalypse annoncé. La question de la lutte intérieure contre le terrorisme relève, à notre humble avis, non point des Forces armées sinon elles ne seraient pas au Mali, mais bien du ministère de l’Intérieur. Mais encore moins d’un ministère de l’Intérieur qui érigerait une Agence nationale de sécurité qui recruterait pour régler les problèmes d’emploi, des jeunes que les forces de police seront chargées de mal instruire. L’idéal serait d’instaurer la circonscription obligatoire pour que les forces armées participent à la formation civique des jeunes et les jeunes à la production et à la défense nationale. Certaines parties de cette jeunesse pourront être mises à la disposition du ministère de l’Intérieur pour renforcer la structure de défense civile y existant en attente de prise en charge des catastrophes naturelles, le terrorisme étant leur manifestation la plus évidente après les futures inondations.
En ce qui concerne l’Agence nationale de sécurité, le pire n’est pas qu’elle soit une milice mais qu’elle connaisse les mêmes problèmes de gestion que les agences de sécurité qui prolifèrent et dont les agents, des anciens militaires, sont mal payés et dépourvus de couverture sociale. Ils sont certainement dignes de figurer dans la statistique des personnes interpellées, pour ce qu’en révèle la chronique quotidienne : au cœur de la nuit, ils se transfigurent et se reconvertissent en violeurs, cambrioleurs et agresseurs.
Quel destin attend sous ce rapport nos futurs jeunes recrutés certainement sur des bases népotistes, le népotisme étant déclaré un acquis à l’actif des Sénégalais, qui n’auront subi qu’une formation civique sommaire et qui, convaincus d’être les enfants gâtés de la République, nous en réservent de belles ? Tant qu’à faire, autant lever des milices populaires comme Senghor en des heures graves en août 1960, décembre 1962 et mai 1968. Cela coûtera moins cher à l’économie de guerre que nous préparent les officines du pouvoir libéral.