L’étau se resserre autour de la Somiva
Après les populations de Ounaré, c’est au tour de celles de la commune voisine de Ndendory de cracher sur les impenses proposées par la Société minière de la vallée arrêtées à 90 000 F CFA pour chaque impacté. À la suite d’une assemblée générale qui s’est tenue au domicile du chef de village, les impactés ont déchiré l’acte de conciliation et de non-recours libellé par l’autorité préfectorale de Kanel.
Le sentiment de révolte est en train de gagner les populations impactées par l’exploitation des phosphates par la Société minière de la vallée (Somiva). À Ndendory, tout comme à Ounaré, il y a, à peine une semaine, les habitants se sont insurgés contre la proposition qui leur est faite par la Somiva pour céder leurs terres. Après de longs mois de négociations, l’entreprise minière dirigée par Ibrahima Sarr avait revu à la hausse le montant proposé pour l’indemnisation des populations propriétaires impactées par l’extension de la mine.
Pour l’assiette foncière en question qui est de 193 ha appartenant à 1 804 personnes, la Somiva s’est fixé un plafond de 162 500 000 F CFA, soit 90 000 F CFA. Pour officialiser l’accord avec les populations impactées, le préfet de Kanel a rédigé un contrat de conciliation et de non-recours. Mais il s’agit d’un document qui a mis les populations de la commune de Ndendory dans tous leurs états, après avoir parcouru le contenu.
Sous la houlette du Dr Yaya Kane, spécialiste en droit, les populations ont tenu leur assemblée générale pour rejeter le contrat et exiger son retrait. ‘’On impose aux populations de signer un acte qu’on appelle ‘acte de conciliation et de non-recours’, par lequel on oblige les villageois à céder leurs terres à la Somiva moyennant la modique somme de 90 000 F CFA, a dénoncé le président de l’association des populations impactées de la mine de Ndendory. C’est à chaque maison impactée que l’entreprise minière donnera 90 000 et vous savez qu’ici, il y a des maisons assez nombreuses. Car dans une maison, on peut retrouver plusieurs foyers et si les membres doivent se partager cette somme, vous imaginez ce que chacun va recevoir’’, soutient le président.
La somme serait dérisoire comparée au chiffre d’affaires réalisé en 2022 par la Somiva révélé par le dernier rapport de l’ITIE. Pour le président de l’association qui se bat pour la sauvegarde des intérêts des impactés, il faut accentuer la pression sur la Somiva pour obtenir des impenses conséquentes. ‘’Le rapport 2022 de l’ITIE révèle que la Somiva a fait un chiffre d’affaires de 52 556 000 000 F CFA, alors qu’en termes de dépenses sociales, la Somiva n’a dépensé que 54 millions pour les trois collectivités impactées. Au regard du chiffre d’affaires engrangé, les 54 millions dépensés ne représentent que 0,9 %. Au-delà du caractère méprisant et dérisoire de l’indemnité, c’est le document qui est illégal. On veut dire qu’après avoir signé le contrat, l’intéressé perd toute possibilité de recours’’, ajoute le Dr Yaya.
‘’L’acte du préfet peut être attaqué en justice’’
Dans le domicile du chef de village de Ndendory, les dirigeants de l’Association des populations impactées de la mine de Ndendory ont disséqué les clauses du contrat ficelé par l’autorité préfectorale. Les propriétaires terriens concernés qui avaient déjà signé le document ont avoué ne pas connaître les tenants et les aboutissants avant de parapher le contrat. Et ceux qui n’ont pas encore signé sont catégoriques : ils ne signeront pas. ‘’Toute la population des impactés de Ndendory ne signera pas ce contrat, parce que si on signe, cela voudra dire que nous renonçons définitivement à nos terres’’, martèle-t-il. Et pour défendre leurs intérêts, ces populations comptent même intenter une action contre le préfet de Kanel. ‘’C’est un acte signé de manière bilatérale entre le préfet de Kanel et l’intéressé. Dans le document, la Somiva n’apparait nulle part, mais dans le contenu, on défend ses intérêts. C’est l’acte du préfet de Kanel qui est irrégulier, qui peut être attaqué en justice, au tribunal administratif, parce qu’on induit en erreur les intéressés. On leur demande de signer sans leur expliquer. Ce serait notre arrêt de mort si on signait le contrat’’, a réitéré Yaya Kane Diallo.
Déterminés à sauvegarder leurs intérêts, les impactés de Ndendory menacent de poursuivre le préfet de Kanel en justice, si le contrat venait à être entériné. ‘’Nous interpellons le préfet de Kanel pour qu’il retire ce contrat. S’il est entériné, nous allons l’attaquer au tribunal administratif’’, avertit Yaya Kane Diallo.
Pour ces populations qui subissent de plein fouet les conséquences désastreuses de l’exploitation du phosphate, c’est la position du préfet qui suscite une immense déception. ‘’Ce que nous reprochons au préfet, c’est d’avoir accepté de confectionner un contrat aussi désavantageux pour les populations qu’il dirige. Le préfet est un homme qui connaît le droit. Il connaît la valeur financière d’une exploitation de phosphates, il connaît la puissance financière de la Somiva. Il ne devait même pas accepter que populations cèdent leurs terres moyennant cette modique somme’’, s’indigne une victime.
‘’Nous sommes devenus des morts-vivants, avec l’exploitation de la mine’’
Avec l’extension de la mine de la Somiva, les conséquences néfastes risquent de s’accroitre dans les trois communes impactées de Ndendory, Hamady Ounaré et Orkadieré. Un berger raconte, presque les larmes aux yeux, le calvaire interminable que lui fait vivre la mine. ‘’Nous sommes devenus des morts-vivants, depuis que la société minière a commencé les exploitations. Il y a de la poussière en permanence. Nous respirons des produits toxiques. C’est ce qui explique que la quasi-totalité des habitants de Ndendory souffre de maladies pulmonaires. Nos moutons et nos vaches meurent très souvent à cause de l’eau qu’ils boivent. Et avec tout ça, la Somiva se permet de nous proposer 90 000 F CFA. C’est une insulte, mais nous n’avons personne pour défendre nos intérêts. Nos autorités préfèrent fermer les yeux’’, se désole l’homme à la cinquantaine sonnée.
Avec ce nouveau rebondissement, la Somiva, qui pensait avoir fini avec les interminables tractations, va devoir déchanter. Les impactés exigent trois milliards pour les trois communes, avant de céder les 193 ha de terres.
Pour l’heure, les yeux sont braqués sur le préfet de Kanel pour savoir s’il ordonnera ou non le retrait du contrat de conciliation et de non-recours.
Djibril BA