Publié le 25 Jun 2022 - 14:12
MILITANTISME DES AGENTS PUBLICS DANS L’OPPOSITION

Le prix de l’engagement !

 

De plus en plus, ils sont nombreux les fonctionnaires à s’engager dans les rangs de l’opposition, pour faire face, de manière frontale, au régime. Souvent, c’est au risque de leur carrière. Docteur Abibou Diagne et Mamadou Lamine Dianté parlent des peines de ces fonctionnaires ‘’rebelles’’.

 

Engagement politique rime-t-il avec le statut d’agent public, dévoué à une mission de service public ? Au Sénégal, ils sont nombreux les agents à se mouiller politiquement. Tant qu’ils sont dans le parti au pouvoir, il n’y a pas de problème. Mais quand il s’agit d’un engagement en faveur de l’opposition, ça se paie cash. Président du parti ADV (Alliance des verts), Abibou Diagne ne dira pas le contraire : ‘’Permettez-moi d’abord de relever que cela ne me gêne nullement. Le ministre a la prérogative de choisir les membres de son cabinet. En le faisant, il peut soit mettre en avant l’approche compétence, soit l’approche partisane.

C’est dommage que, malgré toute sa trajectoire, au Sénégal, en 2022, qu’on puisse permettre une catégorie de citoyens de militer comme ils veulent et qu’on veuille l’interdire à d’autres. Pour nous, à l’Alliance des verts, nous pensons que le seul critère qui vaille dans le choix des agents de l’État, ça doit être la compétence. Malheureusement, les choses sont encore ce qu’elles sont. On accepte et on promet de les changer, si les Sénégalais nous font confiance.’’

Médecin vétérinaire de formation, affecté au ministère de la Pêche depuis 1995, Dr Abibou Diagne a fait presque toute sa carrière professionnelle dans ce département. Ancien chef de service au Centre d’étude et d’expérimentation pour la pêche artisanale, chef de la Division surveillance des pêches maritimes de 2004 à 2009, ancien chef du Service régional de la pêche à Matam, il a également occupé le prestigieux poste de directeur national des Ressources aquacoles. En 2020, sous Aminata Mbengue Ndiaye, il a été choisi comme conseiller technique n°1, sur la base de son parcours et de son curriculum vitae. Il était déjà le chef d’une formation politique écologique qu’il venait lui-même de porter sur les fonts baptismaux.

Mais la tutelle ne semble pas avoir digéré le fait de le voir jouer les premiers rôles dans la coalition Wallu et, par ricochet, Yewwi Askan Wi. ‘’Je pense quand même que c’est un peu injustifié. Parce que mon engagement politique est antérieur à ma nomination. Et puis, durant tout le temps, je continuais mes activités politiques. Cela n’a jamais déteint sur mes obligations professionnelles. Peut-être c’est mon adhésion à la grande coalition Wallu qui n’est pas à leur goût. Ou bien c’est juste parce qu’ils sont affolés. Quand on est affolé, on est perdu ; on n’a plus le sens de l’orientation. C’est ce qui leur arrive, il me semble’’, regrette M. Diagne.

Pour le désormais ancien conseiller technique, c’est d’autant plus navrant, même s’il leur concède la prérogative, que dans le propre département, il n’y a pas mal de responsables qui vaquent tranquillement à leurs occupations. ‘’Il faut que les gens sachent que tout le monde ne peut pas être dans le camp du pouvoir. Sinon, ce serait un régime fasciste. Maintenant, s’il y a des interférences entre nos activités et nos obligations professionnelles, dans ce cas, l’agent peut être sanctionné. En ce qui me concerne, on ne peut me reprocher aucune faute professionnelle. Mais comme je l’ai dit, c’est le ministre qui nomme pour les postes de son cabinet’’, répète le spécialiste.  

Dans d’autres corps, l’autorité a nettement moins de marge de manœuvre. C’est le cas des enseignants. Ancien secrétaire général du Saems, Mamadou Lamine Dianté précise : ‘’Les enseignants sont membres de la Fonction publique, mais ils ont beaucoup plus de liberté par rapport à ceux qui sont dans l’Administration pure et dure. La seule chose qu’ils (les dirigeants) peuvent faire, c’est par exemple nous empêcher d’accéder à certains postes. Mais ils ont moins de marge de manœuvre.’’ Quid alors de l’engagement syndical et du militantisme ? Est-ce compatible ? L’enseignant leader politique rétorque : ‘’La critique sur ce point est parfois légitime. Mais souvent peut aussi être dévoyée. Déjà, dans certains syndicats, le problème est réglé. Si vous êtes responsables de syndicat, vous ne pouvez pas être membre d’un parti ou d’un bureau politique. C’était le cas dans notre syndicat. On interdit au secrétaire général d’être membre d’un bureau politique. Dans la pratique, on est allé plus loin. Le secrétaire général ne devait même pas être membre d’un parti. Maintenant, d’autres ne l’interdisent pas. Mais, dans tous les cas, notre activité politique ne doit pas influer sur la lutte syndicale. Toutefois, il est clair que gérer les deux peut être source de confusion.’’

Selon le président du Mouvement pour la citoyenneté engagé/And Nawle, il faut que  les syndicats puissent mettre en place un système qui fasse que même si quelqu’un est membre d’un parti, cela n’ait pas d’impact, puisque les décisions émanent de l’intérieur et non du dehors.

Au-delà, estime Dr Abdibou Diagne, il faudrait surtout mettre l’accent sur l’approche compétence dans le recrutement des responsables de l’Administration. ‘’Avoir un engagement politique, dit-il, n’est pas contradictoire avec des postes de responsabilité… Je pense que dans une République digne de ce nom, chacun doit être jugé en fonction de ses compétences, de ses performances. Si on faisait des appels à candidature pour certains postes de responsabilités, cela pourrait aider à changer beaucoup de choses. Nous pourrions ainsi avoir des directeurs nationaux qui n’ont pas peur, parce qu’ils sont suivis et évalués conformément à un cahier des charges. Et peu importe qu’ils soient du pouvoir ou de l’opposition. C’est cela la République. C’est ça la raison d’être de notre engagement’’.

MOR AMAR

 

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