La Aline Sitoé des temps modernes
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Native de Ker Sakala, une petite contrée située dans la commune de Médina Sabakh, dans le Saloum, Méta Ba fait partie de ces femmes sénégalaises qui ont assez de cran pour imposer la révolution au sein de leur société. ‘’EnQuête’’ a saisi l’occasion de la célébration du 8 Mars pour dresser le portrait de cette cheffe de village depuis 2010 et qui, malgré les coups bas et moqueries des homologues hommes, n’est guère ébranlée.
‘’Quand une jeune lady est destinée à être une héroïne, le caprice de cinquante familles de l'environ ne saurait prévaloir contre elle. Sur sa route, le destin doit susciter et suscitera un héros’’. Cette citation de la femme de lettres anglaise, Jane Austen, dans son roman policier ‘’Northanger Abbey’’, sied à l’histoire de la cheffe de village de Ker Sakala. Une petite contrée située dans la commune de Médina Sabakh, à moins d’un kilomètre du village de Kohel. Méta Ba est connue comme la première femme à présider les destinées d’un village de la région devant les hommes. On n’en est pas sûr, mais il se pourrait que cela soit une première nationale.
En tout cas, son courage, sa dévotion pour le développement de sa localité, sa persévérance et son engagement politique lui ont valu une bonne notoriété dans cette zone. ‘’Méta est une forte tête, une femme brave. On a eu à battre campagne et à faire des tournées politiques dans les villages environnants pour le Parti socialiste (PS) à l’époque. Et elle ne se laisse pas faire’’, confie un ancien camarade de parti résidant à Médina Sabakh.
Son histoire avec la chefferie a commencé après le décès de son petit frère Mamadou Ba, qui a succédé à leur grand frère paternel Samba Ba. Créé par le père de Méta Ba en 1960, le village sera hérité par Samba qui était à l’époque l’ainé. A cause de problèmes avec les villageois, il fut dépossédé de ses biens. Ce qui l’a poussé à l’exil. ‘’Nous lui avions fait comprendre que nous ne pouvions pas aller avec lui, car le village nous appartenait. Donc, j’y suis restée avec mes petits frères. Après le départ de Samba Ba, le village a été confié à mon jeune frère Mamadou Ba’’, explique Méta Ba, fille unique de son père.
Pendant le règne de son jeune frère, elle résidait à Ndiba Ndiayène, un autre village, non loin de Sakala, où elle tenait une boutique. A la mort de Mamadou Ba, en 2010, Méta est allée voir les autorités, à savoir le préfet et le président de la communauté rurale. ‘’Je leur ai fait part de la situation. Après le décès de mon jeune frère, le village est resté sans chef. A l’époque, ses enfants étaient encore très jeunes, donc, ils ne pouvaient pas diriger le village. Elles m’ont demandé si la fonction m’intéressait. J’ai dit oui. Elles m’ont demandé si je pourrais y arriver. Je leur ai répondu que seul Dieu est le Guide suprême. Donc, s’il est à mes côtés, j’y arriverai. C’est ainsi que j’ai été désignée et installée comme cheffe de village en 2010’’, narre notre interlocutrice.
Lors de son installation, poursuit-elle, les autorités ont demandé aux villageois si quelqu’un voulait la chefferie. Mais aucun homme n’a voulu s’engager.
L’ère de l’effervescence
Si les hommes de son village ont accepté cette nomination, c’était une bien autre musique chez les autres chefs de village, tous des hommes. Car, jusque-là, ils étaient ‘’entre eux’’. Dès lors, commencèrent les moqueries, les mauvaises plaisanteries à son égard et celui des hommes de sa contrée. ‘’Ils essaient, par tous les moyens, de les avilir. Mais seul Dieu peut élever ou rabaisser une personne. Et heureusement, je n’ai jamais eu de soucis avec les hommes de mon village. Ils me font confiance et me respectent. Ils n’ont jamais manifesté un désaccord ou un regret par rapport au fait que je sois leur cheffe. Quand je les convoque en réunion, ils viennent tous répondre’’, dit-elle.
Et ces attaques, Méta n’est pas la seule à les subir. Les habitants de son village y ont droit, régulièrement, lors des ‘’loumas’’ (marchés hebdomadaires) organisés dans les localités environnantes. Mamadou Souna Diallo, octogénaire, en témoigne : ‘’Quand les gens commencent à se moquer de moi par rapport à notre cheffe de village, je ne les écoute même pas. Je refuse de les écouter. Parce que je connais les réalités de mon village et je sais comment le village était avant et après son arrivée.’’ M. Diallo est de ceux qui pensent que nul ne peut destituer quelqu’un que Dieu a élu lui-même. ‘’On n’a aucun problème avec elle. Quand elle doit collecter les impôts, elle nous convoque et on cotise sans problème’’, ajoute-t-il.
Une dame qui sait se défendre
Comme l’a écrit l’auteur ougandais naturalisé néerlandais Moses Isegawa, ‘’le vrai chef prononce des paroles de sagesse et sème des graines d'autorité’’. Et ‘’Badiène Méta’’, comme l’appellent affectueusement les jeunes de la localité, a su semer ses graines d’autorité, au fil des années, au sein de la communauté, malgré ses détracteurs. Au début, quand elle prenait la parole en public, lors de réunions communales, elle entendait parfois certains hommes dire : ‘’Cette femme est vraiment culottée. Comment peut-elle se dire cheffe dans un village où il y a des hommes ?’’ Et d’autres plaisantaient en lui disant qu’ils viendront la ‘’détrôner’’, parce qu’ils estiment qu’une femme ‘’ne doit pas diriger’’ des hommes. ‘’Ils vont jusqu’à me demander s’il y a réellement des hommes dans mon village. Au début, ils se moquaient trop de moi. Heureusement que je ne me laisse pas faire. Je leur disais que je resterais cheffe de village, que cela leur plaise ou non, et j’aimerais que d’autres femmes le deviennent. Maintenant, ils ont accepté l’idée’’, confie-t-elle.
