Une mesure diversement appréciée
Mesure salutaire pour la plupart des usagers, le retrait des ASP de la circulation par la Direction de la Sécurité publique de la police nationale est perçu par d'autres comme une volonté de les présenter comme boucs émissaires.
Dans une note officielle adressée aux commissariats centraux, urbains et spéciaux, ce 31 décembre, les autorités policières ont décidé de cantonner les assistants à la sécurité de proximité (ASP) à leur tâche de prédilection. En tout cas, désormais, cette unité créée il y a une décennie par l'ex-président Macky Sall est appelée à ne plus assurer des “missions de régulation de la circulation, du contrôle des véhicules ainsi que de toutes les autres activités sur la voie publique”, révèle la note de la Direction de la Sécurité publique de la police nationale.
Des sources contactées par ‘’EnQuête’’ précisent que cette note concerne spécifiquement les agents mis à la disposition de la police. Ceux mis à la disposition de la gendarmerie ne sont pas concernés.
Dans tous les cas, ce revirement marque un tournant dans l’utilisation des ASP, souvent sollicités pour épauler les forces de l’ordre dans les tâches quotidiennes liées à la sécurité et à la gestion des espaces publics.
Si les raisons officielles de cette décision n’ont pas été communiquées, certaines sources évoquent une volonté de recentrer les missions des ASP sur des activités strictement définies par leur cadre d’intervention initial. Elles estiment que les ASP ont bien mieux à faire que de rester sur la voie publique, dans ce contexte marqué par une insécurité grandissante.
Sur le terrain, le constat révèle que les agents de la sécurité de proximité ne courent plus les “routes”. Comme l'avait révélé la note officielle de l'autorité, ils sont désormais à l'écart. Trouvé au marché Dior, Hassane Fall, usager de la route, salue la mesure et donne son avis. “Je pense qu'ils peuvent servir ailleurs. Par exemple, les ASP peuvent faire office de police de quartier, dans la mesure où l'insécurité est un vrai problème dans ce pays. Sans parler de l'occupation anarchique des rues, de la voie publique, l'identification de certaines contraventions, etc. Ce sont tant de maux qu'ils pourraient aider à éradiquer”.
Les ASP affectés à la gendarmerie ne sont pas concernés par la mesure
Conducteur de moto-Jakarta, côtoyant au quotidien les ASP, Demba Sylla s'interroge, lui, sur la motivation ayant abouti à cette décision. À l'en croire, si l'objectif est de lutter contre la corruption sur les routes, l'autorité fait fausse route. “Ce qu'on reproche aux ASP, on le constate au quotidien avec les agents assermentés. Si les autorités policières veulent vraiment mettre fin, sinon atténuer le phénomène de la corruption routière, qu'elles autorisent les citoyens à photographier les faits de corruption. Sinon, cela risque de se transformer en un simple coup d'épée dans l'eau”, témoigne-t-il. Embouchant la même trompette, cet autre usager prend la défense des ASP. “Il ne faut pas tout mettre sur le dos des ASP, car ils ne faisaient qu'exécuter des ordres de l'officier de police sur place. Le problème, ce sont les hommes de tenue en général qui manquent de professionnalisme et de caractère”, fulmine-t-il.
Si le Sénégalais lambda semble plus ou moins partagé, les acteurs professionnels, eux, ont bien accueilli la mesure. Secrétaire général de l’Union des routiers du Sénégal, Gora Khouma n'a pas caché son adhésion. Il a fait savoir que c'est avant tout la satisfaction d'une vieille doléance de l'univers des automobilistes. “Je suis très satisfait de cette décision. Cela fait longtemps que nous avons soumis cette doléance aux différentes institutions, notamment le ministère de l’Intérieur, la gendarmerie et le ministère des Transports. Les ASP exerçaient des fonctions qui dépassaient leur cadre et que nous ne pouvions pas comprendre”.
Pour davantage faire part de leur soulagement, M. Khouma lève le voile sur les cas d'incompréhensions souvent rencontrés entre un ASP et un automobiliste. “Leur présence en circulation nous compliquait souvent la tâche, car ils ne maîtrisaient pas les textes. Ils n’ont pas droit de mener ces activités. Chaque fois qu’un chauffeur refusait de leur remettre les documents demandés, c’était l’agent de contrôle officiel qui intervenait, souvent avec un comportement difficile à gérer. Les ASP étaient envoyés par les policiers ou les gendarmes pour exiger des pièces, ce qui créait une confusion inutile”, rapporte le syndicaliste.
