Les contraintes financières face au respect de la demande sociale
Le nouveau gouvernement a lancé les premières mesures de baisse des prix des denrées de première nécessité, riz, sucré, huile, qui ne sera effective que la semaine prochaine. Mais pour beaucoup de spécialistes, la situation budgétaire ne permet pas au nouveau régime d’avoir une plus large marge de manœuvre concernant cette baisse des prix des denrées de première nécessité.
La baisse des denrées de première nécessité, annoncée avant-hier par le gouvernement, est au cœur de vifs débats. Si certains saluent cette mesure qui répond à une forte demande sociale, d'autres estiment que cette baisse est trop limitée sur les prix du riz brisé non parfumé (40 F CFA) , du sucre (50 F CFA), du pain (15 F CFA) et de l’huile raffinée (100 F CFA). Dans la même dynamique, le ministre des Finances, Cheikh Diba, lors d’une conférence de presse a tenu à rappeler la problématique du coût de la vie et l'impact des subventions sur les finances publiques sénégalaises. D’après le grand argentier de l’État, sur la période 2022-2023, l'État a dépensé 338 milliards de francs CFA uniquement pour lutter contre la cherté de la vie, sans compter les subventions supplémentaires qui ont atteint 600 milliards de francs CFA.
Selon son homologue du Commerce, Serigne Guèye Diop, l'enveloppe allouée pour réduire le coût de la vie s'élève à 53,4 milliards de francs CFA en 2024, comparativement aux 142 milliards de 2023.
Pour l’ancien maire de Sandiara, ce montant prive l’État de ‘’certaines taxes douanières’’, alors que son budget affichait un déficit de 4,9 % du PIB en 2023, selon le FMI, avec un poids de la dette publique qui ne cesse de s’alourdir. Le dernier eurobond de 689,9 millions d’euros obtenu par Dakar confirme la confiance retrouvée des investisseurs dans l’économie sénégalaise, après la crise préélectorale de février-mars 2024, mais la charge de la dette continue aussi à s’alourdir dans le budget de l’État.
D’après plusieurs estimations, en 2023, les importations de blé, de riz, d’huile et de sucre ont dépassé les 1 000 milliards de francs CFA (plus de 1,5 milliard d’euros). Ces mesures soulignent la complexité de gérer efficacement les subventions pour maintenir une économie saine tout en cherchant à soulager le coût de la vie pour les citoyens sénégalais.
L’économiste Meissa Babou salue l’effort consenti par le gouvernement dans un contexte budgétaire compliqué. ‘Notre pays doit faire face à un déficit budgétaire de 80 % et d’un service de la dette de 2 000 milliards par an. De ce fait, cette situation empêche de faire des subventions massives sur les prix. C’est un effort colossal, pour moi, de la part du nouveau gouvernement’’, affirme-t-il d’entrée.
Toujours selon Meissa Babou, le vote d’une nouvelle loi de finances rectificative (LFR) ne s’impose pas immédiatement pour donner une nouvelle direction à l’action publique. ‘’Le fait de vouloir intégrer les nouvelles recettes dans le budget ne paraît pas urgent pour le moment, dans la mesure où le nouveau gouvernement pourrait verser les recettes additionnelles dans un compte du Trésor, en attendant le vote d’un nouveau budget dans cinq mois’’, déclare-t-il.
Les difficultés de l’applicabilité de la réduction des prix auprès des détaillants
Dans la poursuite de baisse des denrées de première nécessité, le gouvernement sénégalais compte sur la reprise des exportations de riz indien à hauteur de 80 000 t pour le Sénégal, pour accentuer cette baisse de 40 F CFA sur le riz brisé non parfumé.
Par ailleurs, le gouvernement a aussi annoncé la remise sur pied du réseau des magasins témoins pour contribuer à la stabilité des prix. Cette mesure vise à stabiliser le marché et à abaisser le prix du riz en dessous de 400 F CFA à partir d’août 2024.
En outre, cette baisse ne pourrait entrer en vigueur qu’après la Tabaski et qu’un Comité national de la consommation va se réunir la semaine prochaine pour fixer la date d’application de ces prix.
Néanmoins, selon l’enseignant-chercheur à l’Ucad, une baisse du prix de l’électricité, de l’eau et du carburant aurait eu un énorme impact sur le portefeuille des consommateurs et soulagerait un peu plus les ménages.
Concernant le déblocage du riz d’exportation indien, l’économiste craint que les 80 000 t de riz indien aient peu d’impact sur le prix du riz, dans la mesure où le Sénégal importe plus d’un million de tonnes de riz. Les précédents gouvernements avaient annoncé des baisses de prix sans que ça se matérialise sur le terrain.
L’applicabilité de ces mesures a été souvent problématique en raison d’un contrôle de prix inefficace. Pour y remédier, le gouvernement avait prévu de recruter 1 000 volontaires de la consommation pour éviter toute spéculation des prix chez les détaillants. La baisse de la subvention sur l'énergie de 194 milliards en 2023, peut rendre cette baisse difficile dans la mesure de l’importance des prix de l'énergie sur les biens de consommation et l’augmentation du coût du transport.
Le blocage des prix, une solution pour stabiliser et réduire les prix
De son côté, Fallou Samb, président de l’Institut africain des politiques commerciales (IAPC), estime que cette réduction des prix ne peut être qu’une solution à court terme, en attendant des solutions structurelles, dans la mesure où l’État a dû se départir de recettes fiscales pour pouvoir satisfaire la demande sociale.
Cette situation, ajoute-t-il, n'aura pas de conséquence sur l’inflation, car on n’a pas assisté à une injection d’argent qui pourrait avoir des conséquences inflationnistes sur les marchés.
Selon le délégué du Sénégal auprès de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), les options prises par le nouveau gouvernement, avec la création d’un ministère de la Souveraineté alimentaire et pour une endogénéisation de l’économie sénégalaise peuvent aller dans le bon sens. ‘’Le Sénégal fait partie des sept plus grands pays importateurs de riz au monde. C’est une tendance qu’il faut renverser et le gouvernement qui est dans une démarche structurée, d'ici cinq ans autosuffisance alimentaire avant d’aller vers la souveraineté alimentaire, semble être sur la bonne voie.
En attendant, le gouvernement pourrait s’atteler à travailler à stabiliser le marché en procédant au blocage des prix pour permettre aux consommateurs de respirer. Cet outil de politique commerciale est utilisé en période de guerre, mais comme on est économie de guerre, on pourrait geler les prix avant de faire du consommer local une réalité’’, a indiqué président de l’IAPC.
Mamadou Makhfouse NGOM