Ils ont abdiqué devant la ténacité de Méta Bâ. Malgré les nombreux pièges tendus, elle a toujours su s’en défaire. ‘’Il y avait un bureau qu’on devait constituer à Médina Sabakh pour les chefs de village de la commune. Les hommes ont établi leur liste sans m’y associer. Cependant, quand le sous-préfet a fait le constat, il leur a ordonné de la refaire et d’y ajouter mon nom. J’ai ainsi été désignée 3e vice-présidente de cette association. Mais ces petits coups bas ne me décourageront guère. Pour moi, si Dieu décide, personne n’y peut rien’’, tonne-t-elle.
Ce n’est pas parce qu’on est une femme qu’on doit ‘’être un fainéant’’. C’est cette doctrine que Méta a ancrée en son for intérieur. Le poste de chef de village n’est pas la seule fonction qu’elle occupe dans cette zone. Elle est la responsable des femmes du CPF de la commune, la présidente des femmes éleveurs dans le département de Nioro et est très active dans les projets de femmes. ‘’Mon seul souhait est d’être soutenue par les autorités compétentes, les ONG ou d’avoir des partenaires techniques et financiers qui vont financer nos activités. Les femmes sont certes vulnérables, mais si on les appuie, les encourage, elles peuvent faire des merveilles’’, dit-elle.
‘’On est tous égaux et c’est la femme qui a mis au monde l’homme’’
Toutefois, la cheffe de Keur Sakala ne se glorifie pas pour ses exploits. Fille du fondateur du village, épouse d’un imam et chef de village qui vit en Gambie, mère de 2 filles, Méta Bâ fait la fierté des femmes de sa localité et au-delà. ‘’Nous sommes vraiment très fières d’elle. A chaque fois qu’elle voit des projets de développement à travers le pays, elle se bat pour qu’on y soit associé. Elle ne se fixe pas de limites. Tout ce que les hommes font pour leur village, elle le fait pour nous’’, affirme Fatou Ba. Quand Méta Ba a assisté à des séminaires à Dakar et qu’elle a décliné son identité, beaucoup se sont rapprochées d’elle pour demander conseil. Pour elle, qu’on soit homme ou femme, on doit ‘’s’armer de courage’’.
‘’On est tous égaux et c’est la femme qui a mis au monde l’homme. Donc, il y a un pouvoir que Dieu nous a légué. Peut-être qu’on n’en est pas consciente. Si on met au monde un enfant et après on ne travaille pas pour son avenir, il ne sera rien demain. Donc, les hommes ne sont pas supérieurs aux femmes. Mais, comme on le dit : Aide-toi et le ciel t’aidera’’, soutient-elle.
Grâce à l’ONG Plan International, la cheffe de village mène des actions de sensibilisation à l’endroit des populations, surtout des femmes, pour qu’elles se soignent dans les structures de la localité et qu’elles se rendent moins en Gambie. ‘’Nous parlons des accouchements assistés, des visites prénatales, etc. Aujourd’hui, même si certaines pratiques persistent, beaucoup de choses ont changé, avec l’appui de Plan International. On a eu à choisir 10 foyers à Keur Sakala et dans le village voisin de Kohel qui vont bénéficier de 20 moutons et brebis pour l’élevage. On a eu à mettre en place des greniers pour les tout-petits et notamment ceux qui souffrent de malnutrition’’, fait-elle savoir.
La réussite est au bout de l’effort et l’obstination est le chemin de la réussite, disait l’idole du cinéma muet, Charlie Chaplin. Si Méta Bâ en est arrivée là aujourd’hui, c’est parce qu’elle a su être têtue, déterminée. ‘’Même si le village ne comptait que deux habitants, il faut comprendre que n’est pas chef qui le veut. Un village n’est pas uniquement habité par des hommes. Il y a des choses surnaturelles qu’on ne peut pas expliquer. On dirige les hommes et d’autres créatures divines. Ce n’est pas un petit fardeau. Il y a des choses irrationnelles. Mais Dieu m’aide à les surmonter, car Il est l’Omnipotent et l’Omniscient’’, confie-t-elle.
Donc, à chaque fois qu’elle est confrontée à ce genre de situation, elle cherche refuge auprès de Lui. Elle raconte que, quand elle a été installée, elle est tombée malade au début. ‘’A un moment donné, j’ai failli renoncer. Mais c’est ma foi qui m’a guidée. Dieu a été à mes côtés et m’a aidée à les surpasser’’, se réjouit-elle.
Née 2 ans après l’indépendance du pays, Méta n’a pas eu la chance d’aller à l’école française. A part l’apprentissage du Coran, elle a suivi pendant 14 ans des cours d’alphabétisation en wolof. ‘’Aujourd’hui, je n’ai peut-être pas le niveau qui me permettrait d’être un ministre, mais je veux un jour être député pour porter le combat pour le développement de ma localité. Mon souhait, c’est de travailler pour développer mon village, surtout bitumer la piste qui mène jusqu’ici’’, plaide-t-elle. Pour cela, elle lance un appel aux partenaires techniques et financiers. Ce projet lui tient à cœur, car elle ne veut pas que, demain, les gens disent qu’elle n’a pas pu faire grand-chose, parce qu’elle est une femme qui n’a pas été en mesure de négocier des projets de développement pour son village. Elle a déjà cédé ses terres pour que le village voisin puisse y ériger un collège d’enseignement moyen pour les habitants des deux localités.
MARIAMA DIEME