Publié le 11 Jan 2012 - 16:14
MAMOUDOU IBRA KANE, À L'OCCASION DU 8e ANNIVERSAIRE DE GRAND JURY

''Sauf Wade n'est pas passé à l'émission''

 

 

Comment êtes-vous arrivé à crédibiliser l'émission au fil du temps ?

 

Pour moi, le premier élément de crédibilité de l'émission est de tenir bon, de tenir le plus longtemps possible, parce qu'il est très facile de faire une ou deux émissions qui cartonnent et puis d'être dans l'incapacité de faire une troisième.

 

Depuis, l'émission Grang Jury est régulièrement diffusée. La deuxième chose, je m'étais dit avec les confrères de l'époque qu'il fallait avoir des invités de qualité et faire en sorte qu'elle soit une émission dans laquelle il y a souvent des révélations, une information que les gens n'ont pas encore, que l'invité qui arrive soit une personnalité politique ou de la société civile qui donne une ou deux informations que les populations n'ont pas entendues jusqu'ici. La primeur donc au Grand Jury.

 

Mais aussi de faire en sorte que l'émission soit adoptée par l'ensemble de mes collaborateurs, en demandant leur avis ou des propositions d'invités. L'autre chose que j'ai essayé de développer, c'est que cette émission - sans demander quoi que ce soit aux confrères - soit reprise sous forme de synthèse dans les différents quotidiens du lundi et, parfois, par certaines agences de presse comme l'APS (Agence de presse sénégalaise).

 

Il est arrivé même que des agences de presse étrangères reprennent certaines émissions. J'ai essayé de faire en sorte que ce soit l'émission la plus ouverte possible, de recevoir des personnalités sénégalaises mais aussi étrangères. C'est ainsi que des diplomates comme l'ambassadeur de France, des États unis, d'Israël, etc., ont été reçus, ou des personnalités africaines comme Issa Hayatou, l'ancien Premier ministre togolais Edem Kodjo et d'autres. À chaque fois, j'essaie de profiter des opportunités qui s'offrent parce qu'il y a des personnalités étrangères qui viennent ou s'établissent au Sénégal.

 

Enfin, en y associant, dès le départ, nos confrères de Nouvel Horizon et du Quotidien, cela donnait une garantie, parce que c'était ça aussi le deal, que l'émission soit diffusée sur RFM, mais fasse l'objet d'une synthèse dans le journal Le Quotidien mais aussi dans Nouvel Horizon, qui était certes un hebdomadaire mais qui faisait de temps en temps un petit clin d’œil à Grand Jury dans sa livraison de la semaine. Tout cela a permis à l'émission de très vite avoir de l'audience mais aussi d'être un rendez-vous du dimanche pour les auditeurs.

 

 

Dans quel contexte est né Grand jury ?

 

L'émission a été créée dans un contexte de démarrage des programmes de la RFM en septembre 2003. Il s'était agi, pour chacun de nous en tant que journaliste, de réfléchir sur un concept d'émission. C'est comme cela que j'ai eu à échanger avec mes collaborateurs, même à échanger avec des confrères qui ne sont pas de Futurs médias comme Mamadou Alpha Diallo, Issa Sall de Nouvel Horizon, Daouda Ndiaye, ancien directeur général de la RTS, Madiambal Diagne patron du Quotidien, entre autres.

 

Je leur ai dit que je souhaiterais lancer une émission socio-politique qui s'appellerait le Grand Jury et qui aurait comme acteurs trois journalistes, moi-même en tant que journaliste de la RFM, un confrère de la télévision ; j'en avais parlé d'ailleurs à Daouda Ndiaye car, à l'époque, il n'y avait pratiquement pas de télévision privée, il n'y avait qu'une seule chaîne, la chaîne publique, RTS.

 

J'ai finalement opté pour Nouvel Horizon et Le Quotidien parce que, à un moment donné, j'avais senti que la RTS n'était pas prête à faire cette émission avec nous. L'idée a séduit les confrères de Nouvel Horizon et du Quotidien. On a retenu le nom ''Grand Jury'' et on a discuté de l'heure et du jour de diffusion ; je me souviens que c'est Issa Sall qui a sorti cette idée, que j'ai trouvée géniale, en me disant : ''Si on regarde bien, la plupart du temps, des émissions comme ça sont faites le week-end, les après-midi''. Issa Sall a dit : ''Mais pourquoi ne pas faire ça durant la matinée du dimanche autour de 11h ? Parce qu'à cette heure, les gens sont déjà réveillés, c'est un peu une heure avant les éditions d'information de 12h au niveau des différentes radios ; donc 11h serait une très bonne heure d'écoute''.

