Les trésors de la mer
Le coquillage est très prisé par certains habitants de Sicap Mbao. Ils en font leur or ou leur pétrole. Chaque jour, hommes et femmes viennent récupérer ce produit précieux offert par la mer. Les vagues les déposent sur la plage, au grand bénéfice de ces travailleurs.
Il n'y a pas de sot métier. L'adage est bien compris par les travailleurs du coquillage de Sicap Mbao. À un jet de pierre du rivage se tient leur site de travail. Les amas coquillés, disposés le long de la route, constituent la principale attraction. L'ambiance est plutôt calme et le climat favorable. Un vent frais arrive de l'océan s'accompagnant du bruit des vagues. Dans un endroit peu isolé, une dame se livre à une activité de tamisage. À ses côtés, des coquillages déjà écrasés sont éparpillés sur une bâche étalée sur le sol. Elle les trie pour obtenir la matière escomptée. C'est une activité pas du tout évidente.
Fatou Touré explique : "C'est un travail qui suit différentes étapes. D'abord, on extrait les coquillages de l'eau. Ensuite, on les ramène sur le sol pour les sécher. C'est après séchage qu'on s'adonne maintenant au triage. Mais, il faut le dire, c'est vraiment un travail très dur. Tout se fait presque à la main.''
Exerçant le métier depuis plus de 20 ans, Mme Touré y trouve son compte, même si parfois les temps sont durs. ''C'est un travail pas mal, du point de vue de la rentabilité. Je remercie Dieu, en tout cas. Sauf que, parfois, je peux rentrer sans le moindre sou''. Mais face à une situation pareille, elle est loin de baisser les bras. La mère de famille est convaincue que lorsqu'on n'a pas ce qu'on veut, on se contente de ce qu'on a. La preuve, malgré les complications et la précarité parfois notées, elle respecte bien son métier. Et c'est pourquoi elle arrive fréquemment à son lieu de travail le matin de bonne heure pour retourner chez elle au crépuscule. C'est parce que les coquillages sont parfois plus nombreux au petit matin.
Pour obtenir le produit, il faut attendre que les vagues le déposent sur la plage. Ce, du fait des courants marins qui ramassent le produit sur leur passage avant de les acheminer sur les lieux de ramassage. Cependant, quand la mer est mouvementée, il n'est pas possible de travailler. Les coquillages ne peuvent pas apparaître sur la plage. La houle les reprend pour les déverser au fond de la mer. Parfois, ils peuvent apparaître même en pleine nuit. Bref, leur sortie dépend des heures. Il n'y a pas de moments fixes. Fatou Touré explique : "Dès que les coquillages apparaissent, après avoir été rejetés par les vagues, je me sers de mon panier pour les récupérer. Je remplis le panier et puis je verse ça dans un endroit précis. Et c'est ainsi de suite jusqu'à obtenir de gros tas, équivalant à une charrette. Il m'arrive d'avoir beaucoup de charrettes de coquillages le jour. Après, je les expose au soleil pour les sécher avant de passer à l'étape de la séparation pour obtenir différentes matières''.
''C'est un métier de luxe très digne''
Dame Sène est l'un des travailleurs qui s'investissent dans le ramassage et le traitement des coquillages. Mais surtout, un grand passionné du métier. Dans sa tenue de travail, il ne cache pas sa fierté. La joie se lit sur son visage, malgré la pénibilité du travail. Sans rien cacher, il s'exprime à cœur joie : "C'est une activité qui date de très longtemps. Un métier de luxe, plein de dignité. Le coquillage, pour ceux qui le connaissent, correspond à l'or. De plus, le travail est tout simplement incroyable. Il s'accompagne d'une somptuosité et d'un art sûrs. Les gens ne savent pas, pour la plupart, que ce sont les coquillages que le colon présentait à nos ancêtres pour les émerveiller. En vérité, c'est un produit luxueux. C'est pourquoi il est important de connaître sa valeur.''
Si l’on s'en tient aux explications approfondies de M. Sène, par ailleurs menuisier métallique, on constate qu'il y a une intervention minutieuse de la nature quant à la production de coquillages. Autrement, on apprend qu'ils sont des mollusques morts. Après avoir écrasé ces derniers, les courants marins passent à l'étape du polissage. Cela consiste à frotter les coquillages. Et enfin, ceux-ci sont superposés sur la plage. Cette étape passée, les algues viennent se poser dessus, comme si elles les protégeaient. Et c'est là que les ramasseurs interviennent.
