Publié le 30 Mar 2023 - 14:53
RÉPRESSION POLICIÈRE

Des violences en série sur les reporters

 

Après le journaliste Ousmane Thiang, le cadreur Oumar Diop, une autre journaliste blessée à coups de grenades lacrymogènes, Yacine Diop a failli perdre la vie hier, à cause d’une charge injustifiée de la gendarmerie. Dans le sauve-qui-peut qui a fait suite à cette charge, elle a été fauchée par un véhicule appartenant à un privé et s’en est tirée avec de graves blessures.

 

C'était parti pour être un après-midi tranquille pour les journalistes. Dakar était relativement calme, la circulation, globalement fluide, malgré les appels de l'opposition à braver l'interdiction préfectorale. Au siège du PRP sur la VDN où s’étaient donné rendez-vous les leaders de la coalition Yewwi Askan Wi, il n’y avait aucune manifestation. Que de professionnels des médias, des députés et des leaders de partis politiques. Face à ces hommes désarmés, munis seulement de leur gilet, micro et caméra pour les journalistes, écharpe aux couleurs du drapeau national pour les députés, les ‘’forces de l’ordre’’ ont encore opposé cette répression devenue systématique et aveugle. Cette fois, la victime est une camérawoman du site Letemoinweb. Elle a été grièvement blessée.

Administrateur général dudit site, son patron témoigne : ‘’Yacine Thiam (c’est le nom de la jeune fille) est une brave femme travailleuse, engagée, qui aime son travail et qui ne se fatigue jamais. Chaque fois qu’il s’agit d’aller sur le terrain, elle se propose. Ce qui s’est passé est inadmissible ; elle aurait pu en perdre la vie et les forces de l’ordre sont responsables, puisqu’elles ont été à la base de cet accident’’, témoigne l’administrateur et directeur général de Letemoinweb Cheikh Bassirou Dieng.  

En fait, alors qu'elle était en plein exercice de sa fonction à l’instar de ses autres camarades de la presse, les gendarmes les ont chargés sans ménagement à coups de grenades lacrymogènes. Dans le sauve-qui-peut, Yacine a été violemment heurtée par un véhicule. Pire, ils n’ont même pas daigné le secourir. "Le choc était très violent. Elle se tordait de douleur. À un moment, les gendarmes se sont approchés ; on croyait que c'était pour aider à son évacuation, mais ils n'ont rien fait. Ils se sont encore retirés pour rejoindre leur position. Malgré nos sollicitations, ils n’ont rien fait. C'est tout simplement inhumain", crache un témoin.

Finalement, elle a été évacuée à la clinique Khalifa Ababacar Sy, située non loin du siège, après le CEM David Diop, où elle a été aux petits soins d’un corps médical bien dévoué. Les premières analyses ont fait ressortir au moins une fracture au niveau du fémur ; d’autres s’en suivront dans la même clinique, avant qu’une décision d’évacuation à l’hôpital Principal ne soit prise pour les besoins d’une intervention chirurgicale.

Président du groupe parlementaire de Yewwi Askan Wi, Birame Souleye Diop résume ce qui est arrivé en une phrase : ‘’Voilà le Sénégal.’’

Quand les forces de l’ordre ciblent les professionnels des médias  

Selon le lieutenant de Sonko, le plus désolant dans cette affaire, c’est le comportement des forces de l’ordre après la blessure de la jeune reporter. ‘’Ils (les gendarmes) n’ont rien fait, alors qu’ils étaient proches d’elle. Ils accusent le docteur Babacar Niang de non-assistance à personne en danger. Mais c’est eux que l’on devrait poursuivre pour ces infractions. Ils sont venus juste à côté, mais ils n’ont même pas réagi. Voilà le Sénégal. Des journalistes qui ne peuvent pas faire leur travail, des Sénégalais qui ont faim. Voilà le Sénégal. Macky Sall sera responsable, s’il lui arrive quoi que ce soit’’, peste Birame Souleye Diop.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que les faits deviennent de plus en plus récurrents. Depuis le début des événements, les cas de violence contre les journalistes sont monnaie courante. Aujourd'hui, il se passe rarement un jour de manifestation sans voir les forces de l'ordre s'en prendre directement et de manière très violente aux hommes de médias. Le plus souvent, ils attendent qu'ils soient en interview avec les leaders politiques. Avant Yacine, il y a eu le cas Ousmane Thiang qui avait reçu une grenade lacrymogène sur la cuisse, le 15 mars, devant la Suma Assistance. Le lendemain, un cadreur du nom d’Oumar Diop, a été blessé lors des manifestations.

