Publié le 1 Jul 2021 - 22:29
RENAISSANCE SCIENTIFIQUE DE L’AFRIQUE

L’édition génomique, un espoir pour la prise en charge des maladies génétiques

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Dans le cadre de la Journée de la renaissance scientifique de l’Afrique, célébrée hier au Sénégal, les chercheurs, réunis autour de l’ANST (Académie nationale des sciences et technique) ont largement cogité sur les innombrables opportunités qu’offre l’édition génomique, en matière notamment de lutte contre certaines maladies comme le paludisme, la drépanocytose, les cancers, ainsi que dans le domaine végétal.

 

‘’Edition génomique’’, ‘’Système CRISPR-Cas9’’… Ces notions ne veulent peut-être pas dire grand-chose pour le commun des Sénégalais et Africains. Pourtant, de leur maitrise et développement pourraient peut-être dépendre des remèdes pour plusieurs pathologies dont le paludisme, la drépanocytose, certains cancers… Même du développement des technologies agricoles.

Ces thématiques étaient au cœur des discussion, hier, de l’Académie nationale des sciences et techniques du Sénégal, dans le cadre de la célébration de la Journée de la renaissance scientifique de l’Afrique.

Généticienne, enseignante à la faculté de Médecine, Pr Rokhaya Ndiaye Diallo explique : ‘’L’édition génomique est un thème d’actualité, un thème très sensible, parce que soulevant beaucoup de questions d’éthique. Mais malgré tout, il faudrait voir ce que l’édition génomique pourrait apporter dans la lutte contre les maladies. Il est donc important que l’on n’occulte pas cette technologie juste parce qu’elle peut provoquer des dérives. Il faudrait voir dans quelle mesure on peut l’utiliser pour traiter ces maladies génétiques qui font des ravages dans nos sociétés.’’

Prenant exemple sur la drépanocytose qui est due à un défaut au niveau de molécule d’ADN, elle renseigne que si on arrive à corriger cette modification, il est possible de combattre la maladie. ‘’Donc, l’édition génomique permet de corriger cette anomalie au niveau de l’ADN. Elle a déjà été utilisée par des chercheurs qui ont eu des résultats assez probants et qui permettraient, à une échelle plus élevée, de mener d’autres études afin de l’utiliser.  Surtout dans notre contexte africain où la drépanocytose a une fréquence phénoménale. Il serait possible et utile de faire quelque chose avec l’édition génomique.

 Concernant les cancers, selon elle, il y a beaucoup de perspectives dans les traitements de certaines variétés qui posent de réels problèmes en matière de santé publique. Il en est ainsi, par exemple, des cancers du poumon, du col de l’utérus, ainsi que le cancer du sein. Et d’ajouter : ‘’La voie est donc ouverte. Beaucoup de chercheurs sont en train de travailler dessus, mais très peu en Afrique. D’où l’importance de cette journée pour mettre en valeur ce qu’on peut faire avec l’édition génomique, afin d’inciter les chercheurs à explorer ces domaines.’’

L’adoption de la loi sur la biosécurité, un préalable

Pour elle, les raisons de ce retard des Africains s’expliquent surtout par le manque de moyens et de plateformes technologiques qui permettent d’exercer certaines méthodes génétiques. D’où l’importance de mettre en place cette plateforme. ‘’Nous saluons, renchérit la spécialiste, la relance de ce projet de plateforme de génétique moléculaire à Diamniadio et tous nos espoirs se retrouvent dans cette plateforme. Si elle est mise en œuvre, nous arriverons certainement à mener des recherches qui permettront d’apporter un plus dans le traitement de ces maladies génétiques. Les compétences sont bien disponibles et pourront relever le défi’’, a-t-elle relevé.

 Pour sa part, la professeure Yaye Kène Gassama est largement revenue sur l’état des recherches en matière de lutte contre le paludisme, notamment les différentes méthodes expérimentales mises en œuvre pour éradiquer le mal.

Professeur au Département de biologie végétale de la faculté des Sciences de l’Ucad, Diaga Diouf est, pour sa part, revenu sur toutes les avancées qui pourraient être rendues possibles grâce à l’édition génomique. Il informe : ‘’L’édition génomique pourrait favoriser beaucoup d’avantages. Par rapport à l’agriculture, elle pourrait permettre, par exemple, d’avoir des plantes qui sont plus résistantes à certaines formes de maladies : virales, bactériennes… Cela peut aussi permettre d’avoir des plantes dont la teneur de leurs produits est améliorée. Nous avons eu à le montrer avec ces variétés de riz qu’on a muté, qui ont une forte augmentation en vitamine A, des variétés de riz qui résistent au sel. Comme vous le savez, la salinité est un véritable obstacle au développement de notre agriculture. Si on a des variétés de riz qui peuvent pousser dans les zones salées, ce serait une excellente chose…’’

Attention aux dangers

A en croire le Pr. Diouf, les compétences sont bien disponibles pour prendre en charge ces problématiques. Mais il y a des préalables. ‘’Ce qu’il nous faut avant tout, c’est l’adoption de la loi sur la biosécurité. On ne peut, à l’heure actuelle, faire l’édition génomique sans cette loi. Il faut que cette loi soit adoptée. Sinon, on est en porte-à-faux avec la loi’’. Pour lui, le projet est déjà très avancé : il ne reste que son adoption en Conseil des ministres, puis à l’Assemblée nationale pour passer à l’acte. 

