Publié le 7 Dec 2023 - 23:38
RESTRICTION DE L’ESPACE CIVIQUE

Le Sénégal encore pointé du doigt par la société civile internationale

 

Dans le rapport 2023 de la plateforme de recherche participative Civicus Monitor, le Sénégal s’illustre par une régression impressionnante de son espace civique.

 

‘’Le classement de l’espace civique au Sénégal a reculé, passant à ‘réprimé’, en raison de la multiplication des violations de l’espace civique à l’approche de l’élection présidentielle qui doit se tenir en février 2024’’. C’est la conclusion faite par le rapport annuel de la plateforme de recherche participative Civicus Monitor.

Le document, intitulé ‘’Le pouvoir du peuple sous attaque 2023’’, évalue l’état de l’espace civique dans le monde et offre un aperçu de ses évolutions. Pour le cas particulier du Sénégal, il estime que durant l’année qui touche à sa fin, ‘’les violations de l’espace civique se sont intensifiées, notamment l’utilisation d’une force excessive et meurtrière contre les manifestations de l’opposition, l’arrestation arbitraire de journalistes, la restriction de l’accès à Internet et aux médias sociaux, y compris la fermeture de TikTok, le blocage des médias et la dissolution du parti d’opposition Pastef’’.

Civicus Monitor évalue l'état de l'espace civique de chaque pays au moyen de données recueillies tout au long de l'année auprès de militants de la société civile du pays concerné, d'équipes de recherche régionales, d'indices internationaux en matière de Droits de l'homme et de ses propres experts. Les données fournies par ces quatre sources sont ensuite rassemblées afin de déterminer à quelle catégorie appartient chaque pays : ‘’Ouvert’’, ‘’Rétréci’’, ‘’Entravé’’, ‘’Réprimé’’ ou ‘’Fermé’’.

Dans la définition qui en est faite, l’espace civique est considéré comme ‘’un environnement dans lequel les libertés d’association, de réunion et d’expression sont respectées aussi bien dans la loi, la politique que la pratique, en tenant compte de la mesure dans laquelle l’État protège ces droits fondamentaux’’.

Le Sénégal passe dans la zone des pays qui répriment les libertés civiques

Le Sénégal est passé des entraves dans l’espace civique à un état de répression des libertés publiques en 2023. Une grande partie de cet état de fait est dû au flou entretenu par le président Macky Sall sur sa candidature pour un troisième mandat présidentiel, selon le rapport. Mais également aux ‘’poursuites judiciaires engagées contre Ousmane Sonko, considérées comme politiquement motivées par l’opposition (qui) ont déclenché des manifestations et des troubles qui ont été sévèrement réprimés par les autorités et les forces de sécurité’’.

Selon les points soulevés par ‘’Le pouvoir du peuple sous attaque 2023’’, alors que le président sortant Macky Sall restait silencieux sur son éventuelle candidature à un troisième mandat, interdit par la Constitution, ‘’les poursuites judiciaires et la condamnation du chef de l'opposition et maire de Ziguinchor, Ousmane Sonko, ont entraîné des manifestations, des violences et des affrontements au cours desquels des dizaines de personnes ont péri, notamment à cause d'un usage excessif de la force par les forces de sécurité’’.

Le 1er juin 2023, des manifestations et des affrontements violents ont éclaté à Dakar et dans d'autres localités du Sénégal, lorsque la Chambre criminelle du tribunal de Dakar a condamné Ousmane Sonko, par contumace, à deux ans de prison, pour ‘’corruption de la jeunesse’’. L’opposant a toutefois été acquitté des accusations de viol et de menaces de mort à l'encontre d'Adji Sarr, une ancienne employée d'un salon de massage.

Le troisième mandat et les poursuites contre Sonko à l’origine des abus

Lors des affrontements à Dakar, les manifestants ont érigé des barricades et jeté des pierres, tandis que les forces de sécurité ont riposté par des tirs de gaz lacrymogènes. Des biens publics et privés ont été détruits et pillés, notamment les locaux de l'université Cheikh Anta Diop. Le 2 juin 2023, l'armée a été déployée dans certains secteurs de Dakar.

