''Le chasseur d'émotions...''
Il a 43 ans et tout l'avenir devant lui. Mais à regarder dans le rétroviseur de son passé, l'on ne peut manquer de contempler une carrière exceptionnelle, tissée dans la durée, à l'épreuve de la vie. Mao Otayeck est un musicien à part. Riche de ses métissages, physique et culturel.
Podium, fer de lancement...
Retour dans les années 80, ''il y a eu ce grand concours qui s'appelait ''Podium''. C'était un concours qui réunissait différents groupes de musiciens en Côte d'Ivoire. C'est un peu l'équivalent d'Oscars des Vacances au Sénégal. Il y avait des manches avec 5 groupes. Après on organisait une demi-finale , puis une finale. Nous qui étions passionnés de musique, c'était cela nos vacances. C'était un événement très populaire. Meiway est sorti de cette émission. Cette émission forgeait des vocations''.
Loin du coupé-décalé qui, selon Mao, est un genre assez ''batard'', Mao rencontre de grands noms de la musique comme François Louga qui a connu le succès jusque dans les années 90 où, avec la montée en force des chanteurs de Zouglou, la vieille garde qu'il incarne alors avec Amédée Pierre, Allah Thérèse et bien d'autres voit son succès relativisé. Louga avait assis son autorité sur la scène ivoiriene au point de se faire nommer «Papa National». Il meurt en décembre 1997. Mao se souvient bien : ''C'était la pop musique qui prédominait. On faisait beaucoup de recherches''.
C'est à cette époque qu'il commence à se forger réellement. Dans le pipeline de ses rencontres-références, il y a aussi Marcellin Yacé un producteur, musicien et arrangeur ivoirien, né à Treichville, un des quartiers populaires d'Abidjan et mort en 2002. Il a marqué de son empreinte de génie plusieurs générations de musiciens et de mélomanes. En effet, jusqu'à son décès en septembre 2002, Marcellin s'est construit et a maintenu au plus haut niveau, une réputation «d'arrangeur à la touche magique» de «faiseur de hits».
La liste des artistes musiciens qui ont bénéficié de son génie musical est très longue. Sa solide formation musicale a fait de lui un musicien très versatile pouvant aisément créer tout un album de hit zouglou ou reggae (exemples : les poussin choc, Serge Kassi), assurer les arrangements et l'exécution des parties de flûtes, saxophones, et synthétiseurs lors de multiples tournées dans le monde. Marcellin Yacé a été abattu aux premières heures de la tentative de coup d'État qui a dégénéré en une longue guerre civile, le 19 septembre 2002 à la Cité des arts (Cocody, Abidjan) au sortir duStudio Yacé Bros)
''Il jouait tous les instruments. J'ai joué avec lui. Je faisais des maquettes pour des gens... Tout cela, c'était la passion ; même si on me donnait 10 centimes, cela importait peu. C'était mon plaisir. Mais dans ce plaisir, je voulais apprendre'', confie Mao. Tout jeune, il s'installe à Paris en 1989 et s'y renforce professionnellement. ''J'y suis resté jusqu'en 2006. J'ai joué avec Cheikh Tidiane Seck, un Malien qui est l'un des plus grands arrangeurs de sa génération. Il a arrangé Oumou Sangaré, Salif Keita et d'autres. J'ai travaillé avec Tony Allen, le batteur de Féla Kuti.
''D'Alpha Blondy à Stewie Wonder...''
