Publié le 16 Jul 2025 - 10:43

Sonko rompt le silence, pas le pacte !

 

Ce 10 juillet 2025, devant le Conseil national du Pastef, Ousmane Sonko a pris la parole pour dénoncer entre autres les attaques répétées dont il est la cible, sans toujours sentir la République à ses côtés. Beaucoup y ont vu une plainte, d'autres un désaveu. Il n’en est rien. Ce texte relit cet épisode non comme une rupture, mais comme un geste stratégique. Une parole posée là où le silence devenait dangereux. Une mise en alerte qui oblige à clarifier les rôles, les lignes, les loyautés. Car gouverner à deux exige plus que de la confiance : cela suppose de savoir parler, avant qu’il ne soit trop tard.

Quand un Premier ministre affirme publiquement qu’il ne se sent plus protégé par l’État, que les attaques à son encontre se multiplient, que des campagnes souterraines l’exposent sans que la République ne réagisse, il faut lire au-delà de l’émotion. Ce 10 juillet 2025, Ousmane Sonko n’a pas improvisé. Il n’a pas dérapé. Il a agi. Et ce qu’il a posé là, devant le Conseil national du Pastef, est un geste politique fort, pensé, lucide. Il ne s’est pas livré à une complainte. Il a pris position. Il a mis en lumière un dysfonctionnement profond. Et ce faisant, il a déclenché une opération de clarification.

On aurait tort d’y voir une réaction à des blessures d’ego. Sonko ne se défend pas en tant qu’homme. Il engage une ligne politique. Il s’adresse à l’opinion, au Président Diomaye Faye, à la haute administration, à son parti, à l’opposition, aux faiseurs d’opinion et à l’État profond. Car derrière l’apparente vulnérabilité du propos, c’est une autorité qu’il reconstruit. Une autorité de rupture, une autorité d’alerte.

Ceux qui ont lu cette sortie comme un dérapage ou un cri du cœur ne comprennent pas la grammaire du pouvoir. Sonko ne parle jamais au hasard. Il choisit le moment où la rumeur devient insistante, où les frustrations gagnent du terrain, où le pouvoir entre dans sa phase de normalisation bureaucratique. Ce timing est stratégique. Il intervient avant que la mécanique du doute ne s’installe, avant que les silences ne deviennent complicités supposées, avant que les petites trahisons ne se muent en certitudes collectives. Il agit à froid, au moment précis où le gouvernement, pris par la gestion, commence à oublier que l’élan initial doit être nourri, entretenu, ravivé. Cette parole ne cherche pas à choquer. Elle cherche à réveiller. Et c’est en cela qu’elle est redoutablement efficace.

Il n’y a rien de plus instable que le pouvoir partagé. Et Sonko le sait. Les binômes au sommet de l’État ont rarement tenu dans la durée, surtout quand les règles de la cohabitation ne sont pas codifiées. Il ne s’agit pas ici de remettre en cause une amitié. Il s’agit de rappeler que l’exercice du pouvoir ne repose pas sur des sentiments, mais sur des équilibres clairs. Ousmane Sonko appelle à cette clarté. Il n’accuse pas, il interpelle. Il ne cherche pas à fragiliser, il réaffirme une exigence de cohérence.

L’enjeu n’est pas la lenteur des réformes, mais les interférences. Car tout laisse penser que des forces agissent en souterrain : une opposition qui harcèle, une technocratie qui freine, une administration parfois ambiguë, et une tentative d’introduire des rivalités internes là où il devrait y avoir unité stratégique. En réponse, Sonko rompt le silence. Non pour dramatiser, mais pour baliser. Il choisit le dévoilement au lieu de l’amertume. Il interroge le pacte fondateur du pouvoir actuel, dans ce qu’il a de plus essentiel : la loyauté d’État.

Le pouvoir, pour durer, ne peut s’appuyer uniquement sur des intentions mutuelles ou des souvenirs communs. Il doit se doter de rituels de confiance. De canaux d’alerte et d’espaces de régulation interne. Ce que cette sortie rend évident, c’est qu’il manque encore un langage de la dissension productive entre le Président et son Premier ministre. Dans les régimes à dyarchie fonctionnelle, c’est souvent l’absence d’une grammaire de la différence qui conduit à l’implosion. Le risque n’est pas qu’ils se parlent moins. C’est qu’ils ne sachent plus comment se dire les désaccords sans qu’ils ne soient perçus comme des ruptures. En exposant publiquement une tension, Sonko force donc le système à inventer ses propres garde-fous. Ce n’est pas une fragilité. C’est une maturation.

