Publié le 9 Jan 2015 - 13:36
SAISIES IMPORTANTES, IMPLICATION DES FEMMES, PRODUCTION LOCALE…

Trafic de drogue, les chiffres et les êtres

 

Féminisation, production locale, consommation intérieure… Le trafic de drogue est en train de devenir une affaire purement sénégalaise. L’utilisation augmente de jour en jour. Ce qui accentue le trafic et multiplie les axes. Même si les saisines également deviennent de plus en plus importantes, le phénomène est difficile à combattre et nécessite plus de moyens.

 

Le trafic de drogue mérite certainement plus que jamais une attention particulière au Sénégal. Le phénomène prend de nos jours des proportions inquiétantes. Certains chiffres fournissent une idée nette du problème. En guise d’exemple, durant l’année 2014, les saisies sont estimées entre 10 et 12 tonnes de cannabis, cette drogue appelée aussi chanvre indien. Rien qu’entre le mois d’août et novembre 2014, 8 tonnes de ce produit dangereux ont été incinérées. Quant à la cocaïne, ce stupéfiant très cher, les prises sont situées entre 25 et 30 kg.  D’autres variétés comme l’amphétamine et la métamphétamine qui sont des drogues de synthèses se développent de plus en plus. Tout récemment, la Douane sénégalaise a mis la main sur 35 à 40 kg provenant du Mali.

Cette pratique devenue une vraie économie parallèle draine beaucoup de monde. En 2013, 4 631 personnes ont été arrêtées. Un spécialiste de cette question note quelques nouveaux phénomènes qui sont apparus dans ce trafic, surtout avec la cocaïne. Le premier est qu’il y a un développement de l’utilisation locale de cette drogue ainsi que le ‘’crack’’. En fait, le Sénégal était jadis juste une zone de passage. Mais depuis quelques années, une bonne partie des colis reste sur le territoire national pour alimenter les consommateurs locaux.

La deuxième nouveauté est la féminisation du trafic de cocaïne. Il faut comprendre que l’aéroport est la zone de passage privilégiée pour cette drogue (cocaïne). Les trafiquants avalent très souvent ce produit depuis l’extérieur pour débarquer à l’aéroport les mains vides, avec toutefois un ventre lourd de poudre blanche. De ce fait, détecter le produit chez les femmes s’avère très difficile. D’abord parce qu’elles sont moins enclines à être soupçonnées. Ensuite et surtout parce que le contrôle est plus compliqué à ce niveau. ‘’Les fouilles sont plus difficiles en raison de la culture’’, précise le spécialiste.

Le troisième constat est que l’activité se ‘’sénégalise’’ de plus en plus. Il fut en effet un temps où les trafiquants étaient essentiellement des étrangers.  Particulièrement des Nigérians et des Guinéens. Ce sont eux qui étaient les passeurs. Mais maintenant les Sénégalais y sont bien présents, ils sont devenus des ‘’avaleurs’’. Notre interlocuteur relève que c’est pour des raisons évidentes. Les étrangers étant les plus soupçonnés du fait d’une certaine réputation, les caciques se tournent de plus en plus vers ceux qui attirent moins l’attention des corps de contrôle comme la police et la douane. ‘’Auparavant, les Sénégalais ne prenaient pas de risque, parce que avaler des boulettes constitue également un danger. Mais de plus en plus, ils le font’’. Quant aux commanditaires, même s’il est possible parfois de remonter la piste pour les identifier, il est plus difficile de les arrêter car, la plupart réside à l’étranger.

S’agissant du cannabis, il a principalement trois axes d’entrée : la Petite Côte, le Mali et la frontière bissau-guinéenne. Pour ce qui est de la Petite côte, le produit vient essentiellement du pays. La variété ‘’Fogny’’, une production locale, est cultivée au sud du pays, l’insécurité dans cette zone aidant. Cet espace de passage reste très difficile à contrôler du fait qu’il est une zone côtière. Les opérations nécessitent beaucoup de moyens.

Dakar-Bamako : le corridor grisant

Cette voie n’est pourtant pas la principale. La grande majorité de ce trafic se fait via les pays limitrophes, particulièrement le corridor Dakar-Bamako. Cette drogue qui vient du Mali est appelée Marron ou sa signification en anglais : brown. Elle n’est pas cultivée dans ce pays voisin mais plutôt au Nigeria et au Ghana. Considéré comme de meilleure qualité par les consommateurs, le cannabis ‘’Marron’’ se transporte par camions de marchandises et camions-citernes. Flairer le produit convoyé par camion-citerne relève presque du miracle.

Les Maliens utilisent la technique du rallongement de la citerne. En fait, le contenant qui a l’apparence d’un tout homogène est composé en réalité de deux pièces jointes. La plus grande partie contient du carburant. La plus petite qui est le fruit du rallongement de la citerne renferme la marchandise prohibée. De ce fait, les contrôleurs ne peuvent compter que sur les renseignements et les chiens renifleurs. Le troisième axe est la frontière bissau guinéenne. L’acheminement à l’intérieur du pays se fait par le moyen des transports en commun. ‘’La difficulté de contrôler cette zone réside dans la multiplicité des voies de contournement. Il y a beaucoup de pistes que les trafiquants peuvent emprunter’’, explique un spécialiste de la lutte contre le trafic des stupéfiants.

Par ailleurs, en raison de la variété des axes, il est difficile de lutter contre le trafic de drogue. En effet, explique notre interlocuteur, si les énergies sont concentrées sur les petites côtes, des prises importantes sont enregistrées. Ce qui permet de maîtriser les flux.  Il en est de même quand les projecteurs sont braqués sur l’axe Dakar-Bamako. Cependant, l’insuffisance des moyens ne permet pas d’être présent partout comme il le faut. Ainsi donc, à défaut de stopper les flux, l’Etat a débuté un travail sur les consommateurs. Au mois dernier, un Centre de prise en charge intégré des adductions de Dakar (CEPIAD) a été inauguré pour la prise en charge de ceux qui se sont embourbés. Cette infrastructure est la seule en Afrique de l’Ouest, nous précise-t-on. Reste à savoir si c’est la meilleure des solutions pour venir à bout du trafic de drogue. 

BABACAR WILLANE

 

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