La jungle des indemnités, primes et marchés
''Au temple des magouilles'', barrions-nous la Une de notre édition d'hier, mardi 2 juillet 2012, en évoquant les révélations du rapport d'audit du cabinet C2AD qui a égrène sur 123 pages, les ''dix péchés'' dans la gestion financière et comptable de l'Ucad. EnQuête revient sur cette affaire, mais en s'intéressant aux indemnités, primes et marchés octroyés, selon des paramètres qui n'obéissent pas à la rationalité d'une gestion transparente. Mais la racine du mal étant plutôt circonscrite dans l'effectivité des pouvoirs attribués aux structures de gestion comptable, informatique et financière, EnQuête essaie de cerner les conditions de la mauvaise application des textes qui définissent les zones de compétences entre l'Agence comptable, la Direction des services informatiques, la Direction administrative et financière (Daf) et le...Rectorat.
Suite au dossier évoqué dans notre édition d'hier, sur le rapport d'audit des ressources humaines et des dépenses de l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar, EnQuête revient sur les zones d'ombres de la gestion financière et comptable au Temple... du savoir. Outre le budget plus que flou, les décaissements nébuleux et les subventions accordées à tout va, le rapport du cabinet Audit et Conseil d'Amadou Arame Diagne (C2AD) aborde le capharnaüm des dépenses. Et pourtant, les règles qui les régissent sont claires. Elles sont ordonnancées par le Recteur pour le budget de l’Université et les budgets des établissements non autonomes qui lui sont rattachés ; mais aussi par les Doyens et Directeurs pour les budgets des établissements autonomes ainsi que pour les budgets qui leur sont rattachés. Tandis que l’Agent comptable de l’université nommé par décret sur proposition conjointe du ministre de l’Enseignement supérieur et du ministre de l’Économie et des Finances, après avis du Recteur, est le seul chargé du recouvrement des recettes, du paiement des dépenses, de la garde et de la conservation des valeurs appartenant ou confiées à l’université, du maniement des fonds et des mouvements de comptes de disponibilité, à l'Ucad, ''il y a des fonds qui échappent complètement au contrôle de l’ACP qui ne les recouvre pas, ne les utilise pas pour les dépenses, ni ne les garde et les conserve''. Cette manne financière est issue, entre autres, des droits d’inscriptions pédagogiques, de certaines ressources issues des fonctions de service gérées directement par le Directeur de la coopération, des produits des laboratoires d’analyse.
Indemnités et primes diverses
À l'UCAD, les ''Indemnités et primes diverses'' ont augmenté de 123%, passant de 243 millions de FCFA en 2009 à plus de 542 en 2012. Le rapport pointe le nombre pléthorique de primes et indemnités (plus d'une d’une centaine de primes et indemnités imposées ou non). Mais surtout le cumul des indemnités et primes diverses. Le document donne l'exemple du chef des Services administratifs de la FSJP, qui bénéficie hors bulletin de salaire d’une prime de motivation/gestion fonction de service de 500 000 FCFA ; d'une indemnité de membre de la commission des marchés de 135 000 FCFA ; d'une indemnité de régime particulier de 1 000 000 FCFA ; d'une indemnité pour la préparation du budget de 500 000 FCFA ; d'une prime de motivation dans le cadre de la fonction de service de 300 000 FCFA et d'une indemnité d’orientation de 200 000 FCFA. Le même agent dispose dans son bulletin de salaire d’une prime d’assiduité spéciale de 33 198 FCFA ; d'une indemnité de fonction chef de service de 130 500 FCFA ; d'une indemnité de vacation (commission marchés) de 100 000 FCFA ; d'une indemnité de commission/réception de 28 500 FCFA et d'une indemnité de logement de 60 000 FCFA. Sans oublier la prime académique spéciale de 100 000 FCFA et la prime de non bénéficiaire de logement A. À travers cet exemple, les auditeurs ont voulu montré ''qu’un même agent peut bénéficier de plusieurs primes de même nature ou pour le même travail dans son bulletin ou hors bulletin de salaire''. Le rapport est formel pour dire que ''le cumul des indemnités et primes sont courantes à l’UCAD et que cette pratique se retrouve dans la plupart des facultés et autres établissements tels que le FASEG, la FASTEF, le Rectorat etc ''.
