Ces goulots qui menacent la pérennité du système électoral
La multiplication des contentieux préélectoraux entre Benno et Yaw a alerté un certain nombre de membres de la société civile qui craignent une logique d’exclusion des listes électorales susceptible de menacer l’État de droit au Sénégal et la stabilité sociale.
C’est une déflagration qui risque d’emporter tout le processus postélectoral. Depuis vendredi dernier, une épée de Damoclès plane au-dessus des principales coalitions BBY et Yaw engagées dans une violente bataille politique qui n’a qu’un seul but : faire “invalider” les listes de l’autre.
Ainsi, la perspective d’une invalidation des listes nationales de ces deux coalitions fait frémir toute la classe politique et viendrait à faire dérailler le processus électoral.
Si la première salve a été tirée par Déthié Fall, le mandataire de Yaw, qui a révélé, vendredi dernier, une absence de parité dans la liste nationale de BBY qui a présenté deux femmes aux 43e et 44e positions sur la liste des suppléants, la réplique n’a pas tardé du côté de Benoît Sambou, mandataire de BBY, qui a tenu à apporter la réplique que 15 listes départementales de Yaw ne respectent pas la parité. Samedi, il en a remis une couche (voir ailleurs). Sans oublier la saisine déposée par Bougane Guèye Dani contre l’invalidation de sa liste de parrainage par la Direction générale des Élections (DGE) qui a rejeté 36 000 parrains pour sa coalition.
Face à ces tensions politiques qui risquent de mettre de côté les principales forces représentatives du pays, plusieurs voix de la société civile se sont levées pour réclamer plus d'“accommodements” et de “souplesses” de la part de la justice pour des élections inclusives au Sénégal. Doit-on préserver l'équilibre démocratique, en mettant en avant le principe d’inclusivité, afin de permettre à toutes les forces représentatives de participer au scrutin ? Doit-on faire une lecture rigide de la loi et bannir toute liste non conforme aux dispositions du Code électoral ? Autant de questions qui risquent de se poser avec acuité, dans les prochains jours, aux sept sages du Conseil constitutionnel chargés des contentieux électoraux.
Les possibles accommodements du Conseil constitutionnel pour éviter l'effondrement du système électoral
Pour Alioune Tine, membre fondateur d’AfrikaJom Center et ses camarades, le Conseil constitutionnel du Sénégal doit agir de manière à apaiser les tensions politiques grandissantes et les risques de violences politiques. Pour l’ancien président de la Rencontre africaine pour la défense des Droits de l’homme (Raddho), l'institution doit contribuer à l'avènement d’une institution parlementaire plurielle et inclusive, afin de mettre fin au processus d’autodestruction du système politique et démocratique.
Dans la même foulée, Ndiaga Sylla, expert des questions électorales, préconise une voix de dialogue conforme aux dispositions légales et qui évite toute exclusion de liste par une simple erreur matérielle. Sur cette base, il indique que le nouveau Code électoral, contrairement à ses devanciers, n’interdit plus ni le retrait ni la substitution d’un candidat, puisque la disposition pertinente y relative a été expressément abrogée. Un élément qui doit ouvrir la voie à la régularisation et la validation éventuelle de la liste Yewwi Askan Wi au scrutin départemental de Dakar.
‘’C’est donc à bon droit que la coalition Yewwi Askan Wi peut valablement procéder à la régularisation de sa liste départementale de Dakar par le retrait dûment notifié au ministre de l’Intérieur’, affirme-t-il dans un communiqué.
Une voie de sortie de crise qui devrait lever tous les obstacles visant à empêcher la participation de toute liste et à privilégier la voie du dialogue et du consensus sur la matière électorale.
L’intransigeance de la coalition Aar Sénégal pour l’exclusion des listes de Yaw et Benno
Sur le champ politique, on est beaucoup moins conciliant. La coalition Aar Sénégal dénonce la position inacceptable d’Alioune Tine invitant, à travers “des dispositions juridiques glanées pêle-mêle, mais complètement décalées du contexte, le Conseil constitutionnel à un déni de justice, au nom d’une paix sociale que seul le règne de l’État de droit peut assurer”, ont fait savoir, hier, Thierno Bocoum et Cie dans une note. Pour les responsables d’Aar Sénégal, les situations d’irrecevabilité constatées sur des listes candidates aux prochaines élections législatives sont les conséquences d’erreurs humaines qui ne peuvent échapper à l’expression jurisprudentielle, soutiennent-ils dans un communiqué dont ‘’EnQuête’’ détient une copie.
Pour Ibrahima Bakhoum, les voies de sortie de cette crise ne sont pas simples à trouver, dans la mesure où ces questions de parrainage et de non-respect de la parité posent le problème de la contradiction entre le principe fondamental de la loi garantissant la liberté de candidature et les dispositions réglementaires du Code électoral. “Ces déclarations d’Alioune peuvent laisser à interprétation de deux manières. Il y a des gens qui ont fait l’effort pour respecter les lois et ces derniers doivent être sanctionnés positivement. On ne peut pas faire une justice à la carte et on ne peut pas mettre sur le même pied d'égalité ceux qui ont respecté le Code électoral et ceux qui ont fauté. D’un autre côté, le juridisme ne doit pas entraver la stabilité, la paix et la cohésion nationale. Aucune justice ne peut être au-dessus de la paix. Il ne faut pas que le fétichisme de la loi l’emporte sur le besoin de vivre en paix”, analyse le journaliste.
Problème de légitimité d’un scrutin sans Yaw et Benno
Concernant la question autour d’un risque d’un manque de représentativité démocratique de la prochaine Assemblée nationale, avec la possible exclusion des listes nationales de Yaw et de Benno, l’analyste politique se veut très clair : “Si les deux principales forces politiques du pays commettent des fautes, que voulez-vous qu’on fasse ? On peut se retrouver avec une faible participation au scrutin législatif qui aurait des problèmes de légitimité pour décider du sort du pays. Nous avons ici une démocratie à corriger qui a une mauvaise trajectoire. Les personnes qui nous dirigent exercent cette fonction au nom du peuple. Elles ne doivent pas chercher à écraser leurs opposants avec les moyens de l’État. Il faut revenir aux fondements de la démocratie, à savoir le dialogue, le consensus, la transparence”, dit-il.
Makhfouz NGOM