Un régime provisoire
Le régime de Macky Sall porte les stigmates d’un régime provisoire. Pour avoir embrassé large, le président étreint mal ses alliés disposés en cercle concentriques dans un Bokk Yaakaar où chaque clan d’idée, d’opinion et plus sûrement d’intérêt occulte surveille la progression de l’autre dans la répartition des privilèges et des responsabilités d’État. L’appareil d’État installe ses démembrements, chaque institution après l’autre, telles des ruches d’abeilles bourdonneuses, le gouvernement puis l’Assemblée nationale et bientôt le Sénat. Là aussi, le président de la République semble être rattrapé par ses promesses de campagne que son parti ne veut plus assumer pour ce qu’elles lui coûteraient.
L’Alliance pour la République (APR) reste un projet inachevé au moment où son leader est appelé à exercer le pouvoir suprême d’État. Les suffrages des citoyens se sont portés sur un homme plus que sur son parti, ce qui est de bon ton pour une élection présidentielle mais un handicap pour sa formation politique et accessoirement pour la démocratie. Car le parti présidentiel n’ayant pas fait la preuve de sa suprématie politique en d’autres élections, la majorité présidentielle reste diffuse et, compte tenu de la nature du second tour, le nouvel élu est fondé de l’étendre aux formations politiques qui ont reporté leurs voix sur lui au second tour.
Le président élu n’a pas joué d’audace dans la perspective des élections législatives qui se pointaient quelques mois après son triomphe aux urnes. Avec près de 65 % des voix, il aurait pu jouer à fond la carte de la clarification démocratique en allant aux élections parlementaires avec les seules forces politiques qui lui étaient acquises au premier tour et celles qui lui feraient une allégeance inconditionnelle. Ses anciens concurrents, déjà fragilisés par leurs propres divisions internes et leur mésentente fondamentale, n’étaient pas plus résolus que lui et une nouvelle alliance, assurance tous risques, vit le jour sur le renoncement collectif à se mesurer, chacun sous son propre drapeau.
La réussite unitaire de cette option tient d’une recette mathématique qui finalement s’imposa à tous mais n’épargna pas le pays d’une minable dispute de postes qui l’édifiait en même temps sur les réelles dispositions des élus à se servir plutôt que de servir. Les élections sénatoriales vont se poser sous une triple interrogation, celle dépassée cette fois de la nécessité de son maintien et celle récurrente de son coût dispendieux. L’autre interrogation est le rapport de forces qui sortira des urnes compte tenu du fait que le parti présidentiel ne peut l’emporter sur le Parti socialiste et les éventuels dissidents de la coalition Bokk Yaakaar qui seraient tentés de faire bande à part.
Le fait de choisir un Premier ministre en dehors des partis alliés, lequel semble s’être trompé de fête tant il n’est pas à son aise, était en soi une incongruité. Celui de choisir de gré à gré un président de l’Assemblée nationale avant même les élections législatives était une entorse à la démocratie en général et au fonctionnement démocratique de son parti et des organisations de la mouvance présidentielle. La raison d’État pouvait l’expliquer. Mais que la règle ait changé quand il s’est agi du président du Sénat induit le recul du président face à la montée de la frustration dans les rangs de sa formation politique et menace sa position de chef impartial de l’alliance au pouvoir.
Les premières fissures délimitent de vieux contours entre le Parti socialiste et des organisations politiques qui ont partagé le pouvoir après la première alternance alors qu’il est resté dans l’opposition jusqu’à l’avènement de Macky. Cette crise en gestation relève-t-elle d’une volonté de la mouvance présidentielle d’isoler un ennemi traditionnel en s’appuyant sur son frère ennemi avec lequel il forma Benno Siggil Senegaal sans s’accorder davantage ? La querelle autour du Sénat reste confinée à leurs bases sectorielles tandis que l’énigmatique Ousmane Tanor Dieng est peut-être en train de soupeser les avantages et les inconvénients de rester dans une mouvance présidentielle où son parti semble voué à jouer le rôle du comparse mal aimé.
Son grand rival l’Alliance des forces de progrès (AFP) connaît lui aussi des soubresauts causés par la propension de son chef à servir chichement ses partisans et à favoriser ses alliés. Une seconde vague de frondeurs, en plus de ceux qui ont rejoint la liste de Mansour Sy Djamil, pourrait faire jonction avec les socialistes. C’était trop beau, pourrait-on penser jusqu’ici, d’un régime sans opposition. Sauf que ce régime, en dehors de la pertinence du discours de son chef, n’a encore rien apporté comme solution concrète au mal-être sénégalais. Le cycle de Me Wade tarde à se fermer tant la dispute de pouvoir porte encore son empreinte.
C’est comme si tout compte fait, le régime de Macky Sall attendait de trouver ses marques pour agir : pour cela, il lui faut imposer comme moteur de l’action gouvernementale son propre programme dit en mauvais Wolof ''Yoonu Yokkute''. Or, le discours de politique générale du Premier ministre tant attendu, dont il doit être la substance, est comme l’horizon qui recule quand l’on avance. Il lui faut ensuite asseoir sa suprématie sur un parti fort, structuré, bien implanté et discipliné, ce qui n’est pas encore le cas. Mais surtout il lui faut remporter les élections sénatoriales sans coup férir puisque même s’il voulait le supprimer contre la volonté de son parti, il lui faudrait un référendum. Et laisser son parti en désigner le président envers et contre tous.