Publié le 20 Jun 2023 - 22:15
MONTÉE EN PUISSANCE DE L’INFLUENCE RUSSE SUR LE CONTINENT

La pieuvre Wagner étend ses tentacules en Afrique subsaharienne

 

Le groupe Wagner est un élément clé de la stratégie d’influence du Kremlin en Afrique. Ce groupe paramilitaire dirigé par Evgueni Prigojine, un proche de Vladimir Poutine étend peu à peu ses tentacules en Afrique subsaharienne, profitant de la défaillance des appareils sécuritaires africains comme au Mali, Centrafrique ou au Soudan. Le groupe paramilitaire russe profite aussi des opportunités d’affaires dans les concessions minières de ces pays en échange de ses services. Cependant, les frais d’engagement de Wagner sont très élevés et se chiffrent en plusieurs dizaines de milliards de Francs FCFA : ce qui pourrait finalement pousser certains pays à se passer des services de la milice. 

 

Le prochain sommet Russie Afrique sera l’occasion pour le maître du Kremlin de mesurer l’influence de la Russie en Afrique. Dans un contexte de conflit larvé avec les Occidentaux au sujet de la question ukrainienne, la ville de naissance de Vladimir Poutine va accueillir le gotha des chefs d’Etat africains, du 26 au 29 juillet 2023. Il faut dire que le plénipotentiaire du Président russe Sergueï Lavrov, chef de la diplomatie russe, multiplie depuis 2022 les mini-tournées sur le continent pour rallier le maximum de pays africains. La dernière en date l’a conduit au Mali, en Mauritanie et au Soudan en février dernier. L’Afrique s’est illustrée dans le conflit ukrainien par sa position de « non aligné », dans un contexte de fortes pressions des Etats-Unis et de l’Europe appelant à sanctionner la Russie. Cette influence croissante s’est matérialisée par le vote concernant l’Ukraine à l’ONU, début mars 2022, à l’occasion duquel 17 pays africains se sont abstenus et six autres pays ont préféré ne pas participer

En outre, la Russie a depuis plus d’une décennie, multiplié ses échanges avec les pays africains. Selon les estimations, la Russie a exporté pour 14 milliards de dollars de biens et services et a importé environ 5 milliards de dollars de produits africains en 2021. Au-delà de ses partenaires traditionnels du temps de l’Union soviétique - Angola, Ethiopie et Algérie - la diplomatie russe s’est employée à diversifier ses relations économiques et militaires avec les pays africains, par exemple en fournissant des céréales et des armes au Maghreb, à l’Egypte ou encore à la Corne de l’Afrique.

Moscou a ainsi signé des accords de coopération militaire avec 21 gouvernements africains en 2022, permettant le renforcement des armées grâce à des instructeurs et mercenaires russes (Mali, Centrafrique, Mozambique, Soudan), ou de la coopération militaro-technique (Congo, Bénin, Cameroun). Autant d’accords de coopération qui visent la consolidation des liens entre la Russie et l’Afrique avec comme point d’orgue le sommet Russie-Afrique à Sotchi en 2019. Celui-ci a abouti à la signature de contrats avec plus de 30 pays du continent africain, concernant l’armement et la fourniture de matériel militaire. 

Les mercenaires de Wagner, bras armé de la Russie sur le continent

Néanmoins, le véritable symbole de l’influence grandissante de la Russie en Afrique est le groupe Wagner, un outil devenu indispensable à la diplomatie parallèle russe. Le groupe Wagner étend son influence en Afrique où il multiplie ses zones d’interventions dans différents pays du continent. Si le groupe dirigé par Evgueni Prigojine, un proche de Poutine, se défend d’être le bras armé du Kremlin, sa présence dans tous les théâtres d’opérations extérieures où les intérêts russes sont engagés, contredit cette affirmation.  En effet, le groupe Wagner a, depuis ses premières interventions en Afrique et au Moyen-Orient en 2015, opéré en Syrie, en Libye, puis en RCA en 2017, puis au Mali en 2022.