L’histoire contemporaine nous a appris que le silence entretient les fractures. Dans la France de la IVe République, dans la Côte d’Ivoire d’avant la rupture entre Gon Coulibaly et Ouattara, ce sont souvent les non-dits qui ont creusé les abîmes. Sonko, en prenant l’initiative, agit en stratège. Il refuse d’être relégué au rôle de fusible. Il refuse d’incarner seul les retards et les contradictions du moment. Il place chaque acteur face à ses responsabilités.

Un autre danger se dessine en filigrane : celui d’une insidieuse fabrique du soupçon. Lorsque le pouvoir commence à produire ses propres rumeurs internes, que des collaborateurs susurrent qu’untel est en disgrâce, que tel autre veut prendre la place, que les propos sont interprétés avant d’être écoutés, alors le système se grippe. Le climat devient irrespirable. Et les décisions s’enlisent. En mettant cartes sur table, Sonko assainit l’atmosphère. Il rappelle que l’engagement politique, surtout dans un régime né d’un soulèvement populaire, ne peut s’exercer dans la méfiance. La transparence devient ici un outil de gouvernement. Elle oblige à sortir du clair-obscur, là où prospèrent les divisions.

Sa sortie est aussi une tentative de reconquête du récit. Dans un monde saturé de bruit, où chaque mot est repris, remixé, retourné, il prend le contrôle du discours. Il ne se contente pas de répondre aux attaques : il déplace le débat. Il reformule les enjeux. Il impose une version des faits. Non pas pour se justifier, mais pour éviter que d’autres ne parlent en son nom.

Ce geste vise aussi une cible invisible mais bien réelle : les segments de l’État profond encore inféodés à des logiques anciennes. Ces poches de résistance bureaucratique, expertes en obstruction silencieuse, espèrent que le projet de rupture s’essoufflera dans les lenteurs administratives. Sonko les force à sortir de l’ambivalence. Il réclame une fidélité aux institutions, pas à des hommes du passé. Il réclame de l’efficacité, pas des faux-semblants.

Mais il s’adresse également à ses propres soutiens. À ceux qui doutent. À ceux qui s’impatientent. Il les rassure, non par des promesses, mais par une posture. Il leur dit : je suis là, je veille, je n’ai pas baissé la garde. Ce faisant, il réactive un lien avec la base, qui ne s’était pas rompu, mais qui avait besoin d’être réaffirmé.

On ne choisit pas toujours les conditions dans lesquelles on accède au pouvoir. Mais on choisit toujours la manière d’y inscrire sa marque. Le duo Diomaye–Sonko a une chance historique : celle d’inventer un nouveau modèle de gouvernance fondé sur la complémentarité assumée, sur la lucidité partagée, sur la fidélité non pas aux individus, mais à l’élan collectif. Ce modèle n’existe pas encore. Il est à bâtir. Et cette sortie, en ce sens, n’est pas un accroc : c’est une pierre posée sur le chantier. Il ne suffit pas d’avoir gagné ensemble. Il faut apprendre à gouverner ensemble, dans la clarté, dans la contradiction parfois, mais toujours dans le respect de la mission. Car l’histoire ne retiendra pas les tensions passagères. Elle retiendra si la promesse a été tenue.

La République repose sur la parole tenue. Et cette parole-là ne rompt rien. Elle construit. Elle indique une voie. Elle rappelle au Président qu’en période de transition, l’unité ne doit pas être un mythe silencieux, mais une alliance explicite, vivante, incarnée. Elle rappelle que gouverner, ce n’est pas additionner des postes, c’est affronter ensemble l’adversité. Que le pouvoir n’est pas un partage des honneurs, mais une communauté de devoirs.

Si rupture il doit y avoir, ce n’est pas entre deux hommes. Mais entre une façon ancienne de taire les tensions et une nouvelle manière de les assumer avec maturité. Ce que Sonko propose, c’est cela : un aggiornamento du pouvoir. Une politique de vérité. Une République où l’on ne se contente plus de gouverner, mais où l’on explicite, tranche, assume.

C’est maintenant au Président de répondre. Pas dans l’urgence. Mais dans la justesse. Car cette séquence ne passera pas. Elle s’imprimera. Et elle déterminera, peut-être, la manière dont l’Histoire jugera la solidité du tandem qu’elle avait pourtant rêvé indissociable. À présent, une question s’impose, implacable : qui prendra sur lui la lourde responsabilité de contrarier l’élan démocratique enclenché par le peuple lui-même ? Qui osera interrompre un souffle devenu promesse commune, lucide et active ? Qui, dans la pleine conscience des enjeux, choisira le repli quand la nation tout entière aspire à l’élargissement de ses droits, de sa voix, de sa souveraineté ? Que sais-je ? Mais l’Histoire, elle, est patiente. Et elle n’oublie rien.

Hady TRAORE

Expert-conseil

Gestion stratégique et Politique Publique-Canada

Fondateur du Think Tank : Ruptures et Perspectives

hadytraore@hotmail.com

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