La cour de justice de l’Uemoa “suspend” l’embargo contre le Mali
La cour de justice de l’Uemoa (Union économique et monétaire ouest-africaine) a décidé, hier, de suspendre les sanctions économiques adoptées contre le Mali, le 9 janvier dernier, à l’issue d’une réunion des chefs d’Etat membres de l’Union monétaire ouest africaine. Cette suspension, actée à la veille d'un sommet extraordinaire de la Cedeao à Accra, risque de rebattre les cartes dans le dossier malien marqué par l’opposition entre les pays de la Cedeao et la junte malienne.
Véritable coup de tonnerre dans le dossier malien. Ainsi, à la veille d'un sommet extraordinaire de la Cedeao à Accra, la cour de justice de l’Uemoa (Union économique et monétaire ouest-africaine) vient de suspendre les sanctions économiques adoptées contre le Mali, le 9 janvier dernier. ‘’La cour ordonne le sursis à l’exécution des sanctions prononcées par la conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de l’UEMOA lors de sa session extraordinaire tenue à Accra, le 9 janvier 2022’’, peut-on lire dans le document dont EnQuête détient une copie.
Cette décision n’est pas définitive, car, elle n’est que ‘’suspensive’’. Néanmoins, l’ordonnance met le régime malien en position de force face aux chefs d’État de la Cedeao qui doivent participer à ce sommet extraordinaire de la Cedeao. Déjà le médiateur de la Cédéao, l'ancien président nigérian Goodluck Jonathan en visite à Bamako, ce week-end passé, témoignait d’une certaine volonté de la Cedeao à trouver une voie de sortie à cette crise. Le comité technique de la Cédéao avait proposé l’organisation de scrutins, dans un délai de 12 ou 16 mois, avec l’aide d’une autorité indépendante de gestion des élections.
Alors que de leur côté, les militaires au pouvoir à Bamako restent attachés à une transition longue de 24 mois. Une junte bien décidée à croiser le fer avec les autres membres de l’Uemoa. L’État malien a diligenté un collectif d’avocats pour faire annuler ces sanctions. Ainsi, le gouvernement malien a déposé, le 21 février dernier, deux recours dénonçant « l’illégalité absolue » de ces sanctions financières.
La junte malienne a notamment fait valoir que les textes de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) prévoient qu’elle ne peut solliciter ni recevoir de directives ou d’instructions des institutions ou organes communautaires, des gouvernements des États membres de l’Uemoa, de tout autre organisme ou de toute autre personne. Elle ne peut donc être utilisée pour asphyxier un État membre. De ce fait, cette décision de la cour de justice de l’Uemoa constitue une pierre dans le jardin du concert des chefs d’Etat ouest-africains confrontés à une série de coups de force dans la sous-région : Mali (août 2020 et mai 2021), Guinée Conakry (septembre 2021), Burkina Faso (janvier 2022).
Persistance des tensions entre la junte et les pays de la Cedeao autour de la transition politique
Dans leur volonté de tordre le bras à la junte malienne qui affichait peu de bonne volonté de remettre le pouvoir à un régime civil, les chefs d’État ouest-africains avaient décidé de prendre des mesures très dures : le gel des avoirs du Mali à la banque centrale commune aux huit États membres de l’Uemoa, celui des entreprises publiques et des organismes parapublics maliens, la suspension du pays de toute assistance financière des institutions internationales… Des sanctions financières qui, depuis le début de l’année, acculent Bamako qui multiplie les défauts de paiement de dette. Le dernier non-remboursement – une créance de 27,5 milliards de F CFA – a fait doubler le montant des défauts de paiement enregistrés, depuis janvier.
Le Mali ne peut plus émettre de nouveaux titres de dette pour financer le fonctionnement de l’État. Le 12 janvier dernier, le pays a dû renoncer à l’émission de 30 milliards de F CFA de dette. Un an plus tôt, au premier trimestre de 2021, les besoins de financements du Mali sur le marché régional représentaient pas moins de 235 milliards de F CFA d’émissions de dettes. Par ailleurs, l’embargo économique décidé par la Cedeao (suspension de toutes les transactions commerciales et financières à l’exception des produits alimentaires, pharmaceutiques, matériels médicaux et produits pétroliers) et la fermeture des frontières terrestres du pays ont provoqué une forte inflation des produits de base au Mali.
Des mesures qui ont fortement impacté l’économie malienne qui peine à se relancer, après la pandémie de la COVID-19.
Dans cette même lancée, le régime malien n'hésite pas à s’appuyer sur cette décision de la cour justice de l’Uemoa pour demander la levée totale des sanctions de la Cedeao. L’organisation sous-régionale exige toujours un retour à l’ordre constitutionnel dans un délai « raisonnable » estimé à un an. Bamako qui avait d’abord envisagé cinq ans de plus, a révisé ses ambitions à la baisse et proposé deux ans, la semaine dernière. Exceptionnellement invité, Assimi Goïta a choisi, selon nos informations, de ne pas se rendre au sommet extraordinaire de la Cedeao. Dans un courrier transmis à la Commission de la Cedeao, le président de la transition marque seulement sa « disponibilité à interagir par visioconférence » avec les chefs d’État ouest-africain.
Les ministres Abdoulaye Diop, le chef de la diplomatie malienne, Abdoulaye Maïga, ministre de l’Administration territoriale et porte-parole du gouvernement, Ibrahim Ikassa Maïga, ministre de la Réforme de l’État et Fatoumata Sékou Dicko, ministre chargée des réformes politiques et institutionnelles vont représenter le Mali, lors de cette réunion à Accra. Reste à savoir si les chefs d’Etat de la Cedeao vont suivre l’ordonnance de la cour de justice de l’Union monétaire ouest-africaine. La Cédéao va-t-elle finalement céder ou va-t-elle demander la formation d’un gouvernement d’union nationale ? Autant d’interrogations qui doivent trouver une réponse susceptible de satisfaire toutes les parties et mettre fin à la crise malienne.
Le jeu d’équilibriste de la diplomatie sénégalaise sur le dossier malien
La diplomatie sénégalaise est sur la crête, depuis le vote par la Cedeao des sanctions à l’encontre de la junte. Le Sénégal est le premier partenaire du Mali qui constitue son premier client pour ses exportations, tandis que le port de Dakar reçoit 80 % du fret malien. En 2020, le Mali a accueilli 21 % des exportations de marchandises du Sénégal, soit plus que l’ensemble du continent asiatique (18 %) et dix fois le montant des ventes à destination de la France (2 %), selon les derniers chiffres de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD). Les sanctions à l’encontre du Mali ont impacté les échanges commerciaux entre les deux pays. Dans toutes les instances, les responsables sénégalais ont toujours milité pour une solution de sortie de crise.
« Les sanctions contre le Mali coûtent énormément au Sénégal », a indiqué Aissata Tall Sall cheffe de la diplomatie dans les colonnes de l’hebdomadaire Jeune Afrique, ce 24 mars. Nul doute, que le Sénégal qui est sur une ligne moins radicale dans le dossier malien ne manquera pas de faire avancer ses pions. Macky Sall prône le maintien du dialogue avec la junte malienne et voudra obtenir un compromis avec l’allégement des sanctions en contrepartie de concessions d’Assimi Goita concernant un calendrier électoral plus détaillé et plus court.
Makhfouz NGOM