Quand la Cedeao joue sa crédibilité
En lançant un ultimatum (jusqu’à dimanche) à la junte qui a délogé le président nigérien Mohamed Bazoum, la Cedeao s’est mise dans une situation inconfortable face aux développements notés depuis le sommet du 30 juillet 2023.
C’est ce qu’on appelle avoir du pain sur la planche. En accédant au pouvoir en mai dernier, Bola Tinubu ne s’imaginait pas être mis sur le fait accompli, par rapport à ses déclarations, après trois mois d’exercice. Dans la foulée de son élection, le président nigérian a été porté à la tête de la conférence des chefs d'État de la Cedeao (communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) en remplacement du président Bissau guinéen, Umaro Sissoco Embalo, qui n’était pas candidat à sa réélection.
Lors de cette 63e session de la conférence des chefs d’État, le nouveau président avait axé son discours sur le retour et sur la consolidation de la démocratie dans les Etats membres de la Cedeao, ce qui passe par la lutte contre les coups d’Etat militaires et les coups d’Etat anticonstitutionnels. Avec le coup d’Etat du 26 juillet 2023 au Niger, Bola Tinubu se retrouve confronté à une crise beaucoup plus complexe qu’attendue.
Lors de sa prise de fonction à la tête de la conférence des chefs d’Etat de la Cedeao, l’organisme sous-régionale s’inquiétait déjà de la situation de trois pays membres à la tête desquels des transitions militaires ont pris le pouvoir. Le Mali et la Guinée et le Burkina Faso ont vu des officiers renverser des présidents élus. En voyant le Niger emprunter le même chemin, la Cedeao a décidé de donner une leçon en annonçant un sévère blocus économique. Si cette sanction a déjà été brandie pour les autres pays cités, la nouveauté est que les chefs d’Etat ouest africains ont brandi la menace d’une intervention militaire.
Une crise beaucoup plus complexe qu’attendue
Réunis dimanche dernier, à Abuja, en sommet extraordinaire de la conférence des chefs d'état et de gouvernement, les leaders de la Cedeao ont assuré qu’au cas où les exigences de la Conférence ne seraient pas satisfaites dans un délai d’une semaine, pour assurer le rétablissement de l’ordre constitutionnel en République du Niger, les mesures peuvent inclure ‘’l’usage de la force’’. Vendredi dernier, l’Union africaine a posé un ultimatum de quinze jours aux militaires pour rétablir ‘’l’autorité constitutionnelle’’.
Sauf que face à cette éventualité, les chefs d’Etat n’avaient pas vu venir la solidarité des militaires maliens et burkinabés aux putschistes nigériens. Les autorités des transitions militaires mises en place au Mali et au Burkina Faso ont mis en garde la Cedeao contre toute intervention militaire qu’elles considéreront comme une déclaration de guerre contre leurs pays respectifs.
Hier, un discours similaire a été tenu a été tenu par le ministère algérien des Affaires étrangères. Un communiqué de la représentation diplomatique a ‘’mis en garde’’, tout en appelant ‘’à la prudence et à la retenue face aux intentions d’intervention militaire étrangère (…), qui ne sont que des facteurs de complication et d’aggravation de la crise actuelle’’. Alger estime que ‘’le retour à l’ordre constitutionnel doit impérativement s’accomplir par des moyens pacifiques’’. Ces inquiétudes ont également été soulevées par les militaires maliens et burkinabés dans leur mise en garde.
L’Algérie met également en garde contre une intervention militaire au Niger
Lors de la conférence des chefs d’Etats, un représentant de la Cedeao a été dépêché pour rencontrer les militaires au pouvoir au Niger. L’ancien président nigérian, le général Abdulsalamani Abubakar va ainsi mener une délégation de l’organisation sous régionale, attendue aujourd’hui à Niamey. Pour augmenter les chances de succès de cette médiation, un influent chef religieux du nord du Nigéria, frontalier du Niger, le Sultan de Sokoto, Muhammadu Sa’adu Abubakar fera également le déplacement pour s’entretenir avec les militaires.
Une intervention de la Cedeao dans des pays membres ayant connu des coups d’Etat militaire ne serait pas une première. Il y en a déjà eu au Libéria et en Guinée Bissau. A chaque fois, l’ordre constitutionnel a été rétabli et les putschistes défaits. Et les forces nigérianes sont déjà positionnées pour intervenir au Niger, au besoin. Première puissance économique africaine, le Nigéria possède l’une des armées les plus puissantes du continent.
D’autres puissances sous régionales, à l’image de la Cote d’Ivoire et du Sénégal, possèdent également des armées structurées, régulièrement engagées dans des opérations internationales. Cette force de la Cedeao pourrait avoir le soutien de la communauté internationale et principalement, celui de la France dont des intérêts ‘’vitaux’’ sur l’uranium et l’or nigérien sont menacés.
Avec la fermeture des frontières et l’isolement économique du Niger, la France, dont l’ambassade a été attaquée, a d’ailleurs commencé l’évacuation des ressortissants français et européens qui le désirent. L’Allemagne a conseillé à ses ressortissants d’accepter l’offre française, tandis que l’Italie a déclaré être prête à évacuer ses ressortissants qui le désirent.
Des enjeux économiques et sécuritaires
Dans un contexte de guerre en Ukraine et difficultés d’approvisionnement en énergie, les centrales nucléaires européennes dépendent d’une bonne partie de l’uranium nigérien pour faire fonctionner leurs centrales. Orano (ex Areva, entreprise française qui exploite plusieurs gisements d’uranium au Niger) poursuit, pour le moment, ses opérations dans le pays.
Si la Cedeao intervient militairement au Niger et que ce dernier bénéficie de l’appui des putschistes maliens et burkinabés, c’est surtout la sécurité dans le sahel qui pourrait en pâtir le plus. Ces armées peinent déjà à maintenir la sécurité au sein de leurs propres territoires. Un conflit qui réduirait leurs forces ne pourrait qu’aggraver une situation déjà très préoccupante. D’où le défi qui est posé au nouveau président nigérian de trouver une solution adéquate aux crises démocratiques et sécuritaires dans la sous-région.
Lamine Diouf