Publié le 13 Jun 2023 - 23:38
POUVOIR D'ACHAT

Leurre sur les salaires

 

Malgré l’euphorie suscitée chez certains travailleurs dans le privé, les projections font surtout ressortir des hausses de salaire modestes, variant entre 7 500 et 10 000 F CFA, parfois même moins. Avec la revalorisation de la prime de transport, certains pourraient se retrouver entre 15 000 et 20 000 F CFA.

 

Le monde du travail ne bruit presque plus que de ça. Des agents courent vers les textes et les experts pour savoir dans quelle mesure leur pouvoir d’achat sera impacté par les dernières hausses de salaire convenues entre employeurs et travailleurs, sous la supervision du gouvernement. Lesquelles ont porté les primes de transport de 20 800 à 26 000 F CFA, au moment où les travailleurs en réclamaient 50 000. Pour ce qui est des salaires catégoriels, une hausse de 10 % a été consentie pour les catégories 1 à 4 ; 8 % pour les catégories 5 à AM2 ; 5 % pour la catégorie AM3 et les catégories supérieures, au moment où les travailleurs en réclamaient 30 %. Relativement au Smig, elle a connu une hausse de 11 %, alors que les centrales demandaient 17 %.

Pour avoir une idée de l’impact des nouvelles hausses sur son salaire, il faut d’abord connaitre de quelle catégorie on relève.

Interpellé, cet inspecteur du travail explique : ‘’Il faut savoir que la subdivision des travailleurs fait ressortir quatre grands groupes. D’abord, il y a le groupe des ouvriers et employés qui relèvent des catégories 1 à 6 ou 1 à 7, selon certaines conventions. Ensuite, vient le groupe des agents de maitrise (AM), techniques et assimilés rangés dans les catégories 7A à 8C ou AM1 à AM5. Et enfin, il y a le groupe des ingénieurs, cadres et assimilés (catégorie 9A à 10C ou P1 à P5).’’ L’inspecteur précise toutefois que la nouvelle hausse n’a pas tenu compte de cette subdivision. ‘’Par exemple, précise-t-il, la hausse de 10 % concerne une partie des ouvriers et employés (pas tous), les 8 % l'autre partie et les agents de maîtrise dont le niveau de responsabilité n'est pas aussi important’’.

Concrètement, de combien vont augmenter les salaires au niveau des différentes catégories professionnelles ? Voilà la question pratique que se posent de nombreux travailleurs ? À ce niveau, la déception risque d’être énorme chez certains qui voient déjà très grand. ‘’En fait, pour les salaires, l’augmentation la plus importante ne peut pas dépasser 10 000 F, selon les projections qui restent à confirmer. Je pense que c’est bon à savoir pour éviter de créer inutilement des conflits’’, soutient l’inspecteur du travail qui invite à se référer aux barèmes fixés en 2020, pour se faire une idée plus précise.

Les 10 % concernent les employés et les ouvriers, les 8 % les agents de maitrise dont le niveau de responsabilité n’est pas important, les 5 % les cadres

Selon les secteurs concernés, les salaires de base peuvent varier. Ainsi, pour le secteur du commerce par exemple, les travailleurs des catégories 1 à 4 peuvent percevoir entre 64 278 et 74 793 F, selon les derniers barèmes disponibles (2020). Pour des secteurs comme l’industrie hôtelière, le barème prévoit 71 100 F pour la catégorie 4. Pour l’industrie alimentaire, le barème de 2020 prévoit environ 76 721 F pour la même catégorie. Pour des secteurs comme les banques et établissements financiers, les salaires peuvent varier entre 71 000 et environ 94.000 F… Pour les secteurs et catégories citées en exemple, les hausses maximales sur les salaires sont ainsi respectivement d’environ 7 479 ; environ 7 110 ; 7 672 et 9 499 F CFA pour les travailleurs des banques et établissements financiers.