La milice privée Wagner comme un relais de l’influence russe en Afrique où il répond à une stratégie d’influence décidée par le Kremlin. En même temps, le groupe a aussi créé diverses sociétés écrans qui lui permettent d’être présent dans les domaines de l’exploitation minière, la vente de bois, le commerce de pierres précieuses. La Russie qui a entrepris depuis 2014, un programme de dédollarisation de son économie, a besoin d’augmenter de manière exponentielle ses réserves en or pour soutenir sa monnaie. Ainsi le groupe a déployé des troupes dans au moins 5 pays africains (Centrafrique, Libye, Mali, Soudan et Mozambique) et mène des opérations d’influence politique dans 7 autres pays dont Madagascar, le Kenya, le Zimbabwe, l’Afrique du sud ou encore la Guinée Equatoriale.

Historique de la création du groupe Wagner

Fondée en 2014 par Dmitri Outkine, un ancien du GRU (renseignement militaire russe), avec l’appui de l’homme d’affaires Evguéni Prigojine, proche du Kremlin, la société militaire privée (SMP) russe Wagner a été créée dans la foulée de l’intervention russe dans l’est de l’Ukraine (Donbass). Wagner a eu recours au mercenariat, lors de la guerre du Donbass et la guerre civile syrienne comme dans d'autres zones de conflits, notamment en Afrique.

Le groupe a deux rôles : fournir au Kremlin une possibilité de déni lors du déploiement de combattants dans des zones de guerre et servir d’outil prêt pour renforcer son influence auprès d’États réceptifs. En effet, il s’agit d'assurer la défense des intérêts extérieurs de la Russie. Ses effectifs sont largement flous, mais pour les spécialistes, ils varient entre 2 500 et 4 000 éléments.

Centrafrique, en première ligne contre les rebelles

La plus grande opération de Wagner a lieu en Centrafrique où le groupe est présent depuis 2017. Les mercenaires russes ont pour principale mission l’encadrement et la formation des forces armées centrafricaines (FACA). Cette collaboration a permis aux forces gouvernementales de gagner en efficacité et ainsi reprendre aux rebelles les agglomérations et une bonne partie des deux tiers du pays qu’ils contrôlent depuis plusieurs années. Les conseillers militaires de Wagner sont fortement engagés dans des missions de combats contre les rebelles centrafricains, notamment contre le groupe rebelle 3R dans l’ouest du pays. 

Si le gouvernement centrafricain ne reconnaît pas la présence des membres du groupe de Wagner, des organisations de Nations Unies et de médias occidentaux fait état de la présence de 2 300 membres de Wagner, selon un document de la chaîne américaine CNN et de l’ONG The Sentry publié le 14 juin 2021.

Le groupe Wagner, depuis la confirmation de sa présence en Centrafrique, est au centre de nombreuses controverses autour d'éventuels massacres et exactions perpétrées contre les civils centrafricains. Début mai 2022, selon un rapport de l’ONG Human Rights Watch, le mode opératoire de Wagner s’assimile à des crimes de guerre et tortures contre les populations rurales accusées de sympathiser et de collaborer avec les groupes rebelles. 

Sur le plan économique, le groupe Wagner à travers beaucoup de sociétés écrans contrôle des gisements miniers (or, diamants), le commerce du bois précieux et la vente d’alcools. Cette méthode d’évolution économique sert de contrepartie à l’action de Wagner dans le pays. Le groupe paramilitaire russe a négocié son soutien au régime centrafricain en contrepartie de concessions minières à travers plusieurs régions du pays. Les autres contours du contrat d'engagement de Wagner en Centrafrique restent encore flous. Ainsi, le groupe n'hésite pas à s’attaquer aux orpailleurs artisanaux et autres villageois accusés de faire de l’orpaillage illégale dans les mines contrôlées par Wagner. 

Dans le domaine de la guerre informationnelle, le groupe Wagner, à travers les médias traditionnels et des réseaux sociaux gérés par des usines de trolls, mène une campagne de désinformation contre la France en Centrafrique et en Afrique en général. Ces opérations de désinformation s’appuient aussi sur des activistes et influenceurs locaux, mis au service d’une campagne anti-française en Afrique. Symbole de cette montée de l’influence russe en Centrafrique, le ministre centrafricain de la Défense a indiqué, le 29 mai 2023, que des discussions entre le pouvoir centrafricain et la Russie pour l’installation d’une base militaire russe sur son sol sont en cours.

