''Je n'ai pas rallié le camp présidentiel...''
Solide allié de l'ex-président de la République, Abdoulaye Wade, Me Ousmane Sèye s'est rapproché aujourd'hui de l'actuel locataire du Palais. Dans cet entretien avec EnQuête, le leader du Front républicain (FR) explique les raisons de son ralliement au tombeur de Wade, Macky Sall. Me Sèye excipe de ce que la volonté du président de la République serait de mettre autour de lui une vaste coalition autre que Benno Bokk Yaakaar (BBY).
Quelles sont les raisons de votre ralliement au camp présidentiel ?
Je n'ai pas rallié le camp présidentiel. J'ai toujours été du camp présidentiel. Je rappelle qu'à la veille du congrès de mon parti, le Front républicain (FR), tenu à Dakar au mois de juillet 2012, j'ai eu l'honneur d'être reçu par le président Macky Sall. Je l'ai informé que mes militants m'ont demandé de transformer en parti politique l'Alliance bleue, qui était l'un des premiers mouvements citoyens du Sénégal à participer à des élections, à porter la candidature de quelqu'un à l'élection présidentielle. Mes militants avaient dit qu'après l'élection présidentielle de 2012, que Abdoulaye Wade soit réélu président ou non, l'Alliance bleue sera transformée en parti politique. À la veille de mon congrès, le président Macky Sall m'a reçu. Je l'ai assuré que le parti FR, avec l'accord de mes militants, n'est pas un parti d'opposition, mais plutôt un parti de la mouvance présidentielle mais qui n'est pas dans la coalition Benno Bokk Yaakaar (BBY). Macky Sall m'avait fait l'honneur de m'envoyer une forte délégation dirigée par Moustapha Diakhaté (actuel président du groupe parlementaire BBY). Le FR a eu à battre campagne lors des dernières élections législatives au profit de BBY pour que le président Macky Sall dispose d'une majorité à l'Assemblée nationale.
On vous a connu en tant qu'allié de Abdoulaye Wade. Du coup vous changez complètement de camp. Que s'est-ils passé entre temps ?
Mais Macky Sall était son Premier ministre, moi je n'ai jamais été un ministre de Abdoulaye Wade. Mais ce que je partage avec Macky Sall, c'est la vision libérale. On a tous appartenu au même parti qui est le Parti démocratique sénégalais (PDS) que nous avons tous quitté.
Que faites-vous de vos anciens alliés du PDS ?
Ils n'ont jamais été mes anciens alliés. J'avais un mouvement de soutien que j'ai mis en place quand j'ai quitté le PDS. Ce mouvement a soutenu la candidature de Abdoulaye Wade. Je n'ai jamais renié Abdoulaye Wade en tant qu'homme politique. Après l'élection présidentielle de 2012, quand le FR est né, il n'a jamais été l'allié du PDS, c'est un parti qui est dans la mouvance présidentielle.
Avez-vous informé Abdoulaye Wade de votre ralliement au camp présidentiel ?
Mais pourquoi j'informe Abdoulaye Wade, moi je suis un homme libre, un leader de parti politique. Moi j'informe les militants de mon parti. Pourquoi voulez-vous que j'informe un autre ? Quand même, nous avons un parti composé de militants dont je suis le mandataire. Si j'ai des personnes à informer, ce sont ces militants mais pas une autre personne. Le FR est un parti officiellement reconnu qui a obtenu son récépissé au mois de juillet 2013, qui est ancré dans la mouvance présidentielle et qui veut accompagner le président de la République pour l’accomplissement de son programme pour lequel il a été élu.
Certains pensent que votre ralliement au camp présidentiel est lié à l'affaire Béthio Thioune qui est un de vos clients. Qu'en est-t-il réellement ?
Cela n'a rien à voir. Il faut que l'opinion publique fasse la différence entre Me Ousmane Sèye, avocat, et le président du FR, homme politique. Ma profession est la profession d'avocat qui exige une certaine éthique et une déontologie. Et quand j'accepte un dossier en tant qu'avocat, je le défend jusqu'au bout. Je ne vois pas mes intérêts, je vois l'intérêt de celui que je défends. Mais cela n'a rien à voir avec mes positions et ambitions politiques.
On vous a vu vous attaquer à Aminata Touré alors ministre de la Justice dans le cadre de cette affaire. Maintenant qu'elle est Premier ministre, comment comptez-vous cohabiter avec elle dans la même coalition ?
