Publié le 3 Oct 2012 - 09:45
MAMOUR CISSÉ (SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DU PSD-JANT BI)

«Le gouvernement a grugé tout le monde car il a besoin d’argent»

 

Dans le style tranchant qui est le sien, l'ancien ministre d'Etat sous Wade étale ses déceptions face à la gouvernance Sall qu'il accuse d'escroquerie politique caractérisée, avec un programme Yoonu Yokkute jusqu'ici pas chiffré. Au passage, Mamour Cissé juge comme «pas sérieuses» les raisons avancées pour élargir la taille du gouvernement.

 

 

 

Vous avez participé à la cérémonie de remise de Prix du Forum pour la renaissance africaine (FORA) à Me Abdoulaye Wade. Mais certains ont remis en cause la crédibilité de cette distinction.

 

Il faut un début à toute chose. De ce point de vue, il faut saluer ce Prix qui, je pense, vient à son heure, pour la bonne et simple raison qu’on a l’habitude de dire «comparaison n’est pas raison». Quand le premier Prix Nobel de la Paix a été octroyé, peut-être qu’il a suscité beaucoup de vagues. Il nous appartiendra, nous intellectuels africains de la diaspora, de donner un contenu à ce prix. Pour le cas, c’est moins le prix qui est important que ce qui le sous-tend. C’est-à-dire cette belle transition démocratique alors qu’on nous promettait des larmes et du sang. Abdoulaye Wade, jusqu’à preuve du contraire, a accepté sa défaite malgré tout ce que l’on peut en dire.(…)

 

N'était-ce pas une manière de redorer le blason d’un ancien président de la République dont la gestion a été très critiquée ?

 

Qu’on le veuille ou non, ce Prix a le mérite, au moins, de permettre au récipiendaire de s’exprimer sur un certain nombre de sujets, de donner sa vision, de prendre de la hauteur par rapport aux problèmes du Sénégal. Il nous a interpellés sur la problématique du développement de l’Afrique en général, de la sous-région en particulier. Il a eu à donner des sillons en homme sage respecté et respectable. Sous son magistère, il y a eu des avancées en matière d’infrastructures, le plan sésame, la généralisation des bourses aux étudiants,etc. Je ne dirais pas que tout est rose. Le penser, c’est même défier Dieu. Aux nouveaux dirigeants de corriger les manquements et de s’inscrire durablement dans une harmonie.

 

Comment analysez-vous votre défaite du 25 mars 2012 ?

 

Les Sénégalais ont plus sanctionné qu’élu quelqu’un pour la bonne et simple raison qu’il y a une vaste coalition qui a tout fait pour déboulonner Abdoulaye Wade. Cette coalition avait aussi une connotation internationale ; la France, les Etats-Unis ont été piégés dans cette dynamique-là.

 

Pourquoi «piégés» ?

 

Parce que, aujourd’hui, ils se rendent compte qu’il y a plus de mots qu’autre chose. Le tâtonnement et le pilotage à vue constatés aujourd’hui dérangent même nos partenaires étrangers. Ils ne savent pas quel est le cap que suit ce gouvernement-là.

 

Ce n’est pas ce que l’on voit. Le gouvernement de Macky Sall signe plusieurs accords.

 

Tous ces accords-là étaient dans la short-liste (de l’ancien régime). Ils étaient catalogués et présentés dans le budget 2011 à l’Assemblée nationale. Cette élection (NDLR : présidentielle de février-mars 2012) a fait que beaucoup de dossiers ont été gelés. Ce n’est pas pour rien que le président Wade a eu son projet de livre sur les projets inachevés. Allez voir à la DDI (Direction de la dette et des investissements), ils vous le confirmeront. Ils ne nous apprennent rien. Le président de la République a annoncé la construction de la route Kaolack-Vélingara-Matam. Cela existait déjà!

 

Il y a quand même le principe de la continuité de l’Etat…

 

Quand cela les arrange, ils parlent du principe de la continuité de l’Etat. Mais qu’ils aient l’honnêteté et la décence de dire qu’ils ont trouvé ces projets ici. En dehors du Millenium challenge account (MCA), qui n’est pas une nouveauté, il n’y a pas autre chose. Encore que ce projet est une chimère.

 

Pourquoi ?

