Le régime appelle au sacrifice
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À cause notamment de sa stratégie de la terre brulée, l'actuel régime était amené à payer plus de 245 milliards F CFA supplémentaires au titre des intérêts sur la dette, selon la LFR 2024. Au même moment, le Premier ministre nous informe que c'est le Sénégal qui a renoncé volontairement à 237 milliards du FMI. Pour faire face à toutes les conséquences que le Sénégal encourt à cause de cette option périlleuse, le gouvernement invite les Sénégalais au sacrifice.
La situation des finances publiques n'est pas reluisante. C'est un secret de polichinelle et presque tous les Sénégalais le savaient avant même la chute du régime du président Macky Sall. Pastef, parmi tant d'autres partis, avait fait le tour du pays, avec pas mal de promesses, pour faire miroiter aux Sénégalais monts et merveilles. Aujourd'hui qu'ils ont les destinées du pays entre leurs mains, ils tentent de se cacher derrière la dette abyssale pour justifier les difficultés à tenir les promesses dans les délais.
Lors de la dernière conférence du gouvernement tenue à la suite de la publication du rapport de la Cour des comptes, le secrétaire général du Gouvernement, Al Aminou Lo, invitait les Sénégalais à faire des sacrifices.
Pour donner une idée de la situation difficile des finances publiques, il s'alarmait en ces termes : “Les richesses du Sénégal sont estimées à 18 000 milliards (F CFA) par année. Actuellement, nous sommes à 18 000 milliards de dette. Cela montre que si on devait liquider le pays, il ne nous resterait rien.”
De l'avis de M. Lo, le nouveau régime a l'obligation de travailler à la réduction de cette dette. “Nous nous y employons avec la Vision Sénégal 2050. Si les Sénégalais nous accompagnent, nous allons y arriver. Cela va certainement demander un certain nombre de sacrifices. Car comme on l'a dit, toutes nos richesses sont mises en hypothèque de ce poids important de la dette”, insiste l'ancien directeur national de la BCEAO.
La bamboula continue au sommet, pendant que l'État réclame des sacrifices aux populations
Pendant ce temps, les Sénégalais continuent de s'interroger sur le train de vie de l'État qui n'a eu de cesse de croitre. En attestent les budgets de fonctionnement des principales institutions de la République qui sont restées intactes. En ce qui concerne la présidence, le budget global reste presque inchangé avec plus de 78,611 milliards F CFA dans la LFI 2025 contre plus de 80 milliards en 2024 selon la LFR votée en décembre (à noter que c'est la première loi de finances de l'ère Diomaye-Sonko). Relativement aux dépenses de personnel et celles destinées à l'acquisition des biens et services, ce sont les mêmes montants qui ont été reconduits pour 2025, soit respectivement 18 574 366 000 et 8 609 515 944 F CFA.
Pour ce qui est de l'Assemblée nationale, les prévisions de la LFI 2025 tablent sur un budget de 20 158 015 137 F CFA, soit le même montant par rapport à l'année précédente. Son président, récemment, avait manifesté son vœu de doter les 165 députés de voitures, malgré la situation difficile des finances publiques. Il soulignait qu’à terme, ce sera plus économique que les indemnités de transport données auxdits députés.
Le seul grand effort noté, c'est par rapport à la suppression du Haut conseil des collectivités territoriales et du Conseil économique, social et environnemental qui a permis d'économiser une dizaine de milliards. Encore que là, il s'agissait surtout d'institutions qui profitaient à des membres de l'ancien régime. En dehors de cette suppression d'institutions, quelques mesures ont été prises sur la rationalisation des voyages des fonctionnaires, l'acquisition de certains types d'équipements (climatiseurs, machines à café...).
Combien l'État a-t-il gagné avec ces mesures ? Il n'y a pas, à ce jour, à notre connaissance, une évaluation permettant de déterminer les gains pour le gouvernement.
En 2024, le gouvernement avait renoncé à 237 milliards du FMI pour payer 245 milliards supplémentaires sur les intérêts de la dette
Dans la loi de finances rectificative de 2024, le régime informait plutôt d'une hausse des dépenses, malgré la baisse des ressources. Si certaines des raisons invoquées pour justifier cette hausse étaient compréhensibles, d'autres l'étaient beaucoup moins.
Il en est, par exemple, de l'indemnisation jusque-là occulte des “victimes” des manifestations politiques préélectorales, perçue par beaucoup comme une prime à la casse destinée pour l'essentiel à des militants de Pastef - pas forcément victimes. Dans une moindre mesure, on peut citer l'organisation d'élections législatives pour 20 milliards F CFA.