Cependant, dans la mise en œuvre de cette technologie, les membres de l’Académie des sciences ont insisté sur la nécessité d’un encadrement strict sur les plans étiques et de la sécurité, afin d’éviter toutes sortes de dérives. Professeure Rokhaya Ndiaye Diallo précise : ‘’Les risques et dangers, il y en a beaucoup. Mais comme nous l’avons dit, ces risquent dépendent de ce que l’on veut faire. Si on veut travailler sur ce que l’on appelle les cellules somatiques, c’est-à-dire prendre juste un organe et travailler dessus, en ce moment, les risques sont beaucoup plus faibles par rapport aux bénéfices. Nous pouvons donc utiliser, dans ces cas, l’édition génomique sans trop de risques.’’

Par contre, indique-t-elle, s’il est question de cibler les cellules germinales, c’est-à-dire les cellules de la reproduction, ces cellules qui contiennent une information génétique susceptible d’être transmise à la descendance, alors il faut y aller avec beaucoup plus de précautions. ‘’Parce que, renchérit l’expert, cela tendrait, si ce n’est pas encadré, à nous mener vers des dérives comme les bébés chinois nés après modification de leurs gênes et bien d’autres dérives’’.

L’Etat s’engage à mettre en place une plateforme génomique

A cette occasion, le ministère de l’Enseignement supérieur est revenu sur un projet qui tient à cœur la communauté scientifique, à savoir le projet de construction d’une plateforme génomique à Diamniadio pour permettre de booster la recherche dans certains domaines essentiels pour le développement et le bien-être des populations.

Le directeur de la Recherche informe : ‘’Le thème est d’actualité et s’inscrit dans une dynamique déjà entamée par le ministère, en termes de création d’une plateforme de génomique dans le cadre de l’Institut des sciences et techniques avancés, en construction à Diamniadio et dans le cadre de la politique liée à la recherche scientifique dans notre pays.’’

Ce projet, selon Pr. Amadou Gallo Diop, doit répondre à des axes prioritaires de développement que sont : la Santé, l’Agriculture, les Infrastructures, la Maitrise de l’eau et l’Environnement. Selon le neurologue, il y a plusieurs thématiques et le rôle du ministère est de les encadrer, de les booster, à travers les universités publiques et privées, les institutions et instituts de recherches publiques et privées.


Haro sur la dépendance scientifique

Après la traite négrière, la colonisation, la néo-colonisation toujours en cours, les chercheurs africains ne perdent pas espoir de rattraper le train de l’innovation, pour ne pas demeurer éternellement des dépendants de l’Occident.

Directeur général de la Recherche et de l’Innovation venu représenter le ministre de l’Enseignement supérieur à la célébration de la Journée de la renaissance scientifique africaine, professeur Gallo Diop affirme : ‘’Nos pays doivent fortement investir dans l’éducation précoce de nos enfants dans les sciences et technologies qui vont faire l’avenir, soutenir ces filières au niveau des collèges et lycées, et les booster, de manière puissante, dans les universités.’’       

D’après le neurologue qui n’a pas manqué de souligner les efforts constants du gouvernement dans ce sens, c’est ce qui fait le développement et la puissance des pays du Nord. ‘’Ces pays, dit-il, ont beaucoup investi dans l’enseignement supérieur et la pratique de recherches axées sur le développement. C’est ce que nous devons faire, si l’Afrique veut, dans la compétition mondiale en cours, avoir sa place. Sinon, nous risquons, à l’instar de ce qui nous a rendu esclaves puis colonisés, nous retrouver dans une position de dépendance dans laquelle nous risquons de ne pas survivre’’.        

Et le professeur, se basant sur les ressources humaines de grande qualité dont dispose le Sénégal et l’Afrique, ne désespère pas. Il déclare : ‘’Notre pays regorge, de manière phénoménale, de ressources humaines d’une qualité mondiale, qui mérite une attention particulière en termes de conditions matérielles et financières de recherche… Il faut que les gouvernements et les populations, en Afrique, sachent et soient convaincus que le développement du continent, le développement de tout pays au monde, passe par la recherche et l’innovation. Quand on ne cherche pas et qu’on ne trouve pas, quand on n’innove pas, quand on ne crée pas, les autres qui vont le faire vont venir nous dominer et nous transformer en consommateurs chroniques.’’      

D’après le directeur général de la Recherche et de l’Innovation, les plus hautes autorités du Sénégal s’emploient corps et âme pour remettre la science et les techniques sur les rails. ‘’Des instructions ont été données par le président de la République, qui est lui-même un scientifique, pour qu’on travaille dans ce sens. C’est ça qui va permettre l’éclosion de la recherche sénégalaise et africaine de manière puissante. Et c’est ce qui peut nous aider à faire remonter les filières scientifiques dans nos écoles, par l’exposition des enfants et de la population aux résultats de la recherche, mais aussi l’exposition, comme modèle, des universitaires et chercheurs, afin que leur vie inspire nos enfants et pousse plus d’adolescents et de jeunes à s’intéresser aux sciences et à la technologie’’.       

Sur la lancinante question des moyens, il explique : ‘’Dans tous les pays du monde où la recherche est puissante, les fonds publics ne représentent pas la majorité. Je crois qu’il y a une réflexion pour la formation des chercheurs au fund-raising. Le gouvernement a aussi une part à jouer dans le financement de la recherche, le secteur privé également.’’

MOR AMAR

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