Publié le 6 Mar 2025 - 16:03
Mardi gras au Sénégal

Quand le suivisme culturel occulte le sens et les valeurs

 

Le Mardi Gras, cette fête marquée par les déguisements et les festivités, a progressivement trouvé sa place au Sénégal. Ce qui intrigue — et parfois questionne — c'est l'enthousiasme avec lequel des familles, souvent musulmanes, s'y adonnent sans réellement en comprendre l'origine ou le sens. Ce phénomène révèle des dynamiques profondes de suivisme culturel, d'ignorance des traditions et d'une quête effrénée de paraître. Alors, que cache vraiment cette frénésie du déguisement dans notre société ?

*Un peu d'histoire : aux origines du Mardi Gras*

Le Mardi Gras puise ses racines dans des traditions bien plus anciennes que les costumes étincelants et les défilés modernes. À l'origine, cette fête était liée aux célébrations païennes de l'Antiquité, telles que les Saturnales romaines. Ces festivités étaient marquées par l'abondance, les masques et l'inversion des rôles sociaux — un espace-temps où l'ordre habituel était suspendu.

Avec l'arrivée du christianisme, ces pratiques païennes furent récupérées et réinterprétées. Le Mardi Gras devint le dernier jour de liberté avant le Carême, cette période de quarante jours de jeûne et d'abstinence destinée à préparer les fidèles à la fête de Pâques. Le terme même de "Mardi Gras", qui signifie "Fat Tuesday", renvoie à la tradition de consommer des plats riches en graisse — crêpes, beignets, viande — avant d'entamer le jeûne. Ainsi, au-delà des costumes et des paillettes, le Mardi Gras possède une dimension spirituelle et symbolique profonde, liée à l'idée de se purifier après les excès, de méditer et de se recentrer sur l'essentiel.

*Réflexion* : Peut-on réellement adopter une pratique sans en comprendre les racines ni le sens profond ? Cette ignorance ne nous prive-t-elle pas d'une partie de sa richesse ?

*Cette année, un Mardi Gras plus discret : entre le Ramadan et la morosité économique*

Nous sommes au quatrième jour du Ramadan, et force est de constater que le Mardi Gras 2025 a été célébré plus discrètement que les années précédentes au Sénégal. La morosité économique combinée au mois sacré du jeûne semble avoir tempéré les ardeurs autour des déguisements et des festivités. Ce contraste avec les années passées invite à une réflexion plus profonde.

Le Ramadan, période d'introspection, de retenue et de solidarité, rappelle l'importance de recentrer ses priorités sur l'essentiel. Cette sobriété, même forcée, pourrait être perçue comme une opportunité de redéfinir nos pratiques et de questionner le sens de certaines traditions adoptées par pur mimétisme. Peut-être est-ce l'occasion d'apprendre à distinguer ce qui nourrit l'âme de ce qui ne fait qu'éblouir les regards.

*Réflexion* : Et si cette accalmie autour du Mardi Gras n'était pas seulement le reflet d'une économie en difficulté mais aussi une invitation discrète à réévaluer nos priorités et à redécouvrir des valeurs plus profondes ?

*L'illusion de la modernité : un suivisme culturel inquiétant*

Dans les écoles et les rues de Dakar, le Mardi Gras est devenu un véritable concours de tenues. Les mères rivalisent d'efforts pour que leurs enfants arborent les costumes les plus éclatants et les plus originaux. Pourtant, interrogez ces mêmes mères sur l'origine ou la signification de cette fête, et vous obtiendrez souvent des réponses vagues. Le suivisme culturel semble être la réponse. Dans une société où l'image et l'appartenance sociale priment, adopter des pratiques considérées comme "branchées" est devenu une norme. Les mères, conscientes du regard des autres et influencées par les réseaux sociaux, préfèrent suivre la tendance plutôt que de s'interroger sur sa pertinence.

Il est important de préciser que le problème n'est pas le Mardi Gras en lui-même, qui reste une fête riche de sens et de traditions pour de nombreux chrétiens, mais plutôt l'adoption aveugle de cette pratique par des familles qui en ignorent les fondements.