La même opération doit être reconduite pour les catégories 5 à AM2 avec une hausse de 8 % et les AM3 et catégories supérieures qui s’en tirent avec une hausse de 5 %.

Pour donner une idée des hausses chiffrées pour ces différentes catégories, on peut prendre les agents des banques qui sont parmi les grands privilégiés. Il ressort des barèmes de 2020 que le salaire de base prévu pour un employé supérieur de classe 1V est de 136 000 F environ. Pour les cadres dans le même secteur, le salaire de base est estimé à 204 721 F. Pour ces catégories de travailleurs des banques, les hausses maximales seront de l’ordre de 10 880 et 10 236 F CFA.

Il faut se référer aux barèmes de 2020 pour déterminer les salaires des uns et des autres, puisque les salaires varient en fonction des catégories et des secteurs

À noter que l’accord prévoit quelques dérogations pour certaines situations. La première concerne les secteurs et branches d’activités appliquant des barèmes de salaires catégoriels plus favorables que les nouvelles grilles salariales revalorisées, à condition que des conventions ou accords aient antérieurement prévu des clauses écrites faisant prévaloir ces barèmes plus favorables sur toute augmentation généralisée moins importante. La deuxième est relative aux entreprises et établissements appliquant des grilles de salaires catégoriels plus favorables pour les travailleurs. Et la troisième prévoit que les hausses préalables effectuées par les entreprises sont à faire valoir si elles ont été notifiées.

Dans tous les cas, selon les projections, il sera difficile de voir un travailleur avec une hausse de plus de 10 000 F sur son salaire de base. Même avec la prime de transport portée de 20 800 à 26 000 F, la hausse atteindrait difficilement la barre des 20 000 F.

Selon l’inspecteur du travail, il faudrait attendre que le ministère sorte un communiqué officiel pour que les nouveaux barèmes soient établis.

De l’avis du secrétaire général de la Confédération nationale des travailleurs du Sénégal (CNTS) Mody Guiro, il faudrait surtout saluer les efforts qui ont été faits et qui font suite à ceux consécutifs aux négociations de 2019. ‘’Ce ne sont pas des mesures qui sont tombées du ciel. Ces résultats sont le fruit d’âpres négociations. Je pense que c’est très important. Il ne faut pas non plus oublier qu’ils arrivent à la suite des augmentations ayant découlé des négociations de 2019. Avec les crises auxquelles nous faisons face, les travailleurs ont demandé que des efforts supplémentaires soient faits ; ce qu’ils ont obtenu et il faut s’en féliciter’’, souligne le syndicaliste.

Mody Guiro, SG CNTS : ‘’Il faut saluer les efforts qui ont été faits’’

Selon lui, la satisfaction n’est certes pas totale, mais des résultats nets ont été obtenus. ‘’Nous ne sommes pas totalement satisfaits, mais je pense qu’il y a eu des efforts non négligeables qu’il faut saluer. C’est ainsi les négociations ; quand vous avez quelque chose, vous prenez et vous allez chercher autre chose. On ne va pas dans des négociations en disant : tout ou rien. Il faut aussi être raisonnable’’. Cela dit, souligne M. Guiro, ces acquis n’empêchent pas les travailleurs de certaines entreprises qui ont des possibilités d’attendre ce genre d’accord pour améliorer leurs situations. ‘’Les travailleurs ont toujours négocié en interne pour avoir des augmentations plus importantes d’ailleurs. Si nous faisons ces genres de négociations, c’est surtout pour ceux qui sont dans des entreprises qui ne font aucun effort. Comme la presse privée, par exemple’’, fait-il remarquer, avant de vanter les vertus du dialogue social et de la négociation collective.

‘’Il faut noter que sans accords, les relations se détériorent. D’où l’intérêt de toujours négocier en vue d’arriver à des accords. La paix sociale n’a pas de prix. Nous avons tous intérêt à ce que l’entreprise fonctionne, que les travailleurs également puissent s’épanouir. Et nous travaillons dans ce sens’’.

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