Publié le 19 Feb 2025 - 06:56
NOUVELLES TECHNOLOGIES

La course folle vers l’IA

 

Elle est de plus en plus au cœur de la vie. Il n'y a presque plus un seul secteur qui échappe à l'envahissement de l'intelligence artificielle (IA), en tout cas pas dans les pays à la pointe de la technologie, en particulier en Chine et aux États-Unis. Qu'il s'agisse du secteur des transports, de la santé, de l'agriculture, de la sécurité, c'est une grande révolution qui s'opère jusque-là sans les Africains qui se contentent de consommer des produits venus d'ailleurs, malgré tous les risques liés à la souveraineté. Le Sénégal, pour sa part, tente de s'accrocher au train, mais traine un lourd handicap. 

 

Les ambitions sont grandes. Elles ont été, à plusieurs reprises, réaffirmées par le président de la République Bassirou Diomaye Diakhar Faye, qui s'apprête à tenir à Dakar, le 24 février prochain, ce qu'il a baptisé le “New Deal technologique”. Il y a quelques jours, à Diamniadio, à l'occasion de la Conférence des administrateurs et managers publics, il annonçait ce rendez-vous important. Ce New Deal technologique, selon lui, devrait notamment permettre de “bâtir un service public moderne”, avec une administration davantage digitalisée. L'enjeu, soulignait Diomaye aux États-Unis, au cœur de la Silicon Valley, c'est de préparer le Sénégalais de demain aux technologies nouvelles comme l'intelligence artificielle.

“Dans les 25 prochaines années, disait-il, ceux qui auront 25 ans seront nés alors qu'on avait déjà découvert l'intelligence artificielle. C'est des jeunes qui seront hyper connectés. Ce grand marché doit être satisfait, notamment avec une infrastructure numérique solide, qui puisse supporter l'évolution de la technologie, mais qui doit être associé à une formation solide en matière d'intelligence artificielle, de cybersécurité et dans toutes les matières qui leur permettent de profiter des opportunités”. 

Depuis quelques années, le Sénégal tente donc de s'accrocher au train lancé en trombe par les Américains et les Chinois dans le domaine de l'IA. Mais jusque-là, les choses restent encore à leur balbutiement.

Fondateur de la startup Azerty, Alassane Touré revient sur les principaux obstacles auxquels sont confrontés les acteurs. “Des startups comme les nôtres ont beaucoup travaillé sur l'IA, mais on bute sur un problème principal : celui des données. Pour entraîner une IA, il faut nécessairement des données. Nous ne pouvons même pas investir un million de dollars en récupération de données. Ce qui fait que c’est difficile d’avoir quelque chose qui nous ressemble ; on est obligé d’utiliser ce que les autres ont fait”, analyse le spécialiste. 

Optimiste, mais très réaliste, le DG d'Azerty n'a pas manqué de relever le long chemin à parcourir pour espérer compter dans ce milieu très sélect qui requiert des investissements importants. La première étape, selon lui, c’est de créer un centre de données anonymes. “Ce dont il s'agit, c’est que, par exemple, avec les centres d’appel de la Sonatel, il y a beaucoup de personnes qui appellent et qui y laissent des données. Je peux aussi citer le cas de la Senelec, de la Sen’Eau et de plusieurs autres structures nationales qui disposent d'une masse importante de données à valoriser. Il s’agit de réunir tout ça dans un grand data center, de les anonymiser et de les donner aux startups sénégalaises pour qu’elles entraînent leurs propres modèles, afin de régler leurs problèmes, de créer des solutions qui prennent en charge nos véritables préoccupations”. 

Le défi des infrastructures 

De l'avis d'Alassane Touré, le data center de Diamniadio ne saurait jouer ce rôle, car ne répondant pas aux besoins des acteurs. “Ce centre ne répond même pas à un cinquième de nos besoins. C’est bien politiquement de dire qu'on a un centre de cette dimension, mais ça ne règle pas le problème. Là, je ne parle même pas d'IA, mais juste pour l’hébergement. Je ne peux pas aller dans ce dater center parce qu’il n’y a pas de support. Si on a un problème, on ne sait pas à qui s'adresser. Et puis, ça coûte plus cher que les autres centres ; je ne parle pas des risques liés aux pannes électriques, à la maintenance…”.

Alassane Touré, DG de la startup Azerty : “Techniquement et financièrement, nous ne sommes même pas au niveau du Maroc.” 

Mais qu'en est-il de la disponibilité des ressources humaines ? Les points de vue sur ce plan restent mitigés. S'il y en a qui pensent que le Sénégal dispose effectivement de RH capables de rivaliser avec les meilleurs, d'autres estiment qu'il y a encore des efforts importants à faire. “Comme je l'ai dit, il y a certes de bonnes choses qui se font, mais il ne faut pas se leurrer : techniquement parlant et financièrement parlant, on n’est pas sur la même longueur d’onde au niveau de la compétition internationale. Nous n’arrivons même pas au niveau du Maroc. Je ne parle pas des autres.”

