Fondements et limites de la déclaration de Barthélémy Dias
Pour inciter les électeurs de Yewwi Askan Wi à se mobiliser et à aller voter le 31 juillet prochain, le maire de Dakar et tête de liste départementale de ladite coalition a notamment laissé entendre que les électeurs ont la possibilité de faire de Sonko et Cie des premier ministre et ministres, en leur conférant une majorité à l’Assemblée nationale. L’enseignant-chercheur à l’UCAD, Ndiogou Sarr, éclaire sur les cas de figure, en cas de cohabitation.
‘’Je demande aux Français de m’élire Premier ministre. Je leur demande, pour m’élire premier ministre, d’élire une majorité de députés insoumis.’’ Ainsi parlait Jean-Luc Mélenchon au lendemain de sa défaite à la dernière élection présidentielle de la France, veille des élections législatives. A son tour, Barthélémy Dias, tête de liste de Yewwi Askan Wi à Dakar, dira : ‘’En invalidant notre liste titulaire, l’objectif est de démobiliser nos électeurs. Ils se disent que, comme les profils que vous souhaitiez voir à l’Assemblée nationale ne sont plus là, vous allez rester à la maison. Voilà le piège à éviter. Vous qui souhaitiez voir à l’Assemblée nationale Ousmane Sonko, Déthié Fall, Habib Sy, Aida Mbodj, et les autres, vous avez le pouvoir de faire d’eux des premiers ministres et des ministres de la République. C’est possible ; cela ne dépend que de vous.’’
Comme Mélenchon, l’objectif est de faire croire qu’en remportant les prochaines élections législatives, l’opposition pourrait imposer à Macky Sall la cohabitation, la nomination d’un Premier ministre et des ministres issus de ses flancs. Pourquoi pas Ousmane Sonko, Déthié Fall ou même Khalifa Ababacar Sall. Car si ce dernier n’est pas éligible, rien n’empêche sa nomination à l’Assemblée nationale. Mais ; les choses sont loin d’être aussi simples. A l’obstacle politique, il se pose aussi des obstacles d’ordre juridique.
Est-ce qu’un président de la République qui perd sa majorité à l’Assemblée nationale est obligé de nommer un Premier ministre et des ministres issus des rangs de la nouvelle majorité parlementaire ?
Aux termes de l’article 49 de la Constitution, c’est le président de la République qui nomme le Premier ministre et qui met fin à ses fonctions. En ce qui concerne les ministres, le second alinéa de la même disposition précise : ‘’Sur proposition du Premier ministre, le président de la République nomme les ministres, fixe leurs attributions et met fin à leurs fonctions.’’ Alors pourquoi la tête de liste de YAW pense-t-il que par leur vote au 31 juillet 2022, les électeurs sénégalais peuvent ‘’élire’’, pour paraphraser Mélenchon, des leaders de l’opposition Premier ministre.
Dans la pratique, c’est ce qui se passe en France, depuis quelques décennies. Mais attention, la France n’est pas le Sénégal, semble prévenir l’enseignant-chercheur à l’UCAD, Ndiogou Sarr. ‘’…En France, souligne le spécialiste du Droit public, c’est le Gouvernement qui détermine la politique de la Nation. Par contre, au Sénégal, c’est le Président qui détermine la politique de la Nation. Même s’il nomme quelqu’un issu de la coalition gagnante, celui-là sera obligé d’appliquer la politique définie par le président de la République. A moins que la Constitution soit révisée. Et, pour ce faire, il faut une majorité qualifiée. Le Président n’est donc pas obligé de nommer quelqu’un issu de la coalition gagnante’’
Maintenant, sachant que l’Assemblée nationale a en charge le vote des lois qui permettent de gouverner, le chef de l’Etat peut toujours essayer de négocier. ‘’Pour éviter des situations de blocage et d’instabilité, il peut discuter. Tout dépendra de la marge de manœuvre dont il dispose. Mais, une situation de cohabitation est bien possible, avec les deux pouvoirs (exécutif et législatif) contrôlés par des forces différentes. D’une part, le Président avec son gouvernement, de l’autre l’Assemblée qui aura plus de recul pour analyser et rejeter au besoin… Comme le disait Montesquieu, la séparation des pouvoirs ce n’est pas une séparation étanche ; c’est une collaboration intelligente des pouvoirs pour agir en concert.’’
