Le diplomate et l'agent
Quelle est la mission d'un diplomate d'un pays en crise aiguë comme l'est la République arabe d’Égypte ? Sous toutes les latitudes, elle se résume à peu près à ceci : défendre et légitimer l'inacceptable au prix de devoir regarder des journalistes en face pour leur seriner un tissu de mensonges ridicules. C'est à cet exercice à la fois délicat et ingrat que s'est livré hier l'ambassadeur égyptien au Sénégal, Hesham Mohamed Maher. Ce n'est pas une surprise : comme beaucoup de ses pairs à travers le monde, mais heureusement pas tous pour notre santé morale, le diplomate égyptien accrédité à Dakar n'a pas fait dans la dentelle, reprenant religieusement les mots, formules et autres éléments de la boîte à outils de communication des putschistes de juillet.
Le justificatif fondamental qui lui permet de transformer le coup d'Etat en une simple «expression de la volonté populaire» est à placer en bonne place au rayon des absurdités. Cela voudrait dire que si, demain, 20 millions de citoyens égyptiens exigeaient dans les rues du Caire, d'Alexandrie, de Port-Saïd ou de Sharm-el-Sheikh le purgatoire pour l'agent al-Sissi, celui-ci devrait s'en aller ? Quelle démocratie dans le monde est en mesure de supporter une telle instabilité ?
Poursuivant ses délires, le diplomate veut nous faire croire que «l'armée ne gouverne pas l’Égypte», cette mission étant du ressort du président de la Haute cour constitutionnelle, selon lui. Clairement, l'agent al-Sissi, le chef médiatique du pouvoir «profond», n'existe pas. M. Maher ne comprend pas encore que tous les observateurs politiques avertis qui connaissent peu ou prou l'histoire contemporaine de son pays comprennent, eux, autrement ce qui s'y passe : une armée sur-influente et dont le spectre d'intervention dépasse les limites tolérables d'une démocratie normale. L'armée égyptienne n'est pas une armée normale, comme ne l'a pas été d'ailleurs celle de la Turquie jusqu'à l'avènement de l'AKP, c'est un Etat dans l'Etat autour duquel s'organisent les grands intérêts politiques, économiques, institutionnels et militaires qui sont les siens. C'est une réalité sur laquelle les spécialistes de l’Égypte sont globalement en phase. Tout le monde n'est pas dupe...
Au fond, plus qu'un coup d'Etat, c'est une véritable «arnaque», pour reprendre le terme d'un politologue pourtant très critique vis-à-vis des «Ikhwaan» (les «Frères musulmans»), qui a été perpétrée par «le peuple militaire», pas seulement contre le camp pro-Morsi, mais contre un idéal démocratique qui n'a jamais eu droit de cité au pays des Pharaons. Et comme par hasard, après que l'armée a repris «son bien» dans le sang, le dictateur balayé il y a un peu plus de deux ans par «le vrai peuple» d’Égypte, Hosni Moubarak, est en voie de recouvrer la liberté !
Évidemment, le diplomate Maher travaille pour l'agent double al-Sissi, putschiste pro-américain, ex-coordinateur de la sécurité dans le Sinaï en relations étroites avec les Etats-Unis et Israël. A Dakar, il ne craint rien tant qu'il fera le bon choix d'être du côté de ceux qui détiennent le pouvoir dans son pays. Et si les militaires étaient balayés à leur tour, il appellerait encore à un point de presse ?!