Un thé avec des êtres fantômes pour réhabiliter la dernière sorcière brûlée à Genève et une grande romancière oubliée
(Genève- Suisse)- En Suisse, c'est par un vote des hommes, en 1971, que les femmes ont obtenu le droit de vote!
Le cinquième roman "Un thé avec mes chères fantômes" (Payot, juin 2020), de l'écrivaine suisse Mélanie Chappuis, nous invite à rencontrer celles qui l'ont précédée dans le quartier des Charmilles où elle habite. Michée Chauderon, la dernière sorcière brûlée à Genève, et Emma Vieusseux, la romancière oubliée. L'auteure qui nous sert de guide "mesure ainsi le chemin parcouru par les femmes depuis le 17e siècle, savourant les libertés obtenues sans les prendre pour acquises". La question des mémoires traverse l'œuvre (une dizaine de livres) de cette fille de diplomate qui a vécu aussi en Afrique et qui croit à l'unité des humains dans leur diversité.
Son féminisme n'est pas clivant, il est un humanisme qui exclut toute violence des hommes envers les femmes et vice-versa. Dans ce livre qui réhabilite notamment ces deux femmes, elle a souhaité partir à la rencontre de leur passé se sentir reliée, et pour se sentir chez elle, dans cette ville qu'elle a connue à 20 ans, quittée à trente ans et retrouvée à 35. "J’ai été une enfant plusieurs fois déracinée, puisque mon père était diplomate. Je cherche encore mes racines. Connaître le lieu que j’habite, son histoire, ses personnages illustres, ses écrivains, ses arbres, sa flore, sa faune, tout cela participe à mon enracinement, renforce mon sentiment d’appartenance", a-t-elle confié, récemment, au magazine panafricain ContinentPremier.
Qui sont ces deux femmes?
Michée Chauderon, la dernière « sorcière » brûlée à Genève en 1652. La rue que l’on a baptisée en son hommage est celle de laquelle Mélanie Chappuis démarre ses promenades avec sa chienne boxer. L’envie de connaître Michée est née de ces déambulations. Sa vie a été une succession d’humiliations et d’injustices. Femme exilée, bannie, revenue sans autorisation, sans enfant, sans mari, sans titre, il était facile de s’attaquer à elle plutôt qu’à une autre, et en ces années de peste, de dérèglements climatiques et de superstitions. Hommes et femmes ont eu besoin d’un bouc émissaire pour trouver des raisons aux maux qui les accablaient. "La blanchisseuse et guérisseuse Michée Chauderon a été ce coupable idéal, la dernière, avant que les lumières des prédécesseurs de Voltaire et lui-même ne viennent calmer et instruire un peu les esprits", précise l'auteure.
Emma Vieusseux . Elle est la fille du célèbre docteur suisse Gaspard Vieusseux et elle a habité la même maison que l'auteure. "Comme je n’aime pas que l’on définisse les femmes en fonction de qui elles ont pour père ou mari, sans plus de présentations, j’ai cherché qui elle avait été, en plus de fille de médecin". L'auteure a ainsi rencontré, quelques siècles après, "une écrivaine et une dessinatrice, qui avait un regard très pointu sur les genevois du 19ème siècle, qui savait l’exprimer dans un style riche et fluide, et dont les écrits démontraient une sensibilité et une droiture remarquable". Dans ses dessins, Emma Vieusseux, délaisse les humains pour peindre la nature et là aussi, c’est magnifique. Elle a dessiné notamment des arbres qui existent toujours aujourd’hui et que d’autres, comme le grand dessinateur suisse de renommée international Zep, dessinent encore. "Cela m'émeut profondément, les arbres comme traits d'unions entre les êtres à travers le temps", insiste l'écrivaine.
L’histoire permet de comprendre le présent, d’appréhender le futur. Ça marche d’individu à individu, de communauté à communauté, de pays à pays… Mélanie Chappuis, a étudié l’histoire à l’université parce que c’était pour elle une des conditions pour devenir journaliste et écrivaine. C’est aussi une matière qui lui a permis de s’inscrire dans le monde. L'auteure a toujours un souci permanent pour de comprendre d’où s’expriment les gens, à partir de quelle histoire, de quel vécu, de quel héritage. "Nos grilles de lectures varient tellement en fonction de nos lieux de naissance, de nos parents, des histoires auxquelles nous avons été abreuvés", dit-elle. En fait tout ce qu'elle fait, naît d’un besoin d’appartenance, de partage et de rapprochement. Un appel à plus d'entre connaissance entre les humains, de respect entre les hommes et les femmes unis et réunis dans une même Humanité à rendre plus humaine.
El Hadji Gorgui Wade Ndoye.