Un diplomate aguerri à la tête de la Commission de l'UA

Mahmoud Ali Youssouf, 60 ans, a été élu président de la Commission de l'Union africaine. Fort d'une carrière de plus de 20 ans en tant que ministre des Affaires étrangères de Djibouti, il prendra ses fonctions le 15 mars, succédant au Tchadien Moussa Faki Mahamat.
Mahmoud Ali Youssouf a participé à la médiation de nombreuses crises dans la Corne de l'Afrique, notamment en Somalie, au Yémen et en Éthiopie. Sa nomination est perçue comme une victoire pour Djibouti.
Après sept tours de scrutin, Youssouf a obtenu 33 voix sur 49. L'ex-Premier ministre kényan Raila Odinga était pressenti comme favori, mais sa stratégie de campagne aurait desservi sa candidature. Youssouf parle français, anglais et arabe, ce qui lui a permis d'engranger des soutiens importants. Il a souligné l'importance d'accélérer les réformes au sein de l'UA et de rétablir la paix sur le continent. Il prend ses fonctions dans un contexte de crises multiples en Afrique, notamment le conflit dans l'est de la RD Congo.
Le président djiboutien, Ismaïl Omar Guelleh, a exprimé sa fierté et sa gratitude envers les chefs d'État pour leur confiance en Youssouf. Youssouf lui-même a déclaré mesurer la gravité et l’ampleur du défi qui l’attend, se disant ‘’submergé par l’émotion’’.
La défaite de Raila Odinga à la tête de l’UA : un revers diplomatique pour le Kenya
La candidature de Raila Odinga, soutenue par le Kenya pour le poste de président de la Commission de l’Union africaine, s’est soldée par un échec retentissant. Alors que Nairobi semblait confiant dans la victoire de son candidat, c’est finalement le Djiboutien Mahamoud Ali Youssouf qui a été élu.
Plusieurs facteurs expliquent cette déconvenue kényane, notamment des erreurs diplomatiques, des divisions internes et des positions controversées en matière de politique étrangère.
L’arrogance et les maladresses diplomatiques
Dès les prémices de la campagne, le Kenya a affiché une assurance jugée excessive par de nombreux observateurs. La ‘’garden-party’’ organisée dans les jardins de l’ambassade kényane à Addis-Abeba, à laquelle une centaine de fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères avaient été conviés, a été perçue comme un signe d’arrogance. Cet événement, annulé après la défaite, a laissé un goût amer dans les couloirs de l’UA, où plusieurs délégations ont exprimé leur agacement face à ce qu’elles considéraient comme une présomption de victoire, renseigne ‘’Jeune Afrique’’.
Les maladresses du président kényan William Ruto n’ont rien arrangé. Lors de la réunion du Conseil de paix et de sécurité (CPS) le 14 février, Ruto a salué le président angolais João Lourenço et le secrétaire général de l’ONU António Guterres, mais a ignoré la Première ministre congolaise Judith Suminwa Tuluka, pourtant présente. Ce geste, interprété comme un manque de respect, a renforcé l’image d’un Kenya distant et peu soucieux des sensibilités régionales.
Des positions controversées sur Gaza et la RDC
L’engagement inconditionnel de William Ruto en faveur d’Israël, notamment dans le contexte du conflit à Gaza, a suscité de vives critiques. Le président sud-africain Cyril Ramaphosa, soutenu par la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC), a été particulièrement irrité par cette position. Cette divergence a conduit la SADC à retirer son soutien au candidat kényan, préférant reporter ses voix sur le Djiboutien, après l’élimination du Malgache Richard Randriamandrato.
De même, le soutien affiché de Ruto au Rwanda, accusé d’appuyer les rebelles du M23 dans l’est de la RDC, a exacerbé les tensions. La Première ministre congolaise Judith Suminwa Tuluka a joué un rôle clé en convainquant plusieurs pays francophones de respecter leurs engagements en faveur de Djibouti, renforçant ainsi l’isolement diplomatique du Kenya.
Divisions internes et campagne inefficace
La campagne kényane a également été minée par des divisions internes. Les partisans de Raila Odinga, déjà candidat à la Présidentielle de 2027 dans son pays, n’ont pas hésité à saboter sa candidature à l’UA. Sur les réseaux sociaux, certains ont même appelé les délégués africains à voter pour le candidat djiboutien, accusant Nairobi de tentatives de corruption pour influencer le vote. Ces divisions ont affaibli la crédibilité d’Odinga, déjà perçu comme un candidat âgé et peu préparé.
En effet, lors du débat ‘’Madjala Africa’’ organisé le 13 décembre 2024, Odinga a déçu en se contentant de revenir sur l’histoire du continent plutôt que de présenter un programme concret. En revanche, Mahamoud Ali Youssouf a impressionné par sa maîtrise des dossiers, sa polyglossie (français, anglais, arabe) et son respect des temps de parole.
Une campagne djiboutienne intelligente et discrète
Face aux erreurs kényanes, la campagne djiboutienne s’est distinguée par son efficacité et sa discrétion. Mahamoud Ali Youssouf a su convaincre en misant sur son expérience diplomatique et sa connaissance des rouages de l’UA. Sa victoire, saluée par le président djiboutien Ismaël Omar Guelleh comme une ‘’première pour un pays arabe et islamique d’Afrique’’, marque un tournant dans l’histoire de l’organisation panafricaine.
La défaite de Raila Odinga est un coup dur pour le Kenya, qui espérait renforcer son influence sur la scène continentale. Elle met en lumière les limites d’une diplomatie perçue comme arrogante et maladroite, ainsi que l’importance de l’unité et de la cohérence dans les campagnes électorales. Pour l’UA, cette élection marque le début d’une nouvelle ère, portée par un leader consensuel et déterminé à relever les défis du continent.