Je ne me suis jamais attaquer à Mimi Touré. J'avais un dossier à défendre et je l'ai défendu. J'ai de très bons rapports avec elle. Quand elle a été nommée Premier ministre, je l'ai félicitée et elle m'a répondu. J'estimais qu'il était temps que le programme du Yoonu Yokkute soit exécuté par une femme ou un homme politique. C'est heureux que Macky Sall ait choisi une femme et cela lui a valu les félicitations de l'ONU. Mimi Touré est une militante, une combattante qui a une ambition pour le Sénégal. Je me suis attaqué à Mimi Touré en tant que ministre de la Justice et moi avocat. Cela n'a rien à voir avec la politique.
Récemment vous avez été reçu par le président de la République. Quel a été la teneur de vos discussions ?
C'est la deuxième fois depuis son élection que le président de la République me reçoit en tant que président du FR. Il s'est entretenu avec moi sur des questions politiques éminemment importantes et qui intéressent l'avenir du pays. Il m'a rappelé son programme qui est un programme ambitieux pour le Sénégal. Ce que je partage avec lui, c'est l'avenir du pays qui m'importe beaucoup. Il m'a fait comprendre qu'il est en train de mettre en œuvre son programme Yoonu Yokkute et pour le faire, il a besoin de stabilité dans le pays, d'accalmie (c'est son mot), d'un minimum de consensus sur les problèmes majeurs qui intéressent la nation. C'est pourquoi il demande un rassemblement autour de sa personne pour vraiment lui permettre d'accomplir le programme pour lequel il a été élu. Mon parti et moi-même sommes d'accord pour retrouver le président de la République avec d'autres partis pour renforcer et former autour de lui un bouclier, partager avec lui sa vision, mettre en œuvre avec lui son programme pour le bonheur des Sénégalais. Il m'a expliqué que Léopold Sédar Senghor, qui a été le premier président de la République du Sénégal, a construit la nation, que Abdou Diouf a consolidé l'État de droit, que Abdoulaye Wade qui l'a succédé a jeté les bases de l'émergence du pays en mettant en place les infrastructures nécessaires au développement, que lui, son devoir, c'est de prendre tout cela en compte, de faire la synthèse de ce que ses prédécesseurs ont fait pour que le Sénégal décolle.
Oui mais il y a déjà BBY qui est autour de lui...
Absolument.
Quel sera le sort réservé à cette coalition ?
Je ne sais pas. Mais ce que je pense, c'est que le rassemblement auquel le président de la République appelle, c'est pour élargir les bases politiques de BBY. Je crois qu'il n'y a pas antinomie entre le rassemblement auquel le président appelle et la coalition BBY. Vous savez que BBY est une coalition électorale qui a porté le président de la République au pouvoir, il faut aujourd'hui qu'elle se mue en coalition politique. Et je crois qu'avec l'apport d'autres personnalités politiques et d'autres partis politiques, elle sera capable d'épouser la vision politique de Macky Sall, de partager avec lui son programme politique et d'être un grand rassemblement politique.
Est-ce à dire que BBY est appelée à disparaître ?
Je ne suis pas un devin. Le président m'a dit qu'il appelle à un grand rassemblement autour de sa personne. Déjà, il est dans une coalition, il ne peut pas appeler à un rassemblement et se débarrasser de ses alliés et de sa coalition. Je crois que sa volonté est de renforcer politiquement BBY. Cela veut dire que BBY va continuer d'exister. Le président de la République sera dans BBY mais il va élargir ses bases pour en faire une coalition politique sur laquelle il va s'appuyer pour mieux conduire son programme.
Vous semblez être tout désigné comme le maître-d’œuvre de cette entreprise ?
Je ne suis pas désigné maître-d’œuvre de ce projet et je ne peux pas m'autoproclamer maître-d’œuvre, même si je suis la première personnalité politique qu'il a appelée. Il m'a appelé pour faire parti de cette œuvre comme il va appeler d'autres personnes. Mais j'ai appelé d'autres personnes à me rejoindre et à rejoindre le président dans cette initiative. J'entends œuvrer de toutes mes forces pour donner au président ce mouvement dont il a besoin.
Que pensez-vous de la gestion du pays par le pouvoir ?