Le jeune Mao grandit et très vite. L'expérience avec Alpha Blondy qu'il a côtoyé tout petit, se renouvelle, mais en France. ''En quittant Abidjan, on a eu un contrat avec un groupe pour jouer en France et j'y suis resté même si le projet n'avait pas abouti. J'ai commencé à jouer et un jour on m'a appelé. Il fallait remplacer au pied levé un guitariste qui était malade. Je devais accompagner Alpha. Je connaissais ses morceaux. En 3 jours, il fallait bosser un répertoire de 20 titres. On a répété et c'était parfait. Avant les concerts, en répétition, Alpha est venu et a demandé après Christian son guitariste malade. Il était fâché et est sorti en claquant la porte. Il est revenu après et a demandé qu'on arrête la musique. Il m'a demandé qui j'étais, sur un ton pas sympathique. On m'avait prévenu. Je lui ai dit que j'étais Mao Otayeck. Quand il a entendu Otayeck, il a dit pardon et j'ai répété. Il m'a demandé si j'étais le petit frère de Georges et j'ai dit oui. Et il a dit : c'est le guitariste qu'on attendait depuis des années. Je suis resté avec eux pendant 12 ans. Cela s'est passé en 1993. Je suis resté douze ans avec lui comme chef d'orchestre''.
Alpha difficile à vivre ? ''Non franchement pas du tout. Il a une forte personnalité mais il est très cool. Des gens ont raconté n'importe quoi sur lui. Pendant 12 ans, on n'a jamais raté un concert. Les rares fois où c'est arrivé, c'est parce qu'on n'a pas été payés. L'avance n'était pas faite comme stipulé dans le contrat. Son expérience avec Blondy le marque de façon indélébile. ''On a parcouru le monde. C'est extraordinaire. Au Brésil, il joue devant 80 mille personnes. Il est professionnel. Je communique encore avec lui''.
Il fera donc le chemin avec Blondy jusqu'à ce que la crise s'installe en Côte d'Ivoire. ''Ses dernières prises de position ne plaisaient pas trop'', confie-t-il, avec un brin de pudeur. Comme un aventurier, guitare en bandoulière, Mao Otayeck s'oriente vers Stevie Wonder. ''Il m'a en quelque sorte débauché, après avoir écouté ma musique'', raconte-t-il. ''Stewie est à la pointe de la technologie. Il a des logiciels interactifs qui lui parlent. Je suis resté presque cinq ans aux Usa. On a fini l'album et le problème, c'est que le label en question n'a jamais vu le jour. On a fait l'album...''. Mais aux Etats-Unis, il ne fait pas qu'améliorer sa touche à la guitare. Ils ont un taux d'avance sur tout le monde. ''C'est extraordinaire à mon arrivée à Los Angeles, j'ai rencontré tous ces rêves que j'avais. Tout ce dont je rêvais, je le trouvais là, éveillé. On a travaillé ensemble pendant 3 ans sur mon album. Stewie était comme un grand-frère''.
Chasseur d'émotions
Aujourd'hui encore, Mao Otayeck est toujours à la recherche de nouveauté et de sensations puissantes. ''Si on chante quelque chose et que, soi-même, on ne ressent rien, ça ne va pas passer! Ça, c’est une première chose. Dans tout ce qu’on fait, les paroles, la mélodie, il faut penser à la réaction du public, à l’émotion… C’est vrai qu’aujourd’hui, il y a aussi cette tendance des radios à passer 50 fois les mêmes morceaux qui vous les fait littéralement rentrer dans la tête'', confie Mao., pour qui ''les médias sont devenus incontournables'', même s'ils se contentent souvent de rester à la superficie.
Mais Mao, riche de ses 41 ans, ne désespère pas de l'avenir de la musique en Afrique. ''Oh, je suis optimiste! Même s’il y a des galères et tout, on ira vers le mieux… Tout est à faire, en Afrique. Il suffit d’une volonté politique pour, par exemple, résorber le gap infrastructurel. En Europe, il y a eu des chantiers, ils ont travaillé… Au Sénégal, en Côte d’Ivoire partout, on attend… Il faut une vraie structure chargée du recouvrement des droits d’auteurs, de droits de interprètes… ça viendra''. Quand ? (Rires). ''On espère avant 5 ans. L’Afrique, c’est l’avenir et l’avenir, c’est l’Afrique. Y a de la force, de l’énergie, de l’espoir sur le continent. Le prochain siècle, c’est le siècle africain, j’en suis sûr et certain'' confie l'artiste Mao qui travaille avec le groupe Milim et Maréma Fall, une jeune chanteuse, capable, selon lui, de ''dépasser les frontières sénégalaises''...
Bigué BOB
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