Diomaye Faye annonce la poursuite des recherches en vue d’éclairer les zones d’ombre
À la suite de Macky Sall qui avait célébré, le 1er décembre 2014, le 70e anniversaire du massacre de Thiaroye 44 en présence de plusieurs autorités, dont le président français François Hollande, Bassirou Diomaye a rendu, hier, sur les lieux du crime à Thiaroye, un vibrant hommage aux tirailleurs sénégalais.
En plus de rendre hommage aux victimes et de graver leur mémoire dans la conscience collective, la commémoration de l’anniversaire du massacre de Thiaroye a aussi pour objectif de jeter les bases de la restauration de la vérité. Il s’agit, aux yeux du président sénégalais Bassirou Diomaye Faye, de mettre fin à l’’’omerta sur cet épisode tragique voulu et entretenu par l’autorité coloniale’’.
Hier, le président Faye a annoncé la poursuite des recherches en vue d’éclairer les zones d’ombre. ‘’Avant cette commémoration, des membres du comité international de chercheurs se sont rendus en France et ont eu des séances de travail avec les autorités françaises et les responsables des sites où sont présumées gardées les archives manquantes. Les recherches se poursuivront après la commémoration’’, a-t-il informé, après avoir salué l’ouverture des autorités françaises actuelles qui ont accédé à sa requête pour la manifestation de la vérité.
D’ailleurs, avant de dire qu’il reste encore beaucoup de zones d’ombre de cette histoire, notamment le nombre exact de tirailleurs exécutés, Diomaye Faye a soutenu que le pays de Marianne vient de franchir un pas important dans la restauration de la vérité, grâce au président Emmanuel Macron. Ce dernier lui a adressé une lettre, trois jours avant cette commémoration, pour assumer que les événements de Thiaroye, en 1944, ont abouti à un massacre. ‘’Par ce geste, la France accède à une vieille et légitime demande de reconnaissance. Il s’agit d’une avancée appréciable dans le processus de réhabilitation de l’honneur et de la dignité des tirailleurs victimes, à la suite de la déclaration du président François Hollande au cimetière de Thiaroye le 30 novembre 2014, ‘saluant la mémoire d’hommes qui portaient l’uniforme français et sur lesquels les Français avaient retourné leurs fusils’’.
Pour le chef de l’État sénégalais, la commémoration de l’anniversaire du massacre de Thiaroye n’est pas une porte ouverte pour susciter le ressentiment, entretenir la colère ou la haine. ‘’Ce que nous faisons ici relève du devoir de mémoire contre l’oubli et pour la manifestation de la vérité des faits, pour nous acquitter d’une dette morale vis-à-vis des tirailleurs et de leurs familles’’, a-t-