La grande hypocrisie
En cette Journée mondiale des réfugiés, ‘’EnQuête’’ est allé à la rencontre des réfugiés en détresse dont les souffrances sont exacerbées par la crise sociopolitique. Oubliés par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), méconnus par l’État du Sénégal, ces réfugiés sans papiers courent en permanence le risque d’être arrêtés et traduits en justice. Ils tirent la sonnette d’alarme.
Aujourd’hui, c’est la Journée mondiale des réfugiés. Comme à l’accoutumée, la communauté internationale et les États vont se retrouver dans les salons feutrés, des millions, voire des milliards de francs seront encore alloués à des dépenses somptuaires dans des activités festives, au moment où ils sont des milliers de réfugiés à vivre dans le plus grand dénuement.
Au Sénégal, voilà plusieurs mois que des réfugiés venus d’horizons divers courent derrière une simple assistance. Ni le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés ni les ONG, encore moins l’État se sont souciés de leur sort. À la place de cette compassion qu’ils ont tant souhaitée, ils ont eu plutôt droit à la chasse, à l’humiliation et même, pour certains, à des poursuites judiciaires initiées ou favorisées par l’organe qui est censé les protéger.
En cette journée marquant la célébration de ces personnes qui ont tout abandonné, à la quête de lendemains meilleurs loin de leurs terres d’origine, ‘’EnQuête’’ est allé à la rencontre de ces grands oubliés de notre société. Malgré les épisodes douloureux vécus depuis qu’ils ont fui la Gambie de Yaya Jammeh pour rejoindre en situation de détresse le pays dit de la ‘’teranga’’, ils tentent encore de s’accrocher, continuant d’implorer le secours du HCR. À leurs difficultés traditionnelles, est venue s’ajouter une peur bleue liée à la crise actuelle.
‘’En fait, sans documents, nous sommes en permanence sous la menace d’une arrestation. S’il y a des patrouilles et que nous sommes interpellés, nous aurons forcément des problèmes, d’autant plus que nous n’avons aucun titre. Nous demandons de l’aide, encore une fois, au HCR, aux bailleurs et à toutes les bonnes volontés’’, supplie Ibrahim Koneh, réfugié libérien au Sénégal.
Embouchant la même trompette, l’Ivoirien Loua Diomandé attire l’attention sur ces menaces augmentées par la crise sociopolitique actuelle. ‘’Déjà en temps normal, on souffrait. Je pense que votre journal est témoin des difficultés que nous avons vécues jusque-là (ils ont passé toute une saison des pluies à la belle étoile, faute de logement, NDLR). Mais en ces temps de crise, les choses s’empirent. Les menaces s’amplifient. Si on se fait arrêter avec les patrouilles, on peut avoir des difficultés, d’autant plus qu’il y a beaucoup de suspicions en ce moment sur les étrangers. Comme vous le savez, toutes les ambassades ont envoyé des messages à leurs ressortissants, afin de les inviter à se déplacer munis de leurs pièces. En ce qui nous concerne, nous sommes sans document. Or, il faut qu’on sorte pour trouver de quoi nourrir nos familles. Avant, on se débrouillait difficilement, mais avec la situation actuelle, c’est encore plus compliqué’’, alerte M. Diomandé.
La crise sociopolitique, un facteur aggravant
À la sempiternelle question sur les raisons de leur réticence à retourner dans leurs pays d’origine où il ne semble plus y avoir de conflits, Ibrahim Koneh rétorque, invariable : ‘’Moi, j’ai quitté mon pays à l’âge de 10-11 ans. Je ne connais personne là-bas qui peut me faciliter le retour. Aussi, ce sont les gens qui nous ont persécutés qui sont au pouvoir. Voilà pourquoi il est difficile de retourner.’’ Il en est de même pour Diomandé qui exclut la possibilité de rentrer en Côte d’Ivoire, pour défaut de sécurité.
La possibilité d’un retour au pays anéantie, il restait aux réfugiés deux autres options : l’intégration dans les pays d’accueil ou la réinstallation dans des pays tiers. Là aussi, c’est comme si le sort s’acharnait sur eux, avec un HCR qui semble les considérer comme des pestiférés. ‘’Nous avons été sacrifiés par le HCR’’, regrette M. Koneh, non sans réclamer une enquête pour faire la lumière sur leurs dossiers.