La grande interrogation, c'est comment cette mesure a été accueillie par les concernés ? Qu'adviendra-t-il de tous ces assistants à la sécurité retirés de la circulation ? Dans quel domaine seront-ils redéployés ? Globalement bien accueillie, la mesure est perçue par certains comme une volonté de tenir les ASP comme une sorte de bouc émissaire.
De la nécessité d'un recentrage des missions des ASP pour lutter contre l'insécurité grandissante
Il y a quelques semaines, le 11 décembre plus précisément, le directeur général de l'Agence d'assistance à la sécurité de proximité, l'ex-capitaine de la gendarmerie Seydina Oumar Touré, prenait, lui-même, une note de service pour rappeler à ses éléments leurs obligations, devoirs et autres limites à ne pas franchir. Parmi les différents manquements relevés par M. Touré, il y avait le fait de s'immiscer dans les prérogatives des FDS, notamment en portant leurs tenues et autres attributs, mais aussi le fait de demander des pièces à des usagers de la route. “Dans le cadre de l'assistance à la police de la circulation routière, mettait-il en garde, des ASP réclament aux usagers de la route des pièces afférentes à la conduite, outrepassant ainsi leurs prérogatives. De tels comportements, en déphasage avec les missions de l'agence, outre qu'ils créent une confusion, sont constitutifs d'usurpation de fonction”.
Fort de ce constat, le directeur général sommait tous les chefs de pôle et chefs d'unité départementale de prendre les mesures nécessaires pour faire cesser de telles pratiques qui, selon lui, ternissent l'image de l'Agence d'assistance à la sécurité de proximité.
La police est donc allée plus loin en décidant purement et simplement de retirer les ASP de la circulation. Pour le moment, seuls les ASP affectés à la police sont concernés. Pas ceux mis à la disposition de la gendarmerie. Une absence d'harmonisation qui pousse certains à s'interroger. Nos sources assurent qu'il n'y a pas de tiraillements entre la police et l'Agence d'assistance à la sécurité de proximité. Même s'ils ont été pris au dépourvu, des responsables des ASP estiment que c'est une bonne décision.
À noter que sur les plus de 10 000 agents que compte l'agence, ils sont des milliers à avoir été mis à la disposition de la police et de la gendarmerie. Ces derniers étaient jusque-là utilisés pour plusieurs tâches, dont l'assistance aux FDS dans la régulation de la circulation routière.
Créée en 2013 par l'ancien président Macky Sall, l'Agence d'assistance à la sécurité de proximité est chargée de recruter, de former, de mettre une partie à la disposition de la police, de la gendarmerie et de l'Administration territoriale. À charge pour ces administrations de les utiliser selon leurs besoins, mais dans le respect des textes encadrant la mission des ASP.
Certains estimaient toutefois que les ASP sont parfois surexposés, alors qu'ils sont les plus mal payés.
Aux termes du décret 2013-1063 du 5 aout 013, “l'agence participe, en relation avec les autorités de police et les forces de sécurité (police et gendarmerie), à la mise en œuvre d'une police sécuritaire de proximité bâtie autour de la prévention et du partenariat actif entre l'État, les collectivités locales et les acteurs de la vie sociale.
À ce titre prévoit le texte, elle est chargée de plusieurs missions allant surtout dans le sens de prévenir et de lutter contre la délinquance.
L'agence est ainsi appelée à “participer à l'élaboration et à la mise en œuvre, en rapport avec les différents acteurs, du plan national de prévention et de lutte contre la délinquance ; à participer à la mise en place de contrats locaux de sécurité en relation avec les comités départementaux de prévention et de lutte contre la délinquance ; assister le recrutement, la gestion des assistants de sécurité de proximité et leur déploiement pour emploi au niveau de la police et de la gendarmerie ; élaborer des règles d'éthique, de déontologie et de discipline dans le domaine de la prévention pour les assistants ; préparer et promouvoir toute étude et réflexion relative au développement des activités de police de proximité, notamment dans le domaine de la prévention”.
Par Mamadou Diop