Quand la pluie inonde tout...
La grande édition du ‘’Journal télévisé’’ de 20 h de la RTS, présentée en français, reste encore, malgré la forte concurrence venue des télés privées, un rendez-vous prisé. C'est une institution, diront même certains puristes... Elle demeure, en effet, l’un des piliers de la communication gouvernementale, particulièrement dans les moments de crise.
L’édition du mardi 8 septembre, alors que le pays pataugeait dans des eaux diluviennes, avait quelque chose d'exceptionnel. Il était inhabituellement présenté en mode bilingue, en français et en wolof. Ce dernier choix était certainement motivé par la volonté de toucher le maximum de Sénégalais dont une majorité ne parle ni ne comprend la langue de Molière. L'heure est grave (aïe, cela ne vous rappelle pas un certain mot d'ordre ?) et quand le premier des Sénégalais a un message à délivrer, notre chère télévision nationale ne s'embarrasse pas de détails, inondée qu'elle est par les urgences.
L'heure fut grave, en effet, durant le week-end, au point de bousculer tout. Dans la seule journée du samedi 5 septembre, précédée déjà par un pluvieux vendredi, il est tombé à Dakar 124 mm d’eau de pluie, soit, comme le relève pour s'en désoler le ministre de l'Hydraulique et de l'Assainissement Serigne Mbaye Thiam, l’équivalent presque de la quantité de pluies d’un hivernage complet. Des averses qui ont plongé bon nombre de quartiers de la capitale et de contrées de l’intérieur du pays dans le désarroi, avec des familles et des concessions cernées par les eaux.
VOYAGE POLEMIQUE - L'urgence de parler aux populations n'en fut que plus pressante pour Macky Sall, laminé dans la presse et les réseaux sociaux du début de semaine. "Le Sénégal patauge, Macky s'envole", barre à sa Une "Sud Quotidien" qui fait ainsi allusion au déplacement du président sénégalais à Niamey où se tenait le sommet de la CEDEAO. Titre tout aussi binaire et sévère chez "Vox Populi" : "Le Sénégal se noie, Macky s'envole au sommet", assez fataliste du côté de "l'EnQuête" : "Inondations au Sénégal, un mal incurable", alarmant à ‘’Libération’’ : "Eau secours !", lapidaire chez "Source A" qui parle de "Sall débandade du capitaine", tandis que ‘’l'Observateur’’, d'une mortifère inspiration, évoque "Une pluie de morts sur le Sénégal".
A vue d'œil, le voyage de Macky au sommet de la CEDEAO n'a pas été bien perçu par tous : prendre les airs pendant que Dakar et bien d'autres localités du pays sont inondées, a paru un mauvais choix. Sauf que pour qui se rappelle les enjeux de ce sommet dans un contexte de crise au Mali, peut considérer ce déplacement comme stratégique, au point de mériter d'être effectué. Niamey, la capitale du Niger, hôte du sommet, était elle-même victime d’inondations encore plus dévastatrices.
Les Unes de journaux du lendemain mardi n'ont pas été plus tendres. Pour certaines, notamment celle de "Sud Quotidien" : "Macky se perd dans les eaux", allusion faite au Plan décennal de lutte contre les inondations 2012-2022. Pour "Walf Fadjri" : "Macky marche dans les eaux", là où "l'Observateur" parle de "L'Etat des négligences". Apparemment, même le tweet présidentiel diffusé avant le départ pour le sommet, n'a pas suffi à calmer les inquiétudes et l'ardeur des réseaux sociaux qui ont fait circuler à un rythme d'enfer les images parmi les plus incroyables. Peut-être que Macky Sall eût mieux fait de descendre, même en mode éclair, sur le terrain, avant de prendre la "Pointe Sarène", caméras de télévision bien pointées sur les bottes présidentielles pataugeant dans l'eau... pour le symbole et la consommation de l'opinion publique et des réseaux sociaux, en attendant le temps de l'action.
L'HEURE EST ENCORE GRAVE - Quid alors des tendances de la presse, au lendemain de l'allocution présidentielle tenue lors du Conseil d'urgence de mardi au palais présidentiel ? Cette rencontre fut le lieu d'annoncer un fonds de soutien aux sinistrés et aux organes de secours contre les inondations, qui bénéficient respectivement de 3 et 7 milliards de F CFA.
Pour ‘’le Quotidien’’, "Macky se jette à l'eau", là où "le Témoin" estime que "Macky se défausse sur le climat", "l'EnQuête" est plutôt factuel, en barrant : "Le plan de Macky." "Encore 10 milliards à l'eau", fulmine "L'Evidence", pendant que "la Tribune" annonce que "Macky déverse 10 milliards d'alibis". Quelques Unes seulement parmi tant d'autres.
La pluie record de ce week-end qui a assombri le ciel pendant trois jours, aura bouleversé tous les agendas, inondé de débats les chaînes de radio et de télé, éclipsant largement la lutte contre le coronavirus et donnant un os à ronger aux politiciens en hibernation depuis un moment.
L'heure grave, comme en mars, au moment où le plan de guerre contre le petit méchant virus était lancé, a poussé le président sénégalais à s'adresser directement à ses compatriotes, sous une forme moins solennelle (et une bonne partie du visage bouffé par le masque... il était dans une salle de réunion) que lors des précédentes allocutions, mais tout aussi interpellative.
Les inondations sont certes dues, en partie, à des phénomènes - les fameux changements climatiques - contre lesquels l'Etat ne peut rien ou presque. Niamey, où s'est rendu le président Sall avec sa délégation, est devenue une presqu'île, alors que c'est un désert habituellement. Du Burkina Faso à la Côte d'Ivoire, en passant par le Ghana et le Soudan et bien d'autres pays dans le monde, les inondations frappent durement. Rien qu'au Niger, 330 000 personnes sont déjà sinistrées, 34 000 maisons détruites et 65 morts recensés, du fait des inondations.
S'il est difficile, voire impossible d'empêcher la pluie de tomber, les inondations qu'elles génèrent sont aussi et principalement le fait de l'Homme, des Sénégalais et de leurs responsables politiques. Les énormes encombrements qui pèsent sur l'espace urbain ainsi que des politiques d'aménagement du territoire aux conséquences non anticipées quelquefois, des zones non aedificandi allègrement habitées avec parfois toutes les validations requises auprès de l'Administration, expliquent, une bonne part, de ce qui se passe en ce moment. D’où l’exigence de toujours anticiper, d’être rigoureux et transparent dans l’exécution des stratégies de gestion de ces phénomènes.
Car l'eau n'abandonne jamais son chemin, dit-on chez nous, et les événements du week-end dernier ont validé ce vieil adage.
PEPESSOU