''Le cumul des indemnités et primes'' n'est pas seulement l'apanage du personnel administratif, technique et de service. Ce sont les mêmes pratiques que l'on retrouve du côté du Personnel enseignant et de recherches (PER). Selon le rapport, ''les primes et indemnités et les vacations du PER de l’ESP représentant en moyenne plus des deux tiers de la rémunération globale ne figurant pas sur le bulletin de salaire''. De ce fait, cette composante de la rémunération échappe à l’Impôt sur le revenu. En témoigne le responsable du Département gestion de l’ESP qui perçoit une rémunération nette globale mensuelle de plus de 3 millions de F CFA , alors que le salaire net sur son bulletin de paie s’élève à 800 000 F CFA. ''Près de 75% de la rémunération de ce dernier échappe donc à la fiscalisation''.
À l'université, c'est la FASTEF qui accorde les indemnités les plus importantes. Elle donne en moyenne plus d’1,1 million de FCFA par agent et par mois. Suit de près la FSJP qui est à 925 000 FCFA. Au moment où, l’ESP est à environ 686 000 FCFA. Dans le même temps, ces indemnités et primes ont connu une ''progression fulgurante'' d'une année à l’autre. Et à ce jeu, c'est la FSJP qui a remporté la palme. Entre 2009 et 2012, la moyenne annuelle des indemnités et primes diverses a évolué de 290%, passant de 237 192 FCFA à 925 358. Le rapport d'audit explique cet état de fait, entre autres, par les cas de bénéficiaires non éligibles et le cumul d’indemnités.
Dans le même ordre d'idées, le rapport fait état d'une gestion non transparente des quotes-parts. Il s'agit ''des décaissements en espèces tirés directement des contributeurs, notamment l’ESP et versés aux chargés de mission sur la base d’arrêtés rectoraux''. Ces sommes sont considérées comme des fonds communs par l’agence comptable qui les gèrent sur un compte bancaire ouvert spécialement . De ce fait, l’ACP est ''écarté de la gestion de ce compte dont il n’est pas signataire''. Il n'est pas non plus ''ampliataire des arrêtés de décaissement interne signés par le Recteur''. Ainsi, au deuxième trimestre de 2012, 22 agents ont bénéficié de ces indemnités. 30 000 FCFA pour les agents de sécurité ; 180 000 FCFA pour les chauffeurs ; 500 000 FCFA pour l’adjoint de l’ACP ; et 1 500 000 FCFA pour l’Agent comptable particulier.
Tout pour échapper à l'impôt
C'est un fait d'accorder des indemnités et des primes, encore faut-il qu'elles soient conformes aux règles fiscales. Or, ''la pratique la plus courante à l’UCAD c’est d’échapper à l’impôt ''. Selon le rapport, la part fiscale contributive du personnel de l'Ucad par rapport à l’effort global national est relativement faible . De 2009 à 2012, sur le total des gains de 22 279 264 090 FCFA, le total brut imposable était de l'ordre de 15 172 826 827 FCFA. Mais au total, 2 035 331 989 FCFA ont été imposés, soit 9%. Dans ce sens, concernant les indemnités et primes diverses payées, soit sur le budget de l’État, soit sur les recettes issues de la fonction de service, ''plus de 542 millions de FCFA payés au personnel ont totalement échappé à l’imposition sans aucune justification légale plausible, en 2012 ''.
Autres libéralités accordées au PATS : les ''heures supplémentaires non justifiées ''. Le rapport dénonce leur mode de calcul. ''À l’UCAD les heures supplémentaires du personnel administratif sont fixées de manière complaisante avec l’accord tacite des chefs de service qui certifient le service fait '', conclut le rapport qui donne l'exemple du Rectorat où ''les chauffeurs, les sages-femmes etc. remplissent un état de 60 heures hebdomadaire soit plus que les heures normales de 40 heures par semaine ''.