Par ailleurs, même en France où la pratique a été éprouvée, le Président n’a pas d’obligation formelle de nommer quelqu’un de l’opposition, en cas de cohabitation. A Mélenchon qui demandait aux Français de l’élire PM, Macron répondait subtilement : ‘’Je n’ai jamais fait de politique fiction… Le Président nomme le Premier ministre en regardant le parlement.’’ Autrement dit, le chef de l’Etat tient certes compte de la réalité du parlement, mais, le dernier mot lui revient. Un PM, il n’est pas élu mais nommé par le Président de la République.
Dans la même veine, Professeur Ndiogou Sarr explique : ‘’C’est un peu l’élégance de la pratique politique ; ce n’est pas la Constitution qui le prévoit. Mais, la pratique a montré qu’on peut avoir une constitution à double visage. Chaque fois que le Président a, en même temps, la majorité, la constitution lui donne un visage présidentiel. S’il perd la majorité, il est obligé de prendre un Premier ministre issu de la majorité gagnante. Ce qui donne un bicéphalisme au niveau de l’exécutif. Encore une fois, là-bas (en France), c’est le Gouvernement qui détermine la politique de la Nation, pas le Président, comme c’est le cas au Sénégal.’’
Une source d’instabilité
Par ailleurs, il faut noter comme l’a relevé le spécialiste, que l’Exécutif a tout intérêt à travailler avec l’opposition, en cas de cohabitation, pour éviter l’instabilité. En effet, en sus de voter les lois, l’Assemblée nationale est chargée de contrôler l’action du gouvernement et d’évaluer les politiques publiques. Aussi, elle peut bien refuser sa confiance au Premier ministre, conformément aux articles 55 et 86 de la Constitution. Il résulte de l’article 86 al 2 que ‘’le refus de confiance entraine la démission du Gouvernement’’.
Pour ce qui est de la motion de censure, l’alinéa 3 du même article prévoit : ‘’L’Assemblée nationale peut provoquer la démission du Gouvernement par le vote d’une motion de censure.’’ Ce qui pourrait générer de l’instabilité et fonder la nécessité pour le président de la République de nommer un Gouvernement de consensus pour gouverner.
Sauf que le Président dispose d’autres leviers pour garder la main et gouverner, même en cas de blocage. Parmi ces leviers, il y a l’article 52 de la Constitution qui lui accorde de ‘’pouvoirs exceptionnels’’, en cas notamment ‘’de menace grave et immédiate’’ qui risque d’entraver le fonctionnement régulier des institutions. La loi précise : ‘’Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la nation, l’intégrité du territoire sont menacées d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ou des institutions est interrompu, le PR dispose des pouvoirs exceptionnels. Il peut, après avoir informé la Nation par un message, prendre toute mesure tendant à rétablir le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et des institutions et à assurer la sauvegarde de la Nation.’’
Ainsi, l’affirmation de Barthélémy Dias selon laquelle les électeurs ont la possibilité, avec les législatives, de faire de Sonko et Cie des premiers ministres et ministres n’est pas tout à fait exacte. D’abord, la Constitution en son article 49 dispose clairement que c’est le Président qui nomme le Premier ministre et les ministres. Ensuite, contrairement à la France où le Gouvernement définit la politique de la Nation, au Sénégal, c’est le président lui-même qui définit la politique de la nation et le premier ministre est obligé de la mettre en œuvre.
Toutefois, le Président aura intérêt à dialoguer avec son opposition, en cas de cohabitation, pour éviter des situations d’instabilité. Encore que, même là, le Président de la République pourrait user de ses ‘’pouvoirs exceptionnels’’ pour gouverner.
MOR AMAR