Dans un communiqué publié le 9 juin 2023, Amnesty International a signalé qu'au moins 23 personnes, dont trois enfants, ont été tuées à Dakar et à Ziguinchor, lors des manifestations violentes du 1er et du 2 juin 2023. Selon les chiffres fournis par la Croix-Rouge, au moins 390 personnes ont été blessées. Les autorités affirment que 16 personnes ont été tuées et qu'environ 500 ont été arrêtées.

Amnesty International a également documenté plusieurs violations des Droits de l'homme : usage excessif de la force, y compris des balles réelles qui ont entraîné des morts, suspension de l'accès à l'Internet mobile et aux réseaux sociaux, interruption du signal de Walf TV et présence d'hommes armés habillés en civil aux côtés des forces de sécurité. Ces derniers ont agressé violemment les manifestants, selon des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux.

Usage excessif de la force

Dans un premier temps, le directeur de la Sécurité publique, le commissaire divisionnaire Ibrahima Diop, a démenti cette information et a accusé des éléments de ‘’forces occultes’’ venues de l'étranger d'avoir infiltré les manifestations. Le 14 juin 2023, lors d'une conférence de presse, le ministre de l'Intérieur a informé de l'ouverture d'une enquête sur ces hommes armés habillés en civil qui ont poursuivi des manifestants à bord de camionnettes, selon des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux.

Au-delà de l’affaire Ousmane Sonko, des milliers de personnes ont manifesté à Dakar, le 12 mai 2023, contre le refus du président Macky Sall d'abandonner la course pour un troisième mandat. La manifestation avait été convoquée par la plateforme des forces vives de la nation F24 (en référence à la date des élections), une formation composée de plus d'une centaine de partis d'opposition, de syndicats et de groupes de défense des Droits de l'homme et de la société civile. Elle avait été autorisée par les autorités locales. Le 4 juillet 2023, à la suite des manifestations meurtrières de juin, le président Macky Sall a annoncé qu'il ne briguerait pas un nouveau mandat.

En dehors de l’espace politique, une manifestation contre l'aménagement d'une caserne pour la gendarmerie, tenue les 8 et 9 mai 2023 dans le quartier de Ngor, a provoqué la mort d’une adolescente de 15 ans et occasionné des dizaines de blessés. Selon plusieurs sources, des gendarmes ont bouclé le quartier dans la matinée et ont empêché les journalistes et les résidents d'entrer et de sortir. De violents affrontements auraient éclaté et les forces de sécurité auraient employé des gaz lacrymogènes pour disperser les manifestants.

Le rapport relate qu’Amnesty International a rappelé que les manifestations dans le quartier de Ngor se sont succédé depuis la mi-avril 2023 et que la gendarmerie a souvent recouru à une force excessive, notamment en faisant usage de balles réelles et de gaz lacrymogènes dans des espaces clos, comme le montrent des vidéos partagées sur les réseaux sociaux.

Ngor bouclé par la gendarmerie

Le document n’oublie pas les membres de la société civile qui ont été ciblés. Se fondant toujours sur Amnesty International, il relate l'arrestation de plusieurs militants avant les manifestations du 1er et du 3 juin 2023 ou dans le cadre de celles-ci. Aliou Sané, coordonnateur du mouvement Y en a marre, a été arrêté à Dakar le 29 mai 2023, alors qu'il tentait de rendre visite à Ousmane Sonko à son domicile à Dakar, puisque ce dernier ne pouvait pas quitter les lieux. Le 30 mai 2023, il a été conduit au bureau du procureur de la République et a été accusé de participation à une manifestation non déclarée et de trouble de l'ordre public, entre autres.

En outre, deux membres du Front pour une révolution anti-impérialiste populaire et panafricaine (Frapp) ont été interpellés : Bentaleb Sow a été arrêté le 31 mai 2023 à son domicile à Colobane et Moustapha Diop a été placé en garde à vue le lendemain, alors qu'il essayait de se renseigner sur la situation de détenus. 

Lamine Diouf

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