Kairé et Azoura risquent trois mois ferme

La salle 1 du tribunal des flagrants délits de Dakar a été, hier, le théâtre d’un face-à-face tendu entre deux prévenus au passé militant revendiqué et une justice déterminée à encadrer les excès de langage dans l’espace public. El Hadj Ousseynou Kairé, chauffeur domicilié aux Maristes, et Assane Guèye alias ‘’Azoura Fall’’, résident à la Patte d’Oie, comparaissaient pour discours contraires aux bonnes mœurs, suite à la diffusion de propos injurieux dans des vidéos devenues virales sur les réseaux sociaux.
Ils ont fait face aux juges du tribunal des flagrants délits de Dakar. Azoura et Kairé, dès l’ouverture des débats, ont reconnu les faits. Le juge a ordonné la projection des vidéos, preuve que l’affaire, au-delà des mots, portait sur l’impact de ceux-ci dans l’espace public numérique.
Au prétoire, Azoura Fall n’a pas tenté pas de se défiler : ‘’J’ai tenu ces propos. C’est parce que depuis 2014, des gens insultent ma mère. Macky Sall n’est pas plus digne qu’elle’’, s’est-il défendu. Une phrase qui a fait sursauter l’auditoire.
Mais le juge l’a interrompu immédiatement, exigeant une réponse claire et directe aux questions posées. Azoura a tenté alors de contextualiser. La vidéo remonte à neuf mois, a-t-il dit. Elle a été diffusée lors d’un live privé réservé à ses abonnés, dans un cadre où la modération des commentaires est possible, mais pas automatique. Il a raconté avoir été attaqué verbalement par un internaute qui a insulté sa mère. Ce serait, selon lui, l’élément déclencheur de sa réaction. ‘’J’étais énervé. J’ai répliqué en insultant Macky Sall’’, a-t-il admis.
Il a également évoqué des relations troubles avec certains anciens responsables politiques. ‘’Maitre Moussa Diop, quand on était à Matam, m’a supplié de l’emmener voir Ousmane Sonko. Je lui ai dit que je ne pouvais pas’’, a-t-il glissé, comme pour marquer une forme d’ironie sur les revirements politiques de certaines figures publiques.
À ses côtés, Ousseynou Kairé a assumé également une part de responsabilité : ‘’Je demande pardon. Je suis allé le soutenir parce que c’est mon ami. Mais je ne cautionne pas les propos qu’il a tenus.’’ Il a insisté surtout sur le fait que la vidéo date de neuf mois et a regretté que ce soit seulement maintenant qu’elle est diffusée, suscitant son arrestation. ‘’J’ai dit au procureur de s’autosaisir. Car si on m’arrête, je sais qu’Azoura se rendra’’, a déclaré le prévenu.
L’ambiance s’est alourdie soudainement quand, à la question du parquet, Azoura a tenté de se déshabiller à la barre pour montrer les traces de violences qu’il a dit avoir subies. ‘’Qui m’a fait ceci ? Ce n’est pas Macky Sall ?’’, a-t-il lancé avant que ses avocats n’interviennent vivement pour l’empêcher d’aller plus loin.
L’homme a alors fait des révélations sur son passage en détention. Un séjour carcéral qu’il décrit comme inhumain. ‘’J’ai fait l’armée et c’est à cause de Macky Sall que je l’ai quittée. J’ai été emprisonné parce que je suis avec Ousmane Sonko. J’ai eu un nerf sciatique, je suis resté quatre mois sans pouvoir dormir sur un lit. On me donnait une tasse de riz par jour comme repas. Et au lieu de médicaments pour mon mal, on me donnait des traitements pour les fous’’, a-t-il fulminé.
Kairé, de son côté, ne s’est pas retenu non plus. Il a raconté son arrestation du 31 décembre à la place de l’Indépendance. ‘’J’ai dit ‘Sonko namnala’ et j’ai été torturé par des éléments de la Sûreté urbaine. Ils m’ont mis à nu avant de me matraquer les parties intimes’’, a-t-il déclaré d’une voix calme, mais lourde de colère contenue.
Le parquet écarte toute démence chez Azoura Fall
Le ministère public, dans sa réquisition, a écarté toute hypothèse de démence chez Azoura Fall. ‘’Aucun document médical produit dans le dossier ne démontre un état de démence. Le prévenu a dit lui-même avoir tenu ces propos, il y a neuf mois. Il est donc conscient. Ses explications montrent même une certaine maitrise de la situation’’, a souligné le maitre des poursuites.
Le parquet a requis six mois d’emprisonnement, dont trois mois ferme, à l’encontre des deux hommes. Un réquisitoire ferme, mais justifié, selon le ministère public, par la gravité des propos et leur portée dans un contexte tendu. ‘’Les réseaux sociaux ne doivent pas devenir des zones de non-droit’’, a-t-il ajouté.
Maitre Famara Fati, avocat de la défense, a contesté la gravité des faits : ‘’Même 10 minutes suffisent pour établir son état. Il faut requalifier les faits en injures non publiques et déclarer l’action publique irrecevable. Ousseynou n’a pas su se maitriser, c’est l’affection qu’il porte à son ami. Il a agi par bienveillance, pas par défiance’’, a plaidé la robe noire.
Maitre Bamba Cissé, pour sa part, s’est interrogé sur la base juridique même de la poursuite. ‘’Il n’existe aucune disposition spécifique pour un ancien président de la République. L’action doit donc être déclarée irrecevable’’, a-t-il conclu.
Le tribunal, après avoir entendu toutes les parties, a rejeté la demande de liberté provisoire formulée par les avocats de Kairé. Le délibéré est attendu pour le 4 juin prochain.
MAGUETTE NDAO