*Réflexion* : La véritable modernité ne devrait-elle pas reposer sur la capacité à choisir librement ses pratiques en connaissance de cause, plutôt que sur un suivisme aveugle ?

*Se ruiner pour des déguisements : un coût social préoccupant*

Le plus troublant n'est pas tant l'adhésion au Mardi Gras que l'ampleur des dépenses qui y sont associées. Entre les costumes achetés à prix d'or, les accessoires et parfois même les séances photo, certaines mères n'hésitent pas à se ruiner pour satisfaire un idéal éphémère. Cette course effrénée au paraître met en lumière un problème de priorités. Les dépenses engagées pour des costumes d'un jour interrogent sur le sens que l'on donne à l'argent et aux valeurs que l'on transmet à ses enfants. Car au-delà des déguisements, c'est une vision de la vie que l'on inculque : celle où l'apparence prime sur le fond.
               
*Réflexion* : Et si ces sommes étaient investies dans des activités éducatives, des livres, ou des ateliers qui enrichiraient réellement les enfants ?

*L'impact insidieux sur les enfants : le culte de l'apparence*

Les enfants, principaux protagonistes de cette fête, en ressortent-ils gagnants ? Pas si sûr. Derrière les sourires et les costumes se cache un apprentissage insidieux : celui de la recherche de validation sociale à tout prix. Un enfant qui grandit dans cette atmosphère risque d'assimiler l'idée que l'essentiel est d'être vu et admiré, plutôt que d'être cultivé et réfléchi. Il ne s'agit pas de prôner l'austérité, mais d'interroger la signification de ces pratiques et les valeurs qu'elles véhiculent. En l'absence d'une explication claire, les enfants risquent d'associer fête et superficialité plutôt que partage et réflexion.

*Réflexion* : N'est-il pas plus urgent d'inculquer aux enfants le goût du savoir et de la réflexion plutôt que celui de l'apparence et du superficiel ?

*Quand le sens se perd : une fête sans âme ?*

Fêter le Mardi Gras sans en comprendre l'origine revient à consommer sans conscience. Ce phénomène illustre plus largement une tendance inquiétante au consumérisme culturel, où les pratiques sont adoptées pour leur esthétique plutôt que pour leur sens.

Encore une fois, il ne s'agit pas de critiquer le Mardi Gras, qui a toute sa place dans les communautés chrétiennes, mais de questionner le manque de discernement dans l'adoption de pratiques culturelles étrangères sans compréhension ni adaptation aux valeurs locales.

*Réflexion* : Pourquoi ne pas réinventer des célébrations basées sur des valeurs partagées et comprises, plutôt que d'importer sans réfléchir ? Par exemple, des fêtes autour de la solidarité, de l'écologie ou encore du savoir-faire local.

*Redonner du sens aux traditions : l'urgence d'une éducation consciente*

Face à cette déferlante de déguisements et de selfies, une alternative serait de miser sur l'éducation des parents autant que des enfants. Expliquer l'origine des pratiques, interroger leur pertinence et proposer des alternatives ancrées dans les traditions sénégalaises pourrait permettre de réconcilier modernité et authenticité.

*Réflexion* : Pourquoi ne pas proposer des ateliers dans les écoles pour expliquer le sens des fêtes, ou encore organiser des événements culturels qui mettent en lumière le patrimoine sénégalais et les valeurs qui y sont liées ?

*En guise de conclusion : redéfinir la modernité sénégalaise*

Le phénomène du Mardi Gras au Sénégal révèle une quête désespérée de modernité qui finit par sacrifier le sens profond des traditions. Repenser ces pratiques, c'est aussi repenser la transmission des valeurs dans notre société.
La véritable modernité pourrait consister à choisir librement ses pratiques, à partir d'une compréhension éclairée et d'un attachement sincère aux valeurs fondamentales. Ce n'est donc pas le Mardi Gras en soi qui pose problème, mais l'incapacité à réfléchir au pourquoi de nos pratiques. Peut-être est-il temps de se demander si, derrière les masques et les paillettes, nous n'avons pas perdu l'essentiel.

Astou Thiam

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