Selon lui, les gens parlent beaucoup, mais quand il s'agit de faire du concret, ils ne sont pas capables de délivrer. “Ça nous arrive très souvent. On développe quelque chose, on recrute des experts, mais en fait, on ne produit pas grand-chose ou bien le rythme est trop lent. Tu donnes la même chose à un Indien ; en deux ou trois jours, il te livre des résultats que les gens ici font en six-sept mois. Je crois qu’il faut que l’on arrête aussi le bla-bla, que l’on aille renforcer nos connaissances et notre pratique. Qu’on soit plus dans le langage de produit pas un langage de parole”, plaide le spécialiste. 

Les forces et faiblesses 

Cela dit, M. Touré reconnait qu'il y a de bonnes choses qui se font et qu'avec un peu d'accompagnement de l'État, il est possible de réaliser des merveilles. “Il y a des startups sénégalaises qui font des choses extraordinaires avec peu de moyens. Il y a, par exemple, Albad qui a développé son modèle sur celui que Facebook lui a donné pour faire le “Awal” l'IA qui parle wolof. Il y en a d’autres qui font des outils d'IA intéressants pour les entreprises. Il n’y a pas mal d’outils qui sont développés. Mais pour le moment, nous en sommes encore à la création d'interfaces ; on ne fait rien de révolutionnaire. On ne crée que des interfaces ; en utilisant l'IA des autres pour régler notre problème, mais développer une IA pure et dure, on n'est pas encore à ce niveau.”

Pour sa part, Assane Ndoye Niang est d'avis qu'il n'y a pas mal de talents au Sénégal qui pourraient valoir des satisfactions au pays, s'ils sont bien encadrés. Il en veut pour preuve tous ces Sénégalais qui brillent dans la diaspora, notamment le jeune Moustapha Cissé qui a eu à diriger le département IA du géant américain Google en Afrique, mais aussi la jeune Aichatou Sarr d'origine sénégalaise qui fait d'excellentes choses dans le domaine des voitures autonomes aux États-Unis. “La startup qu'elle avait mise en place et qui a créé la première voiture entièrement autonome, c'est à dire qui roule toute seule sans chauffeur, a été rachetée par Amazone. Cela veut dire que nous pouvons faire des choses aussi importantes. Il manque juste la création d'un cadre et les moyens d'accompagnement, mais pas des talents. C'est d'ailleurs pourquoi beaucoup préfèrent aller voir ailleurs ou n'entendent pas du tout revenir ici, parce qu'on ne leur propose rien du tout”.

À la question de savoir s'il a l'impression que la problématique est correctement prise en charge par les décideurs, il rétorque : “On est très loin de prendre en charge correctement cette question. Je me demande même si les gens comprennent les véritables enjeux de cette problématique et de l'impact que cela peut avoir dans notre vie de tous les jours. Même l'Europe est en retard. Ils ne font qu'utiliser les outils développés par les Américains et les Chinois qui sont très en avance.”

Rôle des startups Tech

Dans cette mobilisation pour dompter cette révolution technologique, le secteur privé local tente déjà de se déployer et attend les pouvoirs publics pour prendre définitivement son envol. Ils sont nombreux les acteurs à s'activer pour ne pas rester en marge. Parmi ces acteurs les plus connus, il y a Moussa Dia, directeur général d’ITECH SOLUTIONS. Rencontré lors de ce forum organisé par Sage Afrique - un grand consortium basé à Paris spécialisé dans la technologie -, il est revenu sur l'importance de l'IA dans la prise en charge de certaines grandes préoccupations de nos pays. 

Selon lui, en sus d'aider les pays africains à rattraper le gap dans beaucoup de domaines, l'IA peut permettre de régler plusieurs problèmes cruciaux pour le développement du continent. “Il faut juste savoir l'utiliser et l'adapter à nos réalités. Mais dans n'importe quel domaine que vous prendrez, l'IA peut aider à aller très vite. Par exemple, pour la détection des erreurs ; pour le management de la connaissance ; pour éliminer toutes ces tâches répétitives dans nos organisations... l'IA aide non seulement à aller vite, mais aussi à faire des gains financiers très importants”, renseigne le spécialiste. Dans le même sillage, il a souligné le rôle majeur que cette technologie pourrait jouer dans la performance des régies financières, à travers notamment une mobilisation efficace des recettes. “L'IA peut être un excellent allié. Elle peut aider à détecter les fraudes, à déceler des anomalies et à aller plus vite. Il suffit d'identifier nos préoccupations et l'IA peut aider à le matérialiser”, a-t-il ajouté.

Par Mor Amar

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