Tahibou Ndiaye tombe, sa femme et ses trois filles sous contrôle judiciaire
En bras de fer avec l'État dans la traque des biens mal acquis depuis quelques mois, l'ancien directeur général du cadastre a fini par tomber hier. Il a été arrêté puis placé sous mandat de dépôt pour les délits d'enrichissement illicite portant sur plus de 8 milliards de F Cfa, contrairement aux 7 milliards annoncés dans la mise en demeure qui lui a été servie. Sa femme elle, ainsi que ses trois filles adoptives, ont été placées sous contrôle judiciaire pour complicité dans cette affaire.
Le mystère qui englobe jusqu'ici l'affaire Tahibou Ndiaye, en bisbille avec la justice sénégalaise depuis quelques mois, tend à se dissiper. Lentement mais sûrement, cette affaire livre tous ses secrets au grand jour. Et plus on avance dans le dossier, plus l'ancien directeur du cadastre s'enfonce. Hier, il a été placé sous mandat de dépôt. Il est poursuivi pour les chefs d'inculpation d'enrichissement illicite portant sur plus de 8 milliards de nos francs et non 7 milliards, comme il a été fait état dans la mise en demeure qui lui a été servie. Quant à sa femme Ndèye Ami Diongue, et ses trois filles, Ndèye Rokhaya, Aminata et Mame Fatou Thiam, elles ont été placées sous contrôle judiciaire pour complicité et interdites de sortie du territoire national. Leurs passeports ont été confisqués par les autorités judiciaires.
''Échec de la médiation pénale''
En effet, l'arrestation de l'ancien directeur général du cadastre fait suite à un échec noté dans la médiation pénale à laquelle la Cour de répression de l'enrichissement illicite (Crei) avait fait recours en premier lieu pour arrondir les angles. L'ancien directeur général du cadastre avait restitué des biens (dont deux villas) évalués par la Crei à près de 3,6 milliards de F Cfa. Mais cet arrangement s'est heurté au refus de M. Ndiaye de muter certains biens qui sont, selon lui, des baux ou encore tout simplement des biens qui ne lui appartiennent pas et qui appartiendraient à ses filles adoptives. Devant ce refus, le Procureur spécial de la Crei, Alioune Ndao, a enclenché la machine judiciaire.
''Mensonge d'État'', selon le syndicaliste Ousmane Sonko
Comme pour toute réponse judiciaire, ses avocats ont décidé, dès aujourd'hui même, de se concerter pour peaufiner une stratégie de lutte pour sortir d'affaire leur client. Mais d'ores et déjà, l'ancien secrétaire général du syndicat autonome des agents des impôts et des domaines (SAID), Ousmane Sonko, apporte la réplique. Dans un document bien fourni transmis à EnQuête, cet ancien syndicaliste soutient mordicus qu'''il n’y a pas d’enrichissement illicite dans cette affaire, mais plutôt, un acharnement politico-judiciaire exercé par le régime de Macky Sall sur Tahibou Ndiaye.
''La conjonction des erreurs et omissions voulues et des contre-expertises produites sur cette affaire, ramène le patrimoine de Tahibou Ndiaye de 7 704 353 371 de la CREI à 528 140 800 F Cfa'', indique le document. À l'en croire, ''l’ensemble des revenus de M. Ndiaye (fonds communs, salaires, loyers…), acquis en 36 ans de carrière et attestés par des pièces justificatives, indépendamment des revenus de son épouse et de ses filles adoptives qui ont leurs activités, s’élèvent à 821 733 460 F''. Résumant tout ce bruit qui entoure l'affaire Tahibou Ndiaye à un simple mensonge d'État à des fins de démagogie politicienne, M. Sonko dénonce un double forcing judiciaire et administratif de l'État.
Dans les faits, il est reproché à Tahibou Ndiaye de détenir un patrimoine colossale de sept milliard sept cent quatre millions trois cent cinquante trois mille trois cent soixante onze francs (7 704 353 371) dont un patrimoine immobilier de 4 202 201 815, un parc automobile de 89 500 000 et des avoirs financiers évalués à 3 413 092 995.
Ces montants, selon Ousmane Sonko, ''ont été obtenus sur la base d’une évaluation fantaisiste et délibérément malhonnête''. Dans la forme, il souligne que ''la détermination d’instruire ce dossier à charge a conduit le parquet à commettre un expert, le sieur Yade, qui n’est même pas inscrit au tableau de l’ordre des experts immobiliers du Sénégal (n’en ayant probablement pas les références requises)''. Ce dernier, selon lui, ''n’est jamais entré dans aucun des biens expertisés, se contentant de prendre des photos du dehors''.
Dans le fond, il soutient que la méthode utilisée dans cette expertise est, non pas celle de l’évaluation, mais celle de l’estimation, la première faisant appel à la notion de «valeur marchande» alors que la seconde requiert l’utilisation de données techniques. Conséquences : ''Cela a abouti a gonflé ridiculement la valeur du patrimoine pour en arriver au montant de 4 202 201 815.'' Pis encore, ''le recensement et l’évaluation ont porté non seulement sur les biens de Tahibou Ndiaye, mais aussi sur ceux de son épouse et des enfants dont il a la charge et sur l’ensemble des biens fonciers et immobiliers de ces derniers'', selon M. Sonko. Qui confie que ''la contre-expertise qui a été faite, par des experts évaluateurs inscrits, sur demande de M. Ndiaye, a abouti à une évaluation réaliste qui contredit fortement celle de la Crei''.
''Légèreté de l'expertise''
Ainsi, ''la maison objet du lot n°10 du TF 10644/NGA (cité des impôt), construite en 1988, après acquisition du terrain de la coopérative des impôts et sur prêt Bhs, estimée à 119 000 000 F par la Crei, a été évaluée à 29 280 000 F par la contre-expertise''. De même, ''la villa de Sotrac-Mermoz estimée par la Crei à 254 500 000 F, est évaluée après contre-expertise à 58 900 000 F''.
Tout en décelant une légèreté dans cette expertise, Ousmane Sonko démonte également la méthode qui a été utilisée sur le plan financier. Celle-ci, selon lui, ''consiste à prendre le cumul du crédit des comptes, depuis leur ouverture jusqu’à ce jour''. Ainsi, ''le compte BHS, qui ne recevait que les salaires de M. Ndiaye (comme en atteste le listing produit par le ministère des Finances) a été évalué à 57 653 392, alors qu’au moment de la réquisition, il affichait un solde de 1 446 999''. De même, ''la BHS, qui ne recevait que les avantages trimestriels de Tahibou Ndiaye (communément appelés parts de chef), a été estimé à 101 141 606 F Cfa, alors qu’au moment de la réquisition, il affichait un solde de 19 487 F Cfa''.
Dans cette guerre d'arguments, impossible de déterminer où se situe la vérité. Seul l'aboutissement de cette affaire pourra édifier l'opinion.
ASSANE MBAYE