 

On ne peut pas développer le Sénégal avec l’argent des Etats-Unis. Est-ce qu’ils ont développé l’Égypte et Israël avec tout ce qu’ils ont fait dans ces pays-là ? Le développement du Sénégal se fera à l’interne avec les fils du pays.

 

Comment ?

 

Avec une relance de l’activité économique en se basant sur une préférence nationale. Il faudra dans des secteurs essentiels une «dé-protection» judicieusement sélective. Penser un seul instant que le Sénégal, qui joue en minime dans la mondialisation, peut entrer en compétition avec des pays comme la Chine, l’Inde et les Etats-Unis est pure illusion. Il nous faudra aujourd’hui avoir une volonté politique et avoir des balises. Indiquer clairement, par exemple : «Je veux développer tel secteur. Voici les efforts que nous devons faire à l’interne, voici ce que je demande aux Sénégalais». Ensuite donner les moyens d’arriver à cela.

 

Apparemment, la déclaration de politique générale d’Abdoul Mbaye ne vous a pas convaincu.

 

Non pas du tout. Il n’a pas été pragmatique. Il a survolé son discours de politique générale. J’ai l’impression qu’il ne veut gérer le pays que par la pression fiscale. Or, la pression fiscale est intéressante tant que c’est un levier qui nous permet d’influer ou de corriger. Le gouvernement a grugé tout le monde parce qu’il a besoin d’argent pour assurer les dépenses de fonctionnement alors que les impôts sont pour les investissements. Un développement ne peut se réaliser sans une industrialisation basée sur des actifs réels. Aujourd’hui, les Sénégalais sont en train de déchanter. Ils ne voient pas de boussole. Le programme Yoonu Yokkute n’a pas été chiffré. On ne sait pas quelles sont ses préoccupations à court, moyen et long terme. La vaste escroquerie était de nous dire, à l’arrachée d’ailleurs : «Oui, nous avons diminué les prix des denrées». Qu’est-ce qui a diminué ? C’est grave ! Ces gens ne font que de la communication.

 

Le pays connaît quand même un déficit de 400 milliards que vous avez légué à vos successeurs.

 

Gouverner, c’est prévoir. Je pensais qu’il était venu avec un programme Hollande (NDLR : François, le président français). Ce Monsieur, quel que soit l’environnement économique, est en train de poser des actes à partir de son programme. C'est comme cela que l'on gère un pays ! Moi je suis pour les déficits. Je suis Keynésien. En un moment, l’Etat a l’impérieuse nécessité et le devoir de relancer l’activité pour faire de la croissance. J’entends le ministre des Finances s’autoglorifier en disant qu’il va ramener le déficit budgétaire à 3%. C’est extrêmement grave, surtout dans un pays comme le Sénégal où nous n’avons pas un tissu industriel.

 

Quels sont les leviers sur lesquels l’Etat doit alors s’appuyer pour booster l‘économie ?

 

Par exemple, les travaux à haute intensité de main d’œuvre pour créer de la richesse. Comprenez que c’est mon projet qui est en train d’être déroulé par la mairie de Dakar. Le projet de pavage des rues, c’est mon programme en tant que candidat à la mairie de Dakar. J’ai eu cet accident qui m‘a empêché de participer à ces élections. Mais cela ne m’a pas empêché de proposer le projet et Khalifa Sall l’a utilisé. C’est une bonne chose. C’est comme cela que je conçois les choses. Il ne suffit pas de critiquer mais aussi de proposer. D’autre part, il y a un secteur qui peut nous permettre vraiment d’atteindre des objectifs de croissance accélérée, c’est le secteur de la confection et de l’habillement. En l’Afrique de l’Ouest, tout le monde a conscience qu’il y a une division du travail. Pour atteindre par exemple le marché nigérian qui fait 280 millions d’habitants, il faut qu’il y ait des mesures incitatives. Car les tissus basins qui viennent du Mali sont confectionnés au...Sénégal.

 

Que pensez-vous de la Cour contre l’enrichissement illicite ?

 

Je n’ai rien contre. Celui qui commet une faute doit rendre compte, mais sans bruit. On ne gère pas une affaire avec du bruit. Cela ne fait que refroidir les investisseurs. Quand un investisseur vient aujourd’hui dans un pays, il veut partager les risques avec l’homme d’affaires sénégalais. S’il se dit que du jour au lendemain, cet homme d'affaires sénégalais qui est son partenaire pourrait se retrouver en prison, il n'investit pas, c'est clair.