Une facture d'eau de un million de FCFA par jour
Parmi les nombreuses curiosités de l'UCAD, il y a les dépenses en eau qui s'élèvent à 366 millions de F CFA, en 2012. ''Une estimation journalière de cette charge permet de constater que l’UCAD dépense plus d’un million de FCFA par jour uniquement pour la consommation en eau''. Ceci est d'autant plus incompréhensible que cette charge relative à la consommation d’eau a représenté 72% des dépenses permanentes de l’UCAD en 2012, selon le rapport. Concernant l'électricité, depuis 2000, l'État a décidé de ne plus prendre en charge la facture SENELEC de l’UCAD. L’institution en est à près de 2 milliards de FCFA d’arriérés de paiement à la Senelec. L'UCAD consomme en moyenne 750 millions FCFA en électricité par an.
Il se pose dès lors un problème de choix et de rationalisation des dépenses de l’Université. L'institution n'arrive pas à prendre en charge ses dépenses permanentes , alors qu'elle accorde des primes et des indemnités à tours de bras (environ 1,5 milliard de primes accordées hors bulletin en 2012) .
Libéralités avec le Code des marchés publics
De nombreuses irrégularités ont été constatées dans l'exécution des dépenses de matériel et fournitures de bureau. Nombre d'entre elles auraient dû faire l'objet d'une Demande de renseignement de prix (DRP), étant entendu qu'elles dépassent le seuil de 3 millions. Ce qui n'a pas été fait. Le code stipule en son article 78 que pour les dépenses de fournitures et services dont la valeur est comprise entre 3 et 15 millions de FCFA ainsi que les dépenses de travaux dont la valeur est comprise entre 5 et 25 millions de FCFA, la procédure requise est la DRP.
En outre, les fractionnements de marché ont fait florès, entre 2009 et 2012. Notamment, dans des achats de matériels et produits de laboratoire pour un montant global de 56 millions FCFA. Il y a également eu des achats de splits auprès du fournisseur ''Le RÉFÉRENTIEL SARL'' pour un montant global de 18 millions FCFA. Selon le rapport ces mêmes pratiques ont été notées à la Faculté de médecine (FMPOS), à la Faculté des sciences (FST) et à l’École supérieure polytechnique. A la FMPOS, des achats de matériel et mobilier de bureau d’un montant global de29 millions FCFA ont été fractionnés auprès des fournisseurs EL SERVICES et ENTREPRISE YAHYA. A la FST, des achats de matériels et consommables informatiques pour un montant global de 26 millions FCFA ont été fractionnés et attribués au fournisseur « ENTREPRISE YAHYA ». Alors qu'à l’ESP, des travaux d’alimentation électrique pour un montant global de 33 millions FCFA ont été fractionnés et confiés à la société PROMO AFRIQUE MB.
Recommandations
Afin de corriger tous les manquements notés dans la gestion des ressources humaines et des dépenses de l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar, le cabinet Audit et Conseil d'Amadou Arame Diagne (C2AD) a formulé un certain nombre de recommandations dont l'objet est d'arriver à une ''rationalisation des dépenses de l’UCAD ''. Dans la mesure où, l'université est confrontée à un problème de ''massification des effectifs''.
C2AD recommande une ''une grille de primes et d’indemnités cohérente pour l’ensemble de ses personnels sur bulletin et hors bulletin de salaires'' et ainsi interdire leur cumul qui permet à un agent de ''bénéficier de plusieurs primes de même nature ou pour le même travail''. Le cabinet d'audit invite donc les autorités de l’UCAD à abandonner le recours aux arrêtés rectoraux pour octroyer des indemnités pour des prestations entrant dans le cadre normal de leurs attributions.
Dans le domaine de la fiscalité, C2AD invite l'UCAD a adopté le régime fiscal d’imposition et à revoir la codification effectuée par la Direction des Systèmes d’informations qui permet d’intégrer dans la partie non imposable des primes et indemnités légalement imposables.
Une autre recommandation touche la politique de gestion de ses ressources humaines. Le cabinet planche pour un audit approfondi ''Cette mission devrait s’assurer de l’effectif réel de l’ensemble de son personnel, du niveau de prestations réellement effectué et de l’utilisation efficace et efficiente des fonds alloués au personnel budgétisés ou non''.
Les autres recommandations concernent le contrôle des heures complémentaires réellement prestées par le personnel enseignant et la rationalisation de dépenses permanentes d’eau et d’électricité. Mais surtout, le respect du code des marchés publics.