Le casse-tête des pertes post-récoltes

Des récoltes en souffrance dans les champs, des risques de pertes post-récoltes, un marché saturé à cause de la présence de grandes entreprises de l’agrobusiness, les producteurs maraîchers sont dans le désarroi. Ils réclament des mesures urgentes et l’accompagnement de l’État pour sauver les récoltes de cette année et mieux structurer le secteur.
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NOTTO GOUYE DIAMA - MÉVENTE ET SOUS-ÉQUIPEMENT
1 000 producteurs maraîchers dans le désarroi
Notto Gouye Diama est une commune et un centre économique. ‘’EnQuête’’ est allé à la découverte de cette commune maraîchère située à 23 km de Thiès.
10 h à Notto Gouye Diama. À la descente du ‘’taxi-clando’’ surchargé, un spectacle étonnant s’offre à nos yeux : un vaste marché s’étend à perte de vue. Il est y exposé des milliers de sacs d’oignon, de pomme de terre, de carotte, de manioc, etc. Mais, en cette période de ramadan, les cœurs ne sont pas en fête. Les maraîchers de la commune disent être confrontés à une mévente rare de leur production de légumes qu’ils peinent en même temps à conserver, faute d’équipements adéquats. Des difficultés aggravées, selon eux, par la forte concurrence d’une société indienne.
Les cultures maraîchères ont atteint le stade de maturité et le marché de Notto Gouye Diama est inondé de légumes, selon Mor Kabe, cultivateur, par ailleurs membre de la Socopan (Société coopérative agricole de Notto). Il est réputé pour ses légumes verts qui font courir des commerçants venant même de la Gambie, de la Mauritanie, de Dakar, de Kaolack, de Fatick et de Saint Louis.
Le marché de Notto est un endroit incontournable, tout comme sa zone de production horticole. Il fonctionne sept jours sur sept. C’est un marché qui grouille de monde, à l’image de Petersen ou de Tilène à Dakar, les veilles de grandes fêtes musulmanes. Ici se croisent la quasi-totalité des commerçantes ou ‘’bana-bana’’. Elles viennent de Dakar, de la Gambie, de Kaolack, de Kédougou, de Tamba… pour acheter en gros les fruits et légumes, et les revendre dans leurs régions ou localités respectives. Un job qui marche bien. ‘’Machallah, mon travail marche très bien. Chaque semaine, je quitte Dakar à la recherche de légumes’’, se réjouit une commerçante.
Mais son enthousiasme contraste avec le dépit des producteurs. En effet, Mor Kabe déplore l’absence de chambres froides pour conserver les récoltes, en cette période de mévente. Ils font recours aux moyens du bord pour conserver les fruits de trois à quatre mois de dur labeur, couvrant par exemple les légumes d’herbes fraîches pour en ralentir la détérioration.
Selon les producteurs, cela n’empêche pas les légumes de pourrir, s’ils ne sont pas simplement emportés par des voleurs !
En effet, des sacs d’oignon, de pomme de terre, de courge, d’aubergine, de navet, de carotte, de piment vert, des cageots de tomate et d’autres produits maraîchers sont stockés dans les champs.
Monsieur Kabe, comme beaucoup de producteurs, sollicite l’aide des pouvoirs publics pour la distribution de chambres froides à Notto Gouye Diama. De tels équipements aideraient à conserver la production pendant longtemps et à l’écouler progressivement.
À cause de la mévente de la récolte, les quelque 1 000 producteurs maraîchers de la commune risquent de ne pas pouvoir rembourser les prêts bancaires qui leur ont été octroyés au début de la saison maraîchère.
Le casse-tête de la commercialisation
De plus, il souligne que ses camarades et lui rencontrent d’énormes difficultés dans le travail qu’ils effectuent au quotidien pour participer ‘’à l’émergence du pays’’. Dans la phase préparation, soutient-il, ils tardent à recevoir les semences. Mais leur plus grande difficulté, dit-il, c’est l’étape de la commercialisation. ‘’Chacun travaille à sa manière pour le développement du pays. Si l’État pouvait nous aider à moderniser ce marché, avec tous les moyens efficaces en matière de stockage et de conditionnement, ça serait une bonne chose. Mais à notre niveau, nous faisons de notre mieux pour que le produit arrive sur le marché sénégalais ou sous-régional en bonne qualité’’, dit-il.
À Notto, on cultive des centaines d’hectares de fruits et légumes, renseigne Mor Kabe. Par la même occasion, il révèle l’obstacle qu’ils rencontrent dans l’acheminement des marchandises au marché de Notto, car les vergers les plus proches se situent entre 4 et 5 km. ‘’Là aussi, c’est un autre calvaire que nous vivons. Nous louons des charrettes pour transporter la production, parce qu’il y a certaines zones qui sont très enclavées’’.
Accès à la terre et à l'eau : les défis cruciaux de l’agriculture à Notto Gouye Diama
À ces difficultés, s’ajoutent deux défis majeurs auxquels les producteurs locaux font face : l’accès à la terre et à l’eau. Ces problématiques, selon le membre de la Socopan, freinent considérablement la croissance du secteur agricole et compromettent les capacités de production des exploitants.
L’accès à la terre est l’un des problèmes les plus pressants pour les producteurs de Notto Diama. Trop souvent, les terres agricoles fertiles sont accaparées par des individus influents, notamment des hommes politiques ou des spéculateurs qui, grâce à leurs privilèges et leur statut, accèdent à ces terres au détriment des producteurs locaux. Cette situation est exacerbée par la complexité et l’opacité de la réglementation foncière qui complique la défense des droits des agriculteurs.
Mor Kabe cite l'exemple de cette localité où des producteurs ont été dépossédés de leurs terres par de grandes industries agricoles. Ces producteurs, démunis face aux rouages administratifs et juridiques du secteur foncier, ont vu leurs parcelles confisquées, sans possibilité de contestation. Cette situation crée des tensions et des conflits fréquents, mettant en péril les moyens de subsistance de nombreux agriculteurs.
Pour relancer efficacement la filière agricole dans cette région, Mor Kabe insiste sur la nécessité de réformer le système foncier. Il plaide pour une meilleure gestion des terres et une régulation stricte pour protéger les droits des petits producteurs. La mise en place de coopératives agricoles, selon lui, pourrait offrir aux producteurs un accès plus équitable aux terres, tout en favorisant la solidarité et la mutualisation des ressources.
L’accès à l’eau constitue un autre défi majeur pour les agriculteurs, notamment pour les producteurs de maraîchage, dont l’activité dépend largement de l’irrigation. Mor Kabe explique que dans certaines zones, la profondeur des nappes phréatiques rend l’accès à l’eau particulièrement difficile et coûteux. Dans d’autres cas, les points d’eau sont trop éloignés, augmentant ainsi les coûts d’exploitation pour les producteurs.
Le coût des forages est particulièrement élevé, oscillant entre 80 000 et 100 000 F CFA le mètre, ce qui représente une charge financière importante pour les petits producteurs. Face à cette situation, il appelle l'État à intervenir pour soutenir le financement de ces infrastructures. Il propose d'investir dans des forages solaires qui permettraient une meilleure gestion de l'eau tout en réduisant les coûts d'exploitation.
Car l’investissement dans des infrastructures hydrauliques, selon lui, est crucial pour améliorer la productivité de l’agriculture et la qualité des produits, notamment l’oignon qui est largement consommé au Sénégal. Mor Kabe suggère également de revitaliser les vallées fossiles, qui pourraient constituer une source d’irrigation durable pour les cultures.
NDEYE DIALLO (THIÈS)