L’Afrique se cherche encore
L’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) et l’office des brevets du Japon organisent une conférence interministérielle africaine de trois jours à Dakar. Les experts planchent sur les moyens pour que la ‘‘croissance tire sa source dans la créativité et l’innovation’’.
‘‘On a l’impression que si les organismes de propriété intellectuelle existent en Afrique, c’est pour réguler les besoins commerciaux des grands pays industriels que pour marquer réellement la place que cette question cruciale devrait occuper dans les politiques de développement des pays africains’’. En mettant les pieds dans le plat de cette rencontre ministérielle sur la propriété intellectuelle pour une Afrique émergente, Martial Paul Ikounga, commissaire aux Ressources humaines de la Science et de la Technologie de l’Union Africaine, exhorte les Africains à centraliser les efforts pour consacrer un réel envol. Le représentant de la présidente de la Commission de l’UA, Nkosazana Dlamini Zuma s’étonne que dans les universités, ‘‘des questions essentielles comme l’innovation, la propriété intellectuelle, les appellations d’origine, l’information-brevet, ne soient pas enseignées ; le cas échéant dans de rares cas, sous forme initiatique et réservée’’.
Dans la plupart des pays africains, la question de la PI est régie par des textes de l’ère coloniale et de ce fait rend les instruments peu viables pour le développement et sont peu utilisés. Pis, depuis la création de l’organisation panafricaine de la propriété intellectuelle (Opapi) en 2009, ce n’est qu’actuellement que les statuts sont en cours d’étude par le comité des ministres africains de la justice. A ce titre, si le Premier ministre sénégalais, Mahammad Dionne, s’est réjoui de l’ouverture de deux bureaux de l’OMPI en Afrique et des négociations de Genève sur les savoirs traditionnels, il s’inquiète d’une éventuelle collision entre différents organismes de protection. Les prérogatives de l’Opapi pourraient empiéter sur celles de structures déjà existantes. ‘‘L’Opapi ne serait pas profitable si elle est conçue dans un sens qui dépossède les Etats de leur souveraineté. Ladite organisation s’arrogerait les droits que les Etats africains ont déjà confié à des offices régionaux comme l’OAPI ou Arico, qui jusqu’ici, fonctionnent convenablement à la satisfaction des Etats’’, prévient Mahammad Dionne.
Pour moins exposer le continent noir à la détérioration des termes de l’échange, la conférence ministérielle sur la propriété intellectuelle pour une Afrique émergente se réunit pour trois jours à Dakar. Une problématique importante, vu la nécessité d’intégrer la propriété intellectuelle dans les politiques et programmes de développement des pays africains. Une urgence dans le contexte ou plusieurs de ces pays sont candidats à l’émergence économique. Cependant, l’absence ou l’abandon des normes de procédures en matière de mesures anti-contrefaçon ou leur non-harmonisation, limitent l’impact attendu des droits de propriété intellectuelle en Afrique. ‘‘La question de la protection de la propriété intellectuelle doit dès lors être au cœur de nos préoccupations en ce qu’elle vise à prévenir la contrefaçon et l’utilisation frauduleuse d’œuvres artistiques ou littéraires, de procédés d’application industrielle ou artisanale’’, a déclaré Mahammad Dionne, annonçant que le code douanier sénégalais vient de s’enrichir de nouvelles clauses qui érigent la contrefaçon en délit douanier, en plus du code des obligations civiles et commerciales qui régulent les pratiques concurrentielles.
Connaissances traditionnelles
Dans cette nouvelle société du savoir et du savoir-faire, l’Afrique s’emploie à la mise sur pied de systèmes d’innovation et de propriété intellectuelle efficace. Chaque année dans le monde, environ 4,4 millions de marques déposées sont enregistrées, fait savoir le directeur général de l’OMPI, Francis Gurry.
Le continent est aussi confronté à des problèmes d’exclusion de certaines de ses connaissances, tels les savoirs traditionnels, qui ont contribué dans certains cas à des percées scientifiques majeures. Aussi, en ce qui concerne la protection du patrimoine immatériel comme la tradition orale africaine, la présidente de l’Ile Maurice, Ameenah Gurib-Fakim, invitée spéciale de la conférence, a appelé les chercheurs africains à plus de pragmatisme. ‘‘La codification des données traditionnelles indiennes et chinoises a permis leur reconnaissance, surtout dans les domaines des applications médicinales. Il n’y a pas eu ce même sérieux de transmettre les données traditionnelles africaines. Le plus important, c’est la reconnaissance de ces données dans le continent africain. Il faut nous parler pour accorder la validité et reconnaissance à nos propres données’’, suggère-t-elle.
La recherche universitaire n’est pas en reste puisque ‘‘ seules les publications scientifiques préoccupent les universitaires, dans la recherche de leur promotion académique, alors que l’invention ainsi perdue pourrait être économiquement plus bénéfique à toute la société’’, dénonce Paul Ikounga qui suggère aux académiciens de vulgariser les résultats de leur recherche.
OUSMANE LAYE DIOP