 

C'est comme ça qu'on a commencé l'émission et, je me souviens d'ailleurs, avec l'ambition à l'époque - j'en avais discuté bien entendu avec le promoteur de Futurs médias Youssou Ndour - de voir s'il n'était pas possible d'avoir une collaboration avec CFI (Canal France international), TV5 pour que cette émission soit diffusée éventuellement sur une chaîne internationale.

 

 

Avec quels journalistes avez-vous démarré l'émission ?

 

Au tout début, il y avait pour Nouvel Horizon Sidy Diop, rédacteur en chef, Madiambal Diagne, directeur de publication du Quotidien et moi-même. Nous avons lancé l'émission en décembre 2003. Malheureusement, au fil du temps, les confrères n'étaient plus assidus pour des raisons qui leur étaient propres. Il y avait aussi un peu les contraintes du dimanche.

 

Me retrouvant seul, je me suis dit que l'émission existe déjà, et que sa crédibilité sera fortement liée à sa durée, sa durabilité. Et voilà qu'elle existe depuis 8 ans, avec quelques modifications de temps en temps ; à un moment, on a initié ce qu'on a appelé 'l'invité surprise' qui venait en studio ou intervenait parfois au téléphone durant les 5 dernières minutes.

 

Cet invité pouvait être journaliste, écrivain, acteur politique ou de la société civile. Cela constituait une surprise pour l'invité principal de l'émission, car il ne savait pas au préalable qui allait intervenir et qui allait lui poser des questions. Il y a eu aussi le portrait qui ouvrait l'émission. Je me souviens que des confrères comme Jean-Pierre Corréa ou Mame Maty Fall (alias Maty trois pommes) ont eu à collaborer, à signer le portrait de l'invité. Voilà en résumé le contexte dans lequel est née l'émission.

 

 

 

Combien de personnalités sénégalaises et étrangères ont eu, à ce jour, à passer devant le Grand Jury ?

 

De nombreuses personnalités. Imaginez que vous avez 52 semaines par an depuis 8 ans. Si vous faites le calcul, c'est quand même plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines de personnalités qui sont venues à l'émission. Pratiquement, toutes les personnalités politiques sénégalaises sont venues à l'émission Grand jury, à l'exception de quelques-unes comme le président de la République (Abdoulaye Wade, NDLR).

 

D'ailleurs, une fois il a été bien question qu'il nous accorde un entretien dans le cadre de l'émission, mais à la dernière minute, il a été annulé. Autrement, toutes les personnalités sénégalaises sont venues à l'émission que je n'ai pas toujours animée. Il faut aussi le relever - c'est le lieu de remercier mes collaborateurs comme Alassane Samba Diop, Antoine Diouf, Macoumba Mbodji - qui ont eu à l'occasion de mes absences à animer, avec le talent qu'on leur connaît, le Grand Jury.

 

 

Comptez-vous apporter des innovations à l'émission ?

 

Certainement. Parce qu'il ne faut jamais dormir sur ses lauriers, si lauriers il y a. Mais tout cela doit quand-même faire l'objet de discussion. Il y a un directeur des programmes, un directeur de la rédaction, un rédacteur en chef et d'autres responsables avec qui je vais échanger et qui, peut-être, auront à me faire des suggestions comme les auditeurs d'ailleurs.

 

C'est en écoutant les uns et les autres qu'on pourrait envisager d'insuffler du sang neuf à cette émission pour lui permettre de continuer à figurer dans la grille des programmes de la RFM, car rien n'est jamais gagné d'avance.

 

 

Est-il possible que cette émission soit adaptée à la télévision de votre groupe ?

 

Avant de répondre à cette question d'adaptation à la télévision, il y a que nous allons vers une élection présidentielle qui sera âprement disputée de plus en plus et au fur et à mesure qu'on s'approche de l'échéance. Donc, on va tenir compte du contexte électoral dans le cadre de l'émission Grand Jury. Maintenant, est-ce que l'émission sera adaptée un jour à la télévision ?

