Publié le 9 Dec 2023 - 12:53
RESTRICTIONS DES LIBERTÉS PUBLIQUES AU SÉNÉGAL

Le débat est ouvert

 

Le recul des libertés publiques au Sénégal, mis en lumière par la plateforme de recherche participative Civicus Monitor, dans son dernier rapport de 2023, fait débat. Les acteurs de la société civile sénégalaise sont en phase avec ce constat que ne partage pas le Chef de l’Etat. 

 

Face au tollé né du rapport concernant l’état de la démocratie dans notre pays, le gouvernement du Sénégal a décidé d’adopter la méthode Coué. Ainsi, à l’occasion du dernier Conseil des ministres, le président Macky Sall s’est félicité des ‘’avancées significatives constatées depuis 2012, dans la protection et le respect des droits humains à travers les différentes réformes juridiques, les structures créées et les importantes ressources budgétaires mobilisées’’, peut-on lire dans le communiqué. 

Le chef de l’État a aussi souhaité que le Comité sénégalais des Droits de l’homme (CSDH) soit doté d’un nouveau cadre juridique en adéquation avec les enjeux et défis liés à l’intensification des activités de promotion des Droits de l’homme.  Un tableau idyllique et de bonnes intentions qui sont loin du tableau sombre dressé par la plateforme de recherche participative Civicus Monitor dans son dernier rapport de 2023.

Dans le document intitulé “Le pouvoir du peuple sous attaque 2023”, la plateforme place le Sénégal parmi les pays les ‘’plus reculés’’ en matière de libertés civiques et note que ‘’les violations de l’espace civique se sont intensifiées, notamment l’utilisation d’une force excessive et meurtrière contre les manifestations de l’opposition, l’arrestation arbitraire de journalistes, la restriction de l’accès à Internet et aux médias sociaux, y compris la fermeture de TikTok, le blocage des médias et la dissolution du parti d’opposition Pastef’’.  

Toujours selon Civicus Monitor, le Sénégal est passé dans la zone des pays qui répriment les libertés civiques, surtout dans un contexte politique tendu lié au flou entretenu par le président Macky Sall sur sa candidature pour un troisième mandat présidentiel, selon le rapport.

Par ailleurs, les violences qui ont découlé de cette situation ont été marquées notamment par l’usage excessif de la force par les forces de sécurité, l’absence d’enquête concernant ces victimes civiles des manifestations du 1er et du 2 juin 2023. Au moins 23 personnes, dont trois enfants, ont été tuées à Dakar et à Ziguinchor, et au moins 390 personnes ont été blessées, selon les chiffres fournis par la Croix-Rouge. Les autorités affirment que 16 personnes ont été tuées et qu'environ 500 ont été arrêtées qui, pour la plupart, sont restées sans jugement.

Sans oublier les émeutes de mars 2021 liées à l’arrestation de l’opposant Ousmane Sonko et qui avait entraîné la mort de 14 personnes, dont la plupart tuées par balles. L’enquête judiciaire promise par les autorités sénégalaises au lendemain des émeutes a été renvoyée aux calendes grecques. Une situation vivement dénoncée à l’époque par Sidy Gassama, le directeur exécutif d’Amnesty International/Sénégal.

Rétrécissement de l’espace public depuis le début de l’affaire Sonko en 2021

En septembre, Civicus Monitor avait déjà tiré la sonnette d’alarme, classant notre pays comme une des démocraties où les libertés civiques se dégradent rapidement. La plateforme de recherche et d'évaluation des libertés civiques dans le monde s’inquiétait de la dissolution de parti Pastef et aussi de l’arrestation de plusieurs journalistes pour des délits de presse. Tout récemment, les ONG et les organismes de défense des Droits de l’homme ont aussi dénoncé le blocage des cortèges politiques de candidats de l’opposition sur la base d’une absence d’autorisations administratives de rassemblement. 

Pour Sadikh Niass, secrétaire général de la Rencontre africaine pour la défense des Droits de l’homme (Raddho), ce constat de la plateforme Civicus est un tableau sombre que l’on constate depuis deux ans avec un fort resserrement de l’espace civique marqué par des interdictions systématiques des manifestations de l’opposition ou d’autres organismes de la société civile. ‘’Le pouvoir prend souvent comme prétexte le nombre insuffisant de forces de l’ordre pour interdire les manifestations de l’opposition, alors que quand les organisateurs décident d’outrepasser cette interdiction, on voit rapidement un déploiement impressionnant des forces de l’ordre. On a aussi noté beaucoup d’incarcérations de journalistes pour des délits d’opinion, ce qui nuit à, terme, à l’image du Sénégal. Je crois qu’il est nécessaire de trouver des peines alternatives pour les délits d’opinion et éviter des incarcérations systématiques de journalistes’’, affirme-t-il.

Toujours selon le défenseur des Droits de l'homme, ce raidissement des autorités face à la privation des libertés publiques s’est accentué depuis deux ans, surtout au début de l’affaire Ousmane Sonko. ‘’Les troubles politiques ont entraîné une fermeture de l’espace civique au Sénégal. Avant 2021, on n’avait pas noté un tel rétrécissement des libertés publiques. Je pense qu’il faut privilégier le dialogue et sensibiliser l’opposition sur la nécessité d’avoir des manifestations pacifiques. Il faut bannir la violence dans l’espace public pour bâtir une démocratie forte et pérenne’’, soutient-il. 

Mamadou Makhfouse NGOM

 

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