À côté de ces dépenses au caractère impérieux discutable, le régime avait aussi fait des efforts considérables au titre de la subvention à différentes catégories socioprofessionnelles. Notamment les agriculteurs avec plus de 73 milliards F CFA rien que pour l'apurement des arriérés, plus de 289 milliards pour la compensation tarifaire versée à la Senelec, mais aussi pour porter assistance aux victimes des inondations du fleuve Sénégal.
Diomaye et Sonko se sont aussi illustrés, durant leurs premiers mois, avec des emprunts non négligeables. Dans la LFR 2024, les services de Cheikh Diba constataient un montant supplémentaire de 245,9 milliards F CFA, au titre des intérêts sur la dette. Ils invoquaient le “renchérissement des conditions d’emprunt” pour le justifier.
Il convient de noter que cela aurait pu être évité, si le gouvernement n'avait pas décidé de se tirer une balle dans le pied en clamant partout qu'il est presque en situation de quasi faillite. Ce qui, comme le relèvent nombre d'experts, impacte négativement sur la valeur des obligations du Sénégal et augmente le cout de la dette. Et ce n'est pas tout.
Au même moment que le Sénégal payait plus de 245 milliards supplémentaires de service de la dette, selon la LFR, Ousmane Sonko nous apprenait qu'il avait renoncé à 237 milliards du FMI. “Nous avons renoncé de décaisser 237 milliards F CFA, car nous ne voulions pas le faire sur la base de données erronées”, répétait-il fièrement.
Les autorités comptent ainsi se la jouer honnêtes dans un monde où chacun cherche à avoir l'autre. À en croire Al Aminou Lo, le gouvernement assume. “... À Washington, les bailleurs nous disent qu'ils n'ont jamais vu ça dans le monde. La plupart des États cachent leurs vrais chiffres. Voilà un État qui vient volontairement nous dire qu'il ne va rien cacher, qu'il va tout dévoiler et en connaissance de cause de tous les risques que cela peut engendrer. Nous leur répondons que nous ne le faisons pas pour eux, mais pour notre peuple”, se glorifiait le SGG, conscient que cette option a un cout énorme.
Il a demandé aux Sénégalais de faire des sacrifices.
Le clientélisme maintient en vie les agences et structures budgétivores et certains postes inutiles
Pendant qu'ils demandent aux citoyens de faire des sacrifices, les gouvernants continuent d'entretenir un train de vie jugé dispendieux par beaucoup d'observateurs, avec la reconduction surprenante de toutes ces agences budgétivores dont la suppression ou la rationalisation a souvent été fortement réclamée, mais aussi de tous ces postes dont l'utilité et la nécessité sont sérieusement remises en cause.
En 2012, à son arrivée au pouvoir, dès le mois de mai qui a suivi son installation, l'ancien président Macky Sall avait fait supprimer des dizaines de structures. Au terme d'une étude sérieusement menée par l'Inspection générale d'État, il avait été réclamé la suppression de 59 structures de l'État. Étaient concernés : neuf agences, deux cellules, un office, une société nationale en phase de création, un fonds, une mission, 41 directions, une délégation et deux directions générales.
La mission dirigée par le vérificateur général s'appuyait sur cinq référentiels essentiels : la vision du président, le décret portant répartition des services de l’État, les principes et normes d’organisation administrative en vigueur au Sénégal qui servent de référentiels à l’Inspection générale d’État (IGE), les normes et les meilleures pratiques professionnelles de restructuration du secteur public dans une optique de modernisation et de réforme de l’État, les normes généralement admises de gestion prévisionnelle des effectifs et des emplois (Gepec) qui constituent un axe central de la réforme de l’État.
Pour en arriver à la suppression de ces 59 structures, il a été procédé à l’analyse des missions et des objectifs des structures, l’identification des duplications et des chevauchements, l’analyse de la pertinence et de la cohérence des structures au regard des missions de l’institution ou du département afin de réduire les couts de fonctionnement, la formulation d’avis par l’IGE sur la création des nouvelles entités publiques.
Nonobstant ce travail scientifique très sérieux, le régime d'alors, pour des raisons clientélistes, a fait revenir bon nombre d'agences et de directions qui avaient été rayées de la carte, souvent sous d'autres appellations, pour caser des militants et alliés.
Contrairement à Sall qui avait pris des actes forts au début de sa magistrature, Diomaye et Sonko semblent peu enclins à supprimer des structures et à faire disparaitre certains postes peu importants, au vu des profils qui y sont nommés.
PAR MOR AMAR