Publié le 12 Nov 2013 - 12:28
RAPPORTS 2010 ET 2011 DE LA COUR DES COMPTES

 Chemins de fer, Port, Senelec, Ucad et l'UGB épinglés

 

Rendus publics hier, les rapports 2010 et 2011 de la Cour des compte mettent à nu des irrégularités et des manquements à la transparence et à la bonne gouvernance. Cela a été relevé notamment aux chemins de fer du Sénégal, au Port autonome de Dakar ainsi qu'à la Senelec. Le monde universitaire n'y a pas échappé : les auditeurs ont découvert une véritable bamboula dans la gestion des voyages d'études aussi bien à l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad) qu'à l'Université Gaston Berger (UGB) de Saint-Louis.

 

Les rapports 2010 et 2011 de la Cour de comptes ont été rendus publics hier. Ces deux rapports, selon le Premier président de ladite institution, rendent compte des résultats des missions de contrôle finalisées en 2010 et en 2011 conformément à l'article 3 de la loi organique  no 99-70 du 17 février 1999. L'un et l'autre présentent la synthèse des observations et recommandations issues de vérifications ayant donné lieu à des rapports définitifs concernant les organismes justiciables à la Cour. Ainsi, les contrôles rapportés dans les deux documents portent sur le Projet de construction de logements sociaux et de lutte contre les inondations et les bidonvilles (206-2009), la mise en concession et la liquidation de la société nationale des chemins de fer du Sénégal, la société nationale du Port autonome de Dakar (2005 à 2008), la Société nationale d'électricité (Senelec), les voyages d'études de l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad) ainsi que ceux de l'Université Gaston Berger (UGB) de 2001 à 2006.

Chemins de fer du Sénégal : liquidation et déraillement

La mise en concession et liquidation de la société nationale des chemins de fer est entourée d'une opacité totale. Ainsi, le rapport relève des manquements au formalisme d'ouverture de la liquidation. À en croire le rapport, les formalités substantielles décrites par la loi no 84-64 du 16 août 1984 fixant les modalités de liquidation des entreprises publiques ainsi que le décret d'application no 84-992 du 11 septembre 1984, n'ont pas été respectées. Conséquences : l'ouverture de la liquidation reste marquée par le défaut d'établissement d'un procès-verbal de passation de service entre le liquidateur et l'ancien directeur général de la Société nationale des chemins de fer du Sénégal, et par l'absence d'états financiers arrêtés à la date de liquidation. Cette situation, selon le rapport, n'a pas encouragé une dévolution claire de l'actif et du passif de l'ex-SNCS. Pis, elle rend hypothétiques les actes de réalisation de l'actif de la société et crée un risque sur le caractère certain et exigible du passif à combler par le liquidateur. En plus de ces manquements, le règlement des créances opérées par le liquidateur reste marqué par des traitements inégalitaires.

Ucad et UGB : gabegie professée

Absence de manuel de procédures, dossiers inexistants ou incomplets de certains attributaires et critères pas assez bien définis, attribution irrégulière de voyages retour au pays d'origine à des enseignants étrangers, frais de transport indûment remboursés, extension irrégulière de la couverture assurance à tout le personnel enseignant. Ce sont là autant de malversations qui caractérisent la gestion des voyages d'études à l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad) durant la période sous revue.

Selon le rapport de la Cour des comptes, ''la limitation de la couverture assurance aux seuls enseignants bénéficiaires de voyages d'études comme en 2003 aurait permis de faire des économies de 41 milliards 305 millions en 2004, 31 milliards 544 millions en 2005 et 21 milliards 835 millions en 2006, soit un montant total de 94 milliards 684 millions sur l'ensemble des trois années''. Il s'y ajoute un non respect des règles relatives aux marchés publics. Dans le rapport, il a été constaté que le contrat signé pour les titres de transport avec Air Sénégal international (ex-Asi) s'élève à 215 milliards 350 millions. Ce même montant n'a fait l'objet ni de contrôle de la procédure par la Commission nationale des contrats de l'administration (devenu Direction centrale des marchés publics-DCMP), ni d'approbation par le ministre de l'Économie et des Finances.

Dans la foulée, le contrôle effectué a mis en évidence, de 2001 à 2005, que le transport des bénéficiaires des voyages d'études était assuré par Air France, en vertu de protocoles d'accord mis à la disposition de la Cour à l'exception de celui de 2004. Les documents attestent une mise en concurrence avant la signature des dits protocoles qui n'ont pas été communiqués à la Cour. Ces différents documents auraient permis de contrôler la transparence des marchés publics, d'autant plus que les sommes de 144 milliards 690 millions, 202 milliards 500 millions, 173 milliards 700 millions, 192 milliards 150 millions et 215 milliards payés à Air France entre 2001 et 2005 dépassent régulièrement le seuil requis. Comme pour les titres de transport, tous les montants payés au titre des assurances, excepté pour l'année 2003, sont supérieurs à 40 milliards chaque année, ce qui dépasse largement les seuils de passation de marchés par appels d'offres, selon le rapport.

Face à de tels manquements, le rapport recommande au recteur et au président de la Commission de recherche de prévoir de manière explicite les conditions à remplir par ceux qui postulent pour la première fois à un voyage d'études, d'observer, dans l'attribution des voyages pour le retour au pays d'origine, le strict respect des dispositions de la loi portant statut du personnel enseignant. Les auditeurs invitent le recteur à initier une réflexion dans le sens de sa modification pour prendre en compte la situation des enfants majeurs scolarisés à la charge de leurs parents.