Vous savez, il est très difficile de gérer un pays. Le Sénégal est un petit pays de par sa taille mais grand avec une population composée essentiellement de citoyens qui connaissent parfaitement leurs obligations. Nous n'avons pas de pétrole mais nous avons les ressources humaines. C'est la situation économique mondiale qui est extrêmement difficile. Mais c'est dans les moments difficiles qu'il y a la gestation pour un pays émergent. L’Amérique s'est construite dans la douleur, dans des conditions extrêmement difficiles au même titre que l'Europe et l'Asie. Aujourd'hui, c'est au tour de l'Afrique de se construire et je crois que le Sénégal doit donner l'exemple. Dans cette situation difficile, le Sénégal a des atouts. C'est au moment où l'Europe est en train de faire la politique de la délocalisation, au moment où, tout comme l'Amérique, elle est à la pointe de la technologie dont le Sénégal et l'Afrique d'une manière générale peuvent bénéficier. Nous avons les moyens d'écourter les étapes qu'ont faites l'Europe et l'Amérique pour atteindre le développement grâce au transfert de la technologie et à la délocalisation. Mais cela ne pourra se réaliser que si nous reposons notre économie sur l'agriculture. Pour régler le problème de l'emploi, il faut retourner à la terre. Il faut mettre des infrastructures dans le monde rural, il faut créer des pistes de production, il faut électrifier le monde rural, faciliter son accès à l'eau. Si ces conditions sont réunies, les populations iront vers le monde rural. C'est cela la base du développement. Heureusement que le président de la République l'a compris.
Comment appréciez vous le dernier rapport du Doing Business qui place le Sénégal 178e mondial ?
Cela veut dire simplement que le Sénégal n'a pas fait les réformes nécessaires pour booster et lancer son économie.
Est-ce que cela n'est pas en partie lié à la traque des biens mal acquis ?
Je considère que la Cour de répression de l'enrichissement illicite (Crei), qui est une juridiction spéciale, n'a sa raison d'être que dans un pays spécial. Je considère que le Sénégal est un pays normal avec un président normal et des institutions normales. Nous avons des juridictions de droit commun qui sont efficaces pour lutter contre la corruption et le détournement des deniers publics. Je suis d'accord que l'une des priorités du pays, c'est de lutter contre le détournement des deniers publics, la corruption et le népotisme, mais nous n'avons pas besoin de juridictions spéciales pour le faire. On aurait pu lutter efficacement contre ceux qui ont détourné l'argent du pays par le moyen des juridictions de droit commun sans faire beaucoup de bruit et cela ne fera pas fuir les investisseurs. Mais je crois qu'il n'est pas trop tard. Si on apporte les correctifs nécessaires, les bailleurs de fonds seront là parce que le Sénégal est un pays qui est bien positionné sur le plan géographique, un pays qui est stable sur le plan politique et qui dispose de ressources sur le plan humain. Il n'y a pas de raison que les investisseurs ne viennent pas au Sénégal.
Avez-vous les nouvelles de Abdoulaye Wade ?
J'ai ses nouvelles à travers la presse. Je continue à lui vouer un grand respect. Il est un homme politique qui, durant ses douze ans de règne, a laissé sa marque. C'est ce que l'on attend d'un président de la République. Un président de la République ne peut pas tout faire, il fait des choses qui sont appréciées par les populations et d'autres qui ne le sont pas. Mais l'essentiel c'est qu'il laisse une marque politique. Et la marque politique qu'Abdoulaye Wade à laissé au Sénégal, ce sont les infrastructures, c'est l'aéroport Blaise Diagne, le Grand Théâtre, l'autoroute à péage. Si chaque président vient laisser une marque politique de cette taille, le Sénégal sera un pays émergent.
Avez-vous toujours gardé de bons rapports ?
Je n'ai jamais eu de mauvais rapports avec le président Abdoulaye Wade. Il était président de la République et jusqu'à sa défaite, j'étais avec lui. Mais aujourd'hui, je considère que sa page est tournée. Maintenant, c'est un jeune qui est au pouvoir, qui a une ambition noble pour le pays. Je crois aujourd'hui qu'il faut taire les ambitions individuelles. Il ne peut pas y avoir deux présidents de la République pour un même pays. Dieu a fait qu'aujourd'hui, Macky Sall est le président de la République, on peut d'une manière consensuelle lui concéder un délai de dix ans pour que ce pays soit émergent. Et je crois que c'est le sens de son appel.
PAR ASSANE MBAYE