Tout en appelant les reporters à la prudence, la Convention des jeunes reporters dénonce. ‘’Nous condamnons fermement cette violence gratuite que les forces de défense et de sécurité exercent sur les journalistes qui ne font que leur travail, à savoir informer juste et vrai. Un droit fondamental garanti par la Constitution’’, fulminent les jeunes reporters dans un communiqué.

Avec ces bavures, souvent dans des zones sans danger, l’on est tenté de se demander s’il n’y a pas un véritable problème de formation de nos FDS en matière de maintien de l’ordre.

Mais cet agent de l’État, tout en regrettant ce qu’il considère comme des incidents, tente de défendre les éléments, en rappelant certaines exigences de la loi. ‘’En fait, charge-t-il, quand les journalistes se mélangent avec des manifestants, ils ne peuvent pas refuser de se faire gazer. Il faut aussi revoir la pratique ; la place des journalistes dans des manifestations de ce genre, c’est d’être derrière les forces de l’ordre’’, rétorque-t-il.

À la relance selon laquelle les journalistes en question n’étaient pas avec des manifestants, mais étaient en train de prendre la réaction de leaders politiques, il rétorque : ‘’Quand une manifestation est interdite, vous n’avez pas le droit d’interviewer les gens sur le terrain ; ce sont les textes. De plus, les forces de l’ordre ne gazent pas les journalistes, mais ceux qui bravent l’interdit sur la voie publique. Le domaine public a ses exigences. Dès que vous êtes sur la voie publique, vos libertés sont restreintes et encadrées. On ne se comporte pas sur la voie publique comme on le ferait dans sa propriété.’’

À propos des manifestations sur Dakar, il faut noter qu’il y a eu très peu d’échos. Quelques affrontements timides ont cependant étaient constatés à l’université entre étudiants retranchés dans l’enceinte de l’université et les policiers. Du côté de la cité Keur Gorgui bunkerisé très tôt le matin, il n’y a pas eu de grands mouvements.

Une journée relativement calme, en attendant le reste.

Les libertés de réunion et d’expression mises à rude épreuve

En sus de la liberté de presse de plus en plus malmenée, il faut aussi constater qu’il y a celle de réunion qui est, depuis le 16 mars, privée aux leaders de Yewwi Askan Wi, les jours de manifestations interdites. Hier encore, les gendarmes ont bunkerisé le siège du leader de PRP où ils s’étaient donné rendez-vous pour les empêcher de se réunir dans cette propriété privée. ‘’Comme vous l’avez tous constaté, on s’était donné rendez-vous au niveau du siège de Déthié Fall. Quand on est arrivé sur place, on a trouvé ici les gendarmes qui nous ont défendu d’entrer. Ils ne nous donnent même pas le motif.

Quand tu les interroges, ils répondent que ce sont les ordres. Mais dans quel pays nous sommes ?’’, se désole la députée Ndialou Bathily. C’est ainsi que nous avons pris la décision de nous mettre à côté, juste pour nous concerter et faire une déclaration. Alors qu’on s’adressait à la presse, ils nous ont gazés. Nous ne sommes vraiment plus dans un pays démocratique. Comment on peut interdire à des leaders politiques de se réunir dans leur siège sans une quelconque notification ? C’est inadmissible !’’. 

Mor AMAR

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