Le triage des coquillages
Après l'étape de la récupération, un autre sacerdoce s'ouvre aux travailleurs. C'est le triage. D'ailleurs, il suffit de jeter un coup d'œil sur les masses de coquillages pour avoir une idée sur le travail. Des machines sont utilisées pour trier le produit. Mais ce n'est pas évident. "Nous mettons les coquillages séchés dans la machine artisanale pour les trier. Un travail pénible. En effet, tout se fait à la main. Pour faire tourner la machine, il faut beaucoup d'efforts physiques et ça prend énormément de temps aussi'', renseigne Dame.
D'après lui, le triage aboutit à l'obtention de plusieurs matières différentes. Au-delà du coquillage en tant que tel, il y a ce qu'ils appellent les aliments. Ces derniers sont utilisés par les industriels pour des besoins de sablage. Toutes les matières obtenues servent en grande partie à la décoration. Que ce soient le coquillage, l'aliment, la coquille… Et quand on regarde de plus près les coquillages, ils n'ont pas la même forme. Certains sont plus gros que d'autres. Et il y en a d'autres encore, beaucoup plus minces, mais un peu plus gros que des graines de sable. Et tout cela s'obtient à travers le triage par la machine.
À la fin de toutes ces étapes, ils attendent ainsi l'arrivée de clients pour écouler leurs marchandises. Là, les modalités de la vente se font selon le vendeur. Par exemple, pour le cas de Fatou Touré, elle peut mesurer avec un seau, une bassine… Mais aussi, il y a parfois les industriels qui achètent par camion.
Les prix ne sont pas fixes
Avec Mme Touré, une bassine de gros coquillages peut coûter jusqu'à 1 000 F CFA. Pour les aliments, ça peut aller jusqu'à 1 500 F CFA la bassine. Sinon, on peut aussi avoir des prix compris entre 2 000 et 3 000 F CFA. ''En l'absence d'industriels, il y a des clients qui achètent au détail. Quelques seaux ou bassines par exemple. Parfois, ça marche, surtout avec l'arrivée des camions. Et ce sont les industriels qui les utilisent pour acheter en gros. On remplit des camions de 16 mètres. Quand il y a beaucoup de demandes de la part des industriels, nous en réjouissons. Ça nous permet de gagner de l'argent. Ces camions viennent du centre-ville. Nous sommes leurs principaux livreurs''.
D'après elle, un seul camion de 16 m peut contenir jusqu'à plus de 300 bassines.
Pour charger les camions, les travailleurs se servent de leurs mains. À l'aide d'un seau, ils les remplissent. Ce qui ne manque pas de leur porter préjudice souvent. ''Nous avons vraiment besoin de travailler dans de meilleures conditions. Ici, tout ce que nous faisons est manuel. Donc, nous lançons un appel à l'État pour qu'il nous aide à avoir des moyens plus sophistiqués qui vont nous permettre de faire convenablement notre travail'', déclare M. Sène.
Le site est menacé
Alors que les travailleurs se réjouissent de leur métier, un problème semble briser de plus en plus leur espoir. Et ça a commencé il y a deux ans. En effet, d'après les explications, un certain projet de dépollution de la baie de Hann menace leur business. À ce propos, M. Sène renseigne : "Moi, j'avais ma place ici, au même titre que beaucoup de mes camarades. Mais un jour, des gens sont venus pour nous dire qu'ils ont besoin du site. Ils nous ont fait savoir que c'est dans le cadre de la dépollution de la baie de Hann. Ils ont pris nos places. Ce que nous n'avons pas compris jusque-là. Ici, ce sont des pères et des mères de famille qui travaillent pour subvenir à leurs besoins. On ne peut pas se lever comme ça un bon matin pour les bloquer.''
À l'en croire, le jour où ils ont été informés de la récupération du site, ils ont farouchement résisté. D'ailleurs, les tensions ont abouti à une descente de la gendarmerie sur les lieux. Et finalement, ils ont cédé sans rien comprendre. Monsieur Sène ajoute qu'ils ont écrit aux autorités compétentes pour qu'elles soient édifiées. En vain. "Nous sommes passés par toutes les voies légales pour des besoins d'éclaircissement. Nous avons adressé des lettres au maire de la commune. Malheureusement, nous n'avons reçu aucune réponse. Aucun retour. En tout cas, les gens qui étaient venus sur le site ont dit que le travail de dépollution de la baie de Hann doit concerner le lieu. Ils nous ont parlé d'installation de tuyaux… Bref, nous n'avons aucune idée de ce qui s'est fait. Et le maire n'a rien dit à cet effet''.
EL HADJI FODÉ SARR