La Guinée et le Sénégal se font harakiri
Les trafiquants n’épargnent pas non plus les forêts sénégalaises et guinéennes, face à la raréfaction du produit au Mali.
Si le Mali reste l’épicentre du trafic de bois de rose, les pays voisins ne sont pas épargnés, non plus. Pendant longtemps, les trafiquants étaient concentrés dans la zone de la Casamance où ils opéraient en parfaite complicité avec des Sénégalais. Pour contourner la vigilance des autorités, le bois était transporté en Gambie, pour être acheminé en Asie, en particulier en Chine.
Pour l’ancien ministre de l’Environnement Haidar El Ali, si cette voie n’est plus utilisée, c’est moins par un renforcement du contrôle que par l’épuisement des stocks. ‘’Avant, le bois traversait la frontière gambienne pour finir dans les bateaux pour aller en Chine. Aujourd’hui, dans cette partie du pays, vous n’entendez plus de trafic, non parce que les autorités l’ont éradiqué, mais parce qu’il n’y a plus de bois ; tout a été coupé. Le trafic s’est alors déplacé entre Tambacounda, Niokolo-Koba et la frontière avec le Mali’’.
Selon plusieurs sources, le Sénégal est loin d’être un simple pays de transit pour les trafiquants chinois et leurs complices. C’est également un pays d’approvisionnement. C’est aussi la conviction de l’ancien ministre Haidar. Il affirme : ‘’Du bois est effectivement coupé au Sénégal. Il traverse le pays pour entrer au Mali. C’est connu. Et de là-bas, les camions qui transportent la marchandise du port de Dakar au Mali le ramènent à Dakar pour leur exportation en Chine. C’est triste, mais c’est comme ça. Le bois est conduit au Mali à bord de charrettes. C’est comme ils le faisaient avant avec la Casamance. Puisqu’il n’y a plus de bois dans cette zone, le trafic s’est déplacé de l’autre côté, dans le triangle Tambacounda, Vélingara, Niokolo-Koba et à la frontière.’’
Le phénomène ne serait pas nouveau. Il y a quelques années, vers 2017-2018, des machines maliennes avaient été saisies dans le département de Saraya, sur des trafiquants qui coupaient du bois dans les forêts sénégalaises et les acheminaient ensuite vers le Mali. ‘’Aujourd’hui, je ne sais pas si du bois est toujours coupé au Sénégal, mais je sais que du côté de la Guinée, à Sigiri plus exactement, on continue de couper et de les acheminer au Mali pour ensuite les exporter en Chine. Au Sénégal, par le passé, c’était surtout du côté de Saraya’’, affirme notre source. Nous nous sommes déplacés dans ce département situé dans la région de Kédougou, pour nous enquérir de la réalité.
Situé à plus de 700 km de Dakar, Saraya est connu pour ses mines d’or, mais aussi pour sa richesse en matière de biodiversité, avec une nature luxuriante, des animaux sauvages dans toute leur diversité. Trouvé dans son bureau, le chef du Service départemental des Eaux et forêts, Pape Gora Niang, revient sur les caractéristiques de son territoire. ‘’Saraya se trouve dans ce qu’on appelle la Zic - zone d’intérêt cynégétique. Quatre-vingt-quinze à 99 % du département se trouvent dans cette Zic. C’est donc une zone protégée. C’est la seule zone de grande chasse au Sénégal. Une zone où l’on peut chasser les animaux sauvages, dont le lion.’’
Interpellé sur le trafic de bois, M. Niang reconnait quelques cas isolés et relativise : ‘’Effectivement, on est confronté à ce problème de coupe de bois, mais je ne saurais le qualifier en utilisant certains termes. Si l’on se fie, par exemple, aux chiffres de nos PV, pour l’année 2023 en cours, nous sommes à 87 PV. C’est pourquoi je ne saurais utiliser certains termes comme trafic. C’est possible que ça existe, mais cela ne se reflète pas dans nos constats sur le terrain.’’
Pour ce qui est du bois coupé au Sénégal et acheminé au Mali, il émet de sérieuses réserves. ‘’Nous, nous sommes sur cette route principale. Les forces de défense et de sécurité sont aussi sur cette route… Je ne sais vraiment pas d’où viennent ces informations. Depuis qu’on est là en tout cas, nous n’avons vu ni des camions maliens qui passent ni du bois sénégalais qui prend le sens inverse’’.
Dehors, les va-et-vient des camions sont très fréquents. ‘’Jusqu’à plus de 100 par jour’’, informe le maire de la commune. Mais difficile de savoir la nature des marchandises souvent encastrées dans des containers sous scellés, appartenant à de grandes multinationales comme la Danoise Maersk, la Suisse MSC et la Française CMA-CGM.
Trouvé dans son domicile à quelques encablures des eaux et forêts, le maire, Samba Ly Biagui, déplore un déficit du contrôle : ‘’Sincèrement, je ne saurais dire s’il y a un trafic de bois qui passe par la localité, mais je ne vais pas le nier. Il peut y avoir toutes sortes de trafics sur cette route, puisqu’il y a peu de contrôles. Les transporteurs sont très puissants ; ils ont été jusqu’à voir le président de la République pour demander la suppression des points de contrôle, dont celui de Saraya. Aujourd’hui, sur toute l’étendue de la région de Kédougou, le seul point de contrôle c’est Mussala, au niveau de la frontière. Il n’y a de contrôle ni à Saraya ni à Kédougou. Donc, même s’il y a des trafics, il est difficile de savoir.’’
Par rapport à ce problème de contrôle, le chef du Service des eaux et forêts tente de rassurer. Pour lui, des efforts sont faits, bien que des points de contrôle aient été éliminés en raison de la réglementation CEDEAO. ‘’Le contrôle se passe de manière inopinée, parfois de manière périodique. Parfois aussi, on peut avoir des informations et on contrôle pour voir si c’est avéré. Relativement aux moyens, on ne peut pas dire qu’on a assez de moyens. On sait que les autorités font de leur mieux pour nous permettre de faire le travail. Pour le département, nous disposons de 13 éléments’’.