Des discussions sont aussi prévues au deuxième sommet Russie Afrique à Saint-Pétersbourg en juillet prochain dans le but de renforcer la collaboration entre les deux pays. 

Mali, intrusion dans la zone d’influence française

Le Mali est devenu depuis l’année 2022, l’une des pièces essentielles de la stratégie d’influence au Sahel.  Les mercenaires russes, comptabilisés à plus d’un millier d’hommes, sont présents sur le sol malien, depuis la fin de l’année 2021, au cœur de la brouille entre les autorités maliennes et françaises au sujet des restes de l’opération Barkhane. Le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov multiplie les déplacements à Bamako et la Russie n’oublie pas les livraisons d’armes et d’avions de combat. 

Selon plusieurs sources sécuritaires, des contreparties minières ont été mises en œuvre pour s’attacher les services des paramilitaires russes, ainsi que le versement de 9 millions d’euros par mois pour des missions de formation des FAMA. Pour le moment, le groupe Wagner accompagne les soldats maliens dans les zones stratégiques comme la région de Ménaka. Les mercenaires russes sont confrontés au manque de logistique, à la mobilité des groupes armés terroristes et à la rigueur climatique. Une situation qui a même abouti à une forte poussée du groupe Etat Islamique dans la région de Ménaka, au détriment des Katiba liés au Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM) proches d’Al Qaeda.

Néanmoins, des rapports détaillés de la Minusma, de Human Rights Watch et des ONG indiquent régulièrement des exactions et des tueries à l’encontre des civils. Un nouvel incident impliquant des soldats maliens et les mercenaires de Wagner a été signalé dans le village de Ouenkoro, dans le centre du pays, les 23 et 24 mars dans le cercle de Bankass, région de Mopti avec des accusations d’exactions à leur encontre. Selon plusieurs sources sécuritaires, une vingtaine de personnes auraient été tuées à la suite de cet incident.

L’attaque la plus meurtrière attribuée aux soldats maliens et les paramilitaires de Wagner est celle de Moura. Les Nations unies ont accusé vendredi 12 mai l’armée malienne et des combattants « étrangers » d’avoir exécuté du 27 au 31 mars 2022 au moins 500 civils à l'occasion d’un marché hebdomadaire à Moura, cercle de Djenné, région de Mopti. Dans un rapport accablant, élaboré à partir d’une enquête de la division des droits de l’homme de la mission de casques bleus déployée depuis 2013 au Mali (Minusma), le Haut-Commissariat aux droits de l’homme a appelé à l'ouverture d'une enquête approfondie et indépendante sur les incidents à Moura.

La présence du groupe Wagner au Mali irrite au plus haut point le Département d’Etat américain. Washington accuse ce groupe paramilitaire de mener des opérations de trafic d’armes, depuis le territoire malien vers l’Ukraine. Le 22 mai dernier, le porte-parole du département d’Etat américain, Matthew Miller, a accusé le groupe Wagner d’avoir tenté d’acheter du matériel militaire à la Turquie et de l’acheminer vers l’Ukraine via le Mali. Le groupe Wagner a aussi mené des opérations de désinformation contre la France, à travers les réseaux sociaux, les spots radio et la propagande entretenue par des influenceurs maliens.

 Cette opération vise à renforcer le sentiment anti français et à consolider la position pro russe de la junte dirigée par Assimi Goita

Burkina Faso, l’ombre omniprésente de Wagner

Le groupe Wagner semble aussi avoir jeté son dévolu sur Burkina Faso.  Le chef de Wagner n’avait pas hésité à saluer, mardi 25 janvier 2022, le putsch du Lieutenant-Colonel Paul Henri Damiba comme le signe d'une nouvelle ère de décolonisation en Afrique. Même si la junte burkinabé réfute tout recours à des mercenaires russes de Wagner, la problématique de l’armement et la formation des 100 000 Volontaires de Défense de la Patrie (VDP) pour lutter contre les Groupes Armés Terroristes pourrait forcer la junte à nouer des liens avec Wagner. D’autant plus, les pays occidentaux ont refusé d’armer les VDP aux risques d’être associés à d’éventuelles exactions sur des populations civiles.