 

Et la transparence dans tout ça ?

 

Mais ce que les gens oublient, c’est que la Banque mondiale et le FMI n’ont jamais critiqué les fondamentaux de Wade jusqu'à maintenant. Pourquoi célèbre-t-on aujourd’hui Abdoulaye Diop (NDLR : ministre de l’Économie et des Finances de Me Wade pendant 11 ans) ? J’ai ouïe dire que Macky Sall lui a tressé des lauriers. Cela veut dire qu’ils n’ont fait que raconter des histoires aux Sénégalais. Les fondamentaux de base étaient bel et bien là. On payait les salaires, la dette était soutenue parce qu’on est à moins de 30% du PIB. C’est une excellente chose. Cela veut dire que la signature du Sénégal est bonne.

 

Macky Sall a annoncé l’augmentation de la taille du gouvernement pour, dit-il, tenir compte des équilibres ethniques et géographiques.

 

Comme si gouverner n’est pas prévoir. Pour quelqu’un qui a eu à gérer le pays - Macky Sall a été Premier ministre pendant 3 ans, puis président de l’Assemblée nationale - c’est un faux débat. Ce n’est pas sérieux ! L’image que nous renvoyons aux populations, c’est qu’il faut tout faire pour être élu. Une fois élu, on n’est plus comptable des engagements que nous avions pris. Macky Sall ne pouvait-il voir et entrevoir tout cela ? De qui se moque-t-on ? Ce n’est pas sérieux ! Les Sénégalais se sont rendu compte qu’ils ont été bernés. On leur a vendu du toc.

 

En tant qu’ancien ministre d’Etat, comment appréciez-vous la diplomatie sénégalaise ?

 

Je sens des actes qui sont posés. La nomination de Mankeur Ndiaye comme ambassadeur du Sénégal en France est une bonne chose. Le fait de déployer des ambassadeurs très avertis dans les grandes capitales européennes, américaines, asiatiques et africaines pour faire du lobbying me semble pertinent. Mais les meilleurs diplomates doivent être ceux en fonction dans la sous-région ouest-africaine. Je vois que le pouvoir est en train de rectifier le tir en plaçant des agents des Renseignements généraux au niveau de nos frontières. Mais il y a des points discutables.

 

Lesquels ?

 

Le fait que le Sénégal dise qu’il n’enverra pas de troupes au Mali. Il faut bien comprendre que ma sécurité dépend d'abord de la situation de mon voisin. C’est un principe élémentaire et une question de survie. Nous avons tous intérêt à nous intéresser à ce qui se passe au Nord du Mali. La solution de dialogue est dépassée comme l’a dit le secrétaire général de la Francophonie, Abdou Diouf. Il faut cerner le mal, le tuer dans l’œuf une fois pour toutes. Dans la mesure où le Sud de notre pays est notre ventre mou, il ne faut pas jouer avec ça.

 

Vous avez des origines gambiennes. Que pensez de la crise diplomatique entre le Sénégal et la Gambie ?

 

Ce qui se passe en Gambie me pose problème doublement. Je le reproche autant à l’ancien régime qu'au nouveau pouvoir. On dit qu’on ne peut pas faire de la politique en dehors des réalités. Le Sénégal avait énormément de moyens coercitifs pour pousser la Gambie à changer d’attitude, il ne l'a pas fait. Aujourd’hui, Macky Sall est en train de corriger des erreurs pour ne pas dire des fautes qui ont été commises à l’entame de son magistère. Que le président gambien se permette d’insulter l’ancien président du Sénégal, ça me pose problème. C’est inadmissible...

 

Quelle démarche adopter ?

 

Le Sénégal doit adopter une attitude de fermeté face à la Gambie qui est un obstacle aujourd’hui au règlement du conflit en Casamance. Nous devons interpeller la communauté internationale pour dire que ce monsieur-là, Yaya Jammeh, n’est pas un démocrate. S’il faut contourner la Gambie, qu’on le fasse pour l’asphyxier financièrement. L’Afrique n’a pas besoin de despote éclairé. Au risque de choquer plus d’un, on doit tout faire pour créer les conditions du départ de ce bonhomme.

 

 

PAR DAOUDA GBAYA

 

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