«Ceux qui se sont enrichis illicitement ne sauraient se limiter à sept personnes»
Le traitement qui est fait de la traque des biens mal acquis n’agrée pas Serigne Fallou Dieng. Le président du Cercle des intellectuels soufis (CIS) dénonce, dans l'entretien qui suit, ce qu’il considère comme une politique de deux poids deux mesures.
Les Sénégalais ont encore une fois célébré la fête de Korité dans la division. Quel commentaire vous en faites ?
Je déplore l’existence de la célébration de deux Korité chez nous. C’est un problème facile à dénoncer, mais difficile à régler. Ce n’est pas une question entre Touba et Tivaouane, mais un problème de principe et d’interprétation. Il faut s’attaquer à la racine du mal. Il faudra créer un cadre de concertation qui regroupera toutes les sensibilités religieuses, bien que je salue le travail de la commission dirigée par Iyane Thiam.
Est-ce que ce n’est pas à l’Etat de prendre ses responsabilités pour régler ce problème ?
Non, l’Etat ne peut le faire. Nous sommes dans un Etat de droit. L’État ne peut rien imposer à Touba, il n’en a pas le pouvoir.
Mais l’État peut, d’autorité, décréter un seul jour de fête.
Dans ce cas, il devra se concerter avec tout le monde, car il ne maîtrise pas la communauté religieuse. Si Touba et Tivaouane s’opposent à une décision, il se met à dos 70% de la communauté musulmane. On devrait pouvoir scruter le croissant lunaire au niveau des préfectures du pays. Lorsque quelqu’un aperçoit la lune par exemple à Saraya, il appelle le préfet de la localité, ce dernier communique la nouvelle. A partir de là, l’Etat peut décréter le jour de la fête. Ça, aucun chef religieux ne s’y opposera, y compris Touba.
Vous êtes membre du M23. Quel regard portez-vous sur la gouvernance actuelle du pays ?
C’est un bilan mitigé parce que la rupture n’est pas encore amorcée. Il y a, certes, des actes positifs qui sont posés, notamment la restauration d’un Etat de droit, mais il reste beaucoup de choses.
Par exemple?
En matière de passation des marchés publics, Macky Sall ne respecte pas les procédures. Les marchés de gré à gré fusent de partout et le Président tente de les justifier. Or, tout le monde sait que les gré à gré sont un mécanisme pour rendre possibles les rétro-commissions. Et là où il y a rétro-commission, il ne peut pas y avoir de bonne gouvernance.
Le Président juge les procédures trop longues face aux urgences...
Dans ce cas, il doit en discuter avec ses partenaires avant de faire du gré à gré. Il ne doit pas mettre les gens devant le fait accompli. Macky Sall fait exactement comme Wade qui avait fini par croire que sa personne est plus importante que les Institutions. Il faut qu’il respecte la loi.
Mais la traque des biens mal acquis est quand même une bonne chose.
Bien sûr. Je salue l’initiative et la détermination dont font montre les autorités sur cette affaire. Toutefois, je déplore la méthode qui ressemble plutôt à une politique du deux poids deux mesures. Il y a des gens qui ont commis des actes de prévarication, mais qui ne sont pas inquiétés jusqu'ici.
Qui sont-ils ?
Je n’ai pas besoin de citer de nom, car les Sénégalais les connaissent. Ils (les membres de la CREI) avaient publié une liste de 7 personnes, mais à ce jour, seule une d’entre elles est arrêtée (en l'occurrence Karim Wade). Et ce dernier n’est pas encore entendu.
Vous pensez qu’il y a du lobbying dans ce dossier ?
Je ne peux l’affirmer, mais on constate une lenteur dans le traitement de ce dossier. Ceux qui se sont enrichis illicitement dans ce pays ne sauraient se limiter à sept personnes. Je peux citer le cas d’Aminata Niane (ancienne Dg de l’Apix) qui a été épinglée par un rapport de la Cour des comptes, mais le procureur Alioune Ndao avait déclaré à ce sujet que des millions détourés ne l’intéressaient pas, mais plutôt les milliards. On a couvert cette dame pendant plusieurs mois avant de la caser dans les organisations africaines (NDLR : à la Banque africaine de développement). Il faut vraiment que Macky Sall soit plus équitable dans la traque des biens mal acquis. Il s’y ajoute que le procureur, suite à son long argumentaire sur Dubaï Port World, s’est rendu compte qu’il s’est planté. Il faut que l’on respecte davantage les citoyens. Quiconque a commis des détournements doit être traduit en justice, qu’il soit proche de Macky Sall ou membre de Benno Bokk Yaakaar. Ceux qu’on a accusés doivent rembourser jusqu’au dernier centime s’ils sont reconnus coupables.
Le président a remis à chaque député une enveloppe de 100 000 francs Cfa en guise de sukëru koor (cadeau). Qu’en pensez-vous ?
Le sukëru koor est tout simplement de la gabegie qui tranche d’avec la gouvernance sobre et vertueuse. La République ne connaît pas le sukëru koor parce que les chrétiens font également partie de l’Assemblée. Est-ce qu’ils en ont bénéficié alors qu’ils n’ont pas jeûné ? Le président de la République doit donner le bon exemple. D’ailleurs, Serigne Saliou (Mbacké), de son vivant, n’a jamais été d’accord avec cette largesse-là. En 2006, lorsque la radio Lamp Fall Fm a voulu lancer un appel aux talibés pour qu’on apporte à Serigne Saliou le sukëru koor, ce dernier en avait aussitôt supprimé le procédé. Je me demande ce que les députés font avec le sukëru koor alors qu’ils ont de gros salaires, un véhicule 4x4...