Le pays riche en ressources minières pourrait constituer une cible de choix pour les paramilitaires russes. Déjà des manifestations pro-russes sont régulièrement signalées dans la capitale Ouagadougou et à Bobo Dioulasso. Cette campagne s’appuie aussi sur les activistes ou influenceurs qui entretiennent ce climat de défiance envers la France. Le départ des forces spéciales françaises du Burkina Faso (Force Sabre) ne serait pas indépendant de l’ingérence russe qui opère à travers les réseaux sociaux au Burkina Faso. Des vidéos montrant des paramilitaires russes au Burkina Faso ont pourtant tourné sur les réseaux sociaux, le 23 février 2023, mais le groupe paramilitaire n'a pas confirmé sa présence.

Cette possible présence de Wagner au Burkina Faso a été aussi à l’origine de brouille diplomatique entre le Ghana et le Burkina Faso. A la mi-décembre 2022, lors d'un entretien aux États-Unis avec le secrétaire d'État américain Antony Blinken, le président ghanéen Nana Akufo-Addo avait affirmé que le Burkina avait "conclu un arrangement pour, comme le Mali, employer des forces de Wagner". Le gouvernement burkinabè avait dénoncé ces propos avant de rappeler son ambassadeur à Accra et convoqué son homologué ghanéen à Ouagadougou. La crise s’est estompée à la suite d’excuses présentées par le chef d’Etat ghanéen.

Soudan, le grand écart de Wagner dans le conflit FSR -Armée soudanaise

Le groupe paramilitaire russe entretient des liens étroits avec les membres des Forces de Soutien Rapide (FSR) du Général Mohamed Hamdan Daglo dit Hemedti en lutte avec les forces de l’armée soudanaise depuis le 15 avril 2023. La milice Wagner, très impliquée dans l’exploitation des mines d’or du Darfour en lien avec les miliciens du FSR, semble avoir choisi la neutralité dans le conflit. En effet, le groupe paramilitaire russe s’est installé au Soudan en 2017 à la suite d’un accord entre le président soudanais de l'époque, Omar el- Béchir et le gouvernement russe à la suite d’une série d'accords concernant plusieurs domaines comme la Défense et l'exploitation de l'or.

La Russie a obtenu de l’État soudanais la promesse de l’installation d’une base navale à Port-Soudan, sur la mer Rouge. En contrepartie, les mercenaires devaient assurer la formation des militaires soudanais. Selon les autorités américaines, des sociétés-écrans comme M Invest et Méroé Golde servent de couverture aux activités du groupe Wagner au Soudan, troisième producteur d'or d'Afrique. Le Trésor américain a décidé de sanctionner les responsables des deux sociétés en 2020. Selon une enquête menée par la chaîne américaine CNN, d'importantes quantités d’or prennent la route de la République centrafricaine (RCA), où les mercenaires russes sont présents et s’envolent après vers la Syrie. En juillet 2022, une enquête de CNN a révélé l'existence de vols clandestins au départ de Khartoum et Port -Soudan vers Lattaquié en Syrie où la Russie dispose d'une importante base aérienne. 

Au fil des années, Wagner s’est rapproché des FSR notamment depuis 2021 et la chute de l’ancien Président El Béchir. Hemedti s'est rendu à Moscou en 2022 où il a déclaré qu'il espérait renforcer les liens entre le Soudan et la Russie. Les deux entités collaborent aussi dans le conflit libyen, en apportant leur soutien aux forces de Khalifa Haftar, commandant en chef de l'Armée nationale libyenne basée à Benghazi. Si le conflit opposant les paramilitaires et l’armée soudanaise s’accentue depuis le 15 avril dernier, le groupe Wagner a décidé de jouer la carte de la discrétion souhaitant préserver ses intérêts. Wagner entretient aussi des liens étroits avec les entreprises du général al-Burhan, commandant en chef de l’armée soudanaise.

Si dans les autres pays comme le Zimbabwe, le Bénin, le Cameroun ou la RDC, la présence de Wagner n’est pas encore effective, elle est le cheval Troie de l’influence grandissante de la Russie en Afrique.

 Amadou Fall

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