Vers une guerre des compétences !
Corrigeant les imperfections de la Crei et promouvant la spécialisation pour une prise en charge efficace de certains types d’infraction complexes, la nouvelle loi comporte cependant un certain nombre de tares liées surtout aux couts et aux risques de conflits de compétence entre le PJF nouvellement créé et les juridictions de droit commun.
On n’a pas encore fini de parler des affres de la Crei que certaines voix ont commencé à s’élever contre le Pool judiciaire financier (PJF), né sous ses décombres. Certains experts craignent, en effet, un géant budgétivore chargé de faire presque la même chose que certaines juridictions déjà existantes.
Mais que prévoit la nouvelle loi récemment adoptée par l’Assemblée nationale ?
Aux termes de l’article 677-93, le Pool judiciaire financier exerce, en effet, ‘’une compétence concurrente à celle des juridictions de droit commun, pour la poursuite, l’instruction et le jugement’’ d’un certain nombre d’infractions à caractère économique ou financier.
Parmi ces infractions, il y a ‘’la corruption et les pratiques assimilées, les détournements, escroqueries liés aux deniers publics, les infractions liées à la fausse monnaie, le blanchiment de capitaux, les infractions fiscales, les infractions douanières, le trafic de stupéfiants, de substances psychotropes, les infractions liées aux technologies de l'information et de la communication, les infractions en matière de chèque, de carte bancaire et des autres instruments et procédés électroniques de paiement ; les infractions à caractère économique ou financier pour lesquelles une loi spéciale lui donne compétence ; les infractions connexes aux infractions visées aux 1° à 10°…’’ Celles-ci doivent cependant présenter ‘’une grande complexité, en raison notamment du nombre important d’auteurs, de complices ou de victimes, de l'importance du préjudice, ou du ressort géographique sur lequel elles s'étendent’’ pour justifier la compétence du PJF et non des juridictions de droit commun.
Sous ce rapport, il est effectivement à craindre des conflits de compétence entre la nouvelle juridiction et les juridictions de droit commun qui existent déjà et qui s’occupent de ces questions.
Le procureur général coordinateur et arbitre des conflits
Comme pour parer à tout conflit, le législateur a placé le procureur de la République financier (chef du parquet financier) sous l’autorité du procureur général près la Cour d'appel de Dakar. Ce dernier, souligne la loi, a dans les affaires de sa compétence les mêmes attributions que le procureur de la République.
Il convient également de noter que le procureur de la République financier est assisté par un procureur de la République financier adjoint et de trois substituts financiers, au moins. Une organisation qui pourrait permettre de se prémunir contre certains conflits de compétence. Dans tous les cas, le parquet général a le dernier mot pour arbitrer en cas de différend, conformément aux prescriptions de la nouvelle loi.
Par ailleurs, à côté de ces compétences qu’il partage avec les juridictions de droit commun, le Pool dispose de compétences qui lui sont propres. Parmi les incriminations pour lesquelles il a une compétence exclusive, il y a les infractions liées à la corruption et pratiques assimilées, à la fraude et au blanchiment de capitaux résultant des enquêtes diligentées par les autorités administratives indépendantes, notamment la Cellule nationale de traitement des informations financières (Centif) et l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac), les infractions liées à la réglementation des marchés publics, la piraterie maritime, le financement du terrorisme, le trafic de migrants, l’enrichissement illicite, les infractions liées à la réglementation bancaire, les infractions boursières sur le marché financier, l’escroquerie ou l’abus de confiance dont le préjudice est supérieur à 50 millions.
Outre le parquet financier qui apprécie de l’opportunité des poursuites, le PJF est composé d’un collège des juges d’instruction financier, d’une chambre de jugement financière, d’une chambre d’accusation financière, d’une chambre des appels financière, d'assistants de justice spécialisés.
Par ailleurs, contrairement à certaines allégations, la nouvelle loi maintient dans le dispositif législatif la loi sur l’enrichissement illicite. ‘’Le procureur de la République financier est seul compétent pour effectuer la mise en demeure prévue par l'article 163 bis du Code pénal et relative à l'enrichissement illicite. Après achèvement de l'enquête préliminaire et s'il y a des indices d’enrichissement illicite, il convoque la personne mise en cause, en lui précisant que dans l'éventualité d'une poursuite, les pièces du dossier sont tenues à sa disposition, pour communication, 48 heures à l'avance à son secrétariat et en l'avertissant de ce qu'elle peut se faire assister du conseil de son choix’’, dispose l’article 677-102.
Sue la procédure, la même disposition précise : ‘’Le procureur de la République financier entend la personne concernée, assistée, le cas échéant, de son conseil. Il lui fait ensuite connaître les résultats de l'enquête en ce qui concerne le montant de ses ressources connues, comparé au détail des éléments de son patrimoine ou de son train de vie. Il met ensuite la personne entendue en demeure de justifier dans le délai d'un mois l'origine licite desdits éléments, et en dresse procès¬verbal. Si la personne convoquée présente des justifications suffisantes, le procureur de la République financier classe le dossier sans suite. Si la personne convoquée ne se présente pas ou ne fournit, dans le délai imparti, aucune justification ou si les justifications fournies sont insuffisantes, le procureur de la République financier saisit le président du collège des juges d'instruction financiers’’.
Par ailleurs, lorsque les faits constitutifs de l'une des infractions visées à l'article 677-94 concernent une personne bénéficiant d'une immunité ou d'un privilège de juridiction, le procureur de la République financier transmet le dossier à l'autorité compétente aux fins de l’exercice des poursuites par voie de droit. ‘’Tout procureur de la République saisi de faits pouvant constituer l'une des infractions rentrant dans les catégories visées à l'article 677-94 transmet, dans les 72 heures de sa saisine, le dossier au procureur de la République financier. Toutefois, lorsque les circonstances l'exigent, tout procureur de la République peut procéder à tous actes urgents, à charge d'en rendre compte au procureur de la République financier’’, souligne la nouvelle réglementation, qui soulève les polémiques.
MOR AMAR