 

J'avoue que dès le départ, j'ai eu une ouverture vis-à-vis des télévisions de la place. J'ai parlé de la Rts mais j'avais oublié aussi, c'est important de le préciser pour l'histoire, de dire que quand il a lancé Canal Info News, Vieux Aïdara m'a approché pour que l'émission soit diffusée sur sa chaîne à la suite bien entendu d'un accord avec RFM. Malheureusement, on n'a pas pu concrétiser cette idée que j'avais trouvée pertinente. Je dois aussi dire qu'à la veille du lancement de TFM, il y a eu des suggestions de ce genre de la part de responsables de Futurs médias, ou parfois d'auditeurs ou de téléspectateurs.

 

Peut-être aussi que c'est une autre émission qu'il faudrait mettre en place en tenant compte des contraintes et des spécificités de la télévision... Rien n'exclut qu'au niveau de Futurs médias, si nous le jugeons pertinent, et en tenant compte des suggestions que nous recevons de part et d'autre, d'adapter le Grand jury à la télévision.

 

 

Quelle a été la personnalité qui vous a le plus marqué pendant les 8 ans d'existence de Grand jury ?

 

Je dois dire toutes. Parce que j'estime qu'il faut respecter ceux et celles qu'on invite. Ce qui m'a peut-être le plus marqué, c'est que j'ai eu peu de femmes dans l'émission. Elles sont au nombre d'une dizaine.

 

Comparées aux hommes, j'estime que c'est très peu. On a eu d'ailleurs à me faire cette remarque et je trouve que je devrais faire beaucoup plus d'efforts en termes d'ouverture vis-à-vis de la gent féminine. Je ne citerai pas de nom parce que ça risque de me créer des problèmes. Je ne peux pas me permettre de dire que tel a été plus brillant qu'un tel autre.

 

 

Au regard de la présidentielle, quel avenir entrevoyez-vous pour la presse nationale avant et après le scrutin de 2012 ?

 

C'est un sujet qui me tient à cœur. Parce que autant j'observe depuis quelque temps la naissance de journaux, autant je pense que si on n'est pas assez prudent, on peut penser à un âge d'or de la presse ou en tout cas à une embellie. Or, cela peut être trompeur. N'oublions jamais qu'à la veille d'un rendez-vous électoral comme une présidentielle, on assiste à une sorte de période de vache grasse qui encourage la naissance de plusieurs journaux.

 

Si on observe bien, il y a beaucoup de journaux qui sont nés au cours de ces six derniers mois et peut-être, on assistera au lancement de radios ou même de télévisions. Mais en même temps, il faut qu'on se pose la question de savoir si ce que nous notons à la veille des élections va se poursuivre au lendemain de ce rendez-vous électoral majeur. Cela m'amène d'autant plus à me poser un certain nombre de questions ; qu'il ne faut jamais oublier que nous traversons, aujourd'hui, au niveau mondial, une crise financière dans les pays occidentaux, particulièrement en Europe.

 

Et il faut relever qu'à chaque fois qu'il y a une élection, l'État a tendance à faire des dépenses de prestige, à tenter de régler la demande sociale et il peut-être amené à vivre au-dessus de ses moyens. Tout cela, il faudra le payer un jour. Et la presse qui n'évolue pas sera forcément affectée par cette conjoncture économique qui risque de se présenter au lendemain de l'élection présidentielle. Quand on sait que les intrants, comme le papier, utilisés par la presse viennent de l'étranger et dans un contexte où il y a de folles rumeurs de la dévaluation du F Cfa, tout cela doit amener les médias sénégalais à être beaucoup plus vigilants en se demandant si on ne risque pas d'assister à une crise des médias.

 

À mon avis, cela mérite une réflexion stratégique au niveau de la presse sénégalaise. Les acteurs de la presse doivent initier ce débat auquel je suis moi-même partisan. Refuser d'instaurer ce débat au stade où nous sommes, c'est prendre de gros risques. Il faut aller dans ce sens pour être à l’abri d'une mauvaise surprise.

 

Assane MBAYE

 

 

 

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