En fait, Koneh et ses camarades –une vingtaine - avaient fui la Gambie, il y a plus de 10 ans, suite à des arrestations suivies de tortures dans les prisons de Yaya Jammeh. Leur tort : avoir parlé de la situation exécrable des réfugiés en Gambie. Arrêtés, violentés, torturés, pour ne citer que ces sévices, les réfugiés qui avaient des statuts en bonne et due forme se sont finalement résolus à fuir ce pays, pour venir se mettre à l’abri au Sénégal. ‘’Sans aucune raison valable, le HCR n’a jamais voulu nous régulariser, alors que nous étions même des chefs de camp en Gambie. Ils n’ont pas voulu nous donner des titres, ils n’ont entrepris aucune démarche pour notre intégration au Sénégal. Nous avons été sacrifiés par le HCR avec nos familles’, souligne le Libérien qui rappelle que le ministre de l’Intérieur en fonction au moment de ces difficultés est d’ailleurs en prison à Genève.
Quand l’Église supplée le HCR
Tandis que les adultes tentent de se débrouiller, malgré ces montagnes de difficultés, les enfants, eux, semblent souffrir davantage de cette situation.
Père de deux filles âgées respectivement de 16 et 4 ans, Loua Diomandé témoigne : ‘’Ce qui me préoccupe le plus, c’est l’avenir de mes enfants. Moi, je me demande comment le HCR peut rester insensible à cette situation. Ces enfants, ils n’ont rien fait. Je pense que la moindre des choses était de les aider à suivre leur scolarité, mais ils n’ont rien fait…’’
Si le HCR a brillé par son absence, l’Église, elle, a souvent été là, à travers la Caritas, pour accompagner la famille Diomandé et toutes les autres, aussi bien dans la scolarisation des enfants que dans le paiement des loyers. Grâce à cette dernière, Emmanuella a pu gravir les échelons, avec un parcours atypique. Hélas ! Les problèmes ne sont jamais loin pour la fille menacée d’apatridie. ‘’Cette année, elle doit faire le Bfem, mais elle n’a même pas le document qui doit lui permettre de subir les examens. C’est la Caritas qui a fait une lettre d’honneur que j’ai déposée à l’école. Les responsables ont dit qu’ils vont essayer, mais ils ne peuvent pas garantir si la Direction des examens va l’accepter. Nous sommes en permanence confrontés à ces aléas et pour les enfants, c’est insupportable’’.
Née en Gambie, la petite fille n’a pas eu la chance de faire ni la préscolaire ni un cycle élémentaire complet. Heureusement pour elle, son père a pu l’encadrer dans l’optique de lui donner un minimum pour être autonome. Par la suite, sur demande de M. Diomandé, l’église de Ouakam finit par lui décrocher une inscription pour des cours de soir. Compte tenu de son âge et de son niveau, elle est inscrite directement en CE1. Très intelligente, elle réussit à tous les niveaux et fait partie des meilleurs élèves de sa classe.
Il faut regretter qu’en plus de son attitude peu avenante envers les réfugiés, le bureau HCR à Dakar a toujours refusé de s’ouvrir aux médias pour apporter des clarifications face aux accusations graves des réfugiés.
Un sommet international sur les réfugiés en décembre En fin 2022, on dénombrait 110 millions de personnes déplacées dans le monde à cause des conflits, des pandémies, des changements climatiques. Les chiffres font également état de 20 % de l’ensemble des réfugiés accueillis dans les 46 pays qui n’ont pas assez de moyens financiers. Pour une meilleure gestion de cette problématique, la France va organiser, au mois de décembre prochain, un sommet international sur les réfugiés. Outre la question des retours où des efforts importants ont été réalisés avec 368 000 retours en 2022, expliquent certaines sources, il y a les initiatives destinées à faciliter l’intégration dans les pays d’accueil, à travers notamment la création d’opportunités économiques pour les réfugiés, la construction d’infrastructures éducatives, sanitaires et sportives. Chez les réfugiés recensés au Sénégal, une des questions qui taraude, c’est où va l’argent des bailleurs ? Une chose est sûre, malgré les difficultés que traversent les pays, il existe encore des États qui font des efforts pour un mieux-être des réfugiés. Parmi eux, il y a la France qui, au titre de l’année 2022, a financé le HCR à hauteur de 91 000 euros et elle est à la 10e place des plus grands bailleurs de l’organisation onusienne. |
MOR AMAR