Mais également de veiller à l'exact report des soldes sur décisions budgétaires et sur les états de mandatement, de veiller à ce qu'aucun titre de transport ne soit acheté sans l'attribution d'un voyage d'études dûment autorisé et à ce que les remboursements de frais de transport soient gérés avec plus de rigueur et de transparence, de mettre fin à la généralisation de la couverture d'assurance à tout le personnel enseignant et de la limiter aux seuls bénéficiaires des voyages d'études. Et, enfin de veiller au respect des dispositions du code des marchés publics. 

Les mêmes griefs ont été faits à l'Université Gaston Berger (UGB) de Saint-Louis. Le rapport dénonce, outre une attribution irrégulière des voyages retour au pays d'origine, une violation des délais réglementaires d'attribution des voyages d'études, une composition des dossiers non prévue par le règlement et la non conformité entre les montants reportés sur les décisions budgétaires modificatives et ceux figurant sur les états de mandatement. Il s'y ajoute, selon le rapport, un paiement irrégulier des perdiem, un non respect des termes des protocoles d'accord signés avec les compagnies de transport et un non respect de la réglementation relative aux marchés publics.

Port Autonome de Dakar : Bara Sady en eaux troubles

De 2005 à 2010, le Port autonome de Dakar ( PAD) a baigné dans un océan de gestion gabegique de son budget, de sa trésorerie à cause de l’Organisation de la conférence islamique (OCI). Sans compter une générosité déconcertante à l’endroit de certaines institutions de la République en matière de dons et de billets pour le pèlerinage à La Mecque. D’après le rapport 2010 de la Cour des comptes, des dépassements budgétaires et d’exécution de dépenses non budgétisées sont constatées durant la période sous revue. A titre illustratif, les auditeurs de la Cour des comptes évoquent un dépassement de 112 millions de francs Cfa en 2005. Alors que le Conseil d’administration du Port autonome de Dakar (PAD) avait autorisé une dépense d’un montant de 300 millions au profit de Jebel Ali Free Zone agence (JAFZA), les décaissements avaient atteint 412 millions.

Pour les dépenses non budgétisées, l’équipe de Bara Sady, ex-Dg du PAD, avait engagé 471 millions de francs Cfa au nom de l’État et au profit de l’Agence nationale de l’Organisation de la conférence islamique (Anoci). Au profit de qui le port avait également engagé 1 milliard 949 millions pour la location du bateau ''MS Musica''. Outre le budget, la gestion de la trésorerie est loin de satisfaire les auditeurs de la Cour des comptes. A côté de l’absence de pièces justificatives pour ‘’d’importants décaissements provisoires sur une dizaine d’années’’, il y a un manque de rigueur dans les contrôles de caisses. La conséquence : une différence entre le solde de brouillard déclaré sur les procès-verbaux et soldes réels figurant dans le même brouillard.

Au-delà de ces manquements dans la gestion, le PAD s’était illustré dans une générosité déconcertante à l’endroit de la Présidence de la République, l’Assemblée nationale, des ministères et autres entreprises sans aucun rapport avec son objectif social. Par exemple pour les subventions pour le pèlerinage à La Mecque et aux lieux de la chrétienté, elles sont en hausse mais au détriment des travailleurs. Car, de 2005 à 2008, 24 travailleurs en ont bénéficié contre 70 personnes ne travaillant pas au Port. Les frais de voyage des responsables du Port ont également donné un coup de froid aux auditeurs. Car, lit-on dans le rapport, ''durant la période sous revue, le PAD a déboursé 77 millions 253 mille 83 F au titre des voyages du PCA en 36 mois, soit une moyenne de mensuelle de 2 millions 145’’. Pour Bara Sady, directeur général à l’époque, ses frais de voyage ont coûté à 50 millions 802 mille 31 francs en 48 mois soit, un peu plus d’un million par mois.

Senelec : la bonne gouvernance court-circuité

Insuffisances, abus, détournements, défauts, absences… Ces maux ou plutôt mots semblent caractériser la gestion de la Société nationale d’électrification (Senelec entre 2005 et 2008), d’après le rapport 2010 de la Cour des comptes.  Caractérisée par une absence de mise à jour de ses statuts, la Senelec s’est illustrée durant la période sous revue,  par des insuffisances dans sa gouvernance et des abus dans l’utilisation du fonds de préférence de l’électricité. Au même moment, les billets d’avion du ministère de l’Énergie et de ses agents de période concernée, étaient également financés par la Senelec. Outre des cas de détournements, la société d’électricité a dû faire face à une absence de fiabilité de sa comptabilité et d’un défaut de suivi comptable.  Sa situation ne s’est pas portée mieux avec des résultats négatifs malgré ''une augmentation constante du chiffre d’affaires’’ et ''des cessions de créances coûteuses''. La gestion technique est caractérisée d’après le rapport de la Cour des comptes par une défaillance des combustibles, une insuffisance dans la production d’énergie. Une situation à l’origine des délestages.

La gestion des achats et des relations avec les fournisseurs est aussi pointée du doigt par les auditeurs. A ce propos, ils ont relevé des manquements à la réglementation sur les marchés publics sans compter la livraison de matériels défectueux et ''les relations privilégiées avec MYNA distribution'' et les paiements injustifiés à Médiatique Africa. Concernant la gestion commerciale, les auditeurs déplorent le non respect des procédures ainsi que les lacunes dans la gestion des impayés avec notamment ceux des khalifes généraux qui sont en souffrance. Dans son rapport, la Cour des comptes n’a pas manqué de fustiger la gestion des ressources humaines car les rémunérations sont en hausse pour des effectifs en baisse.

ASSANE MBAYE, FATOU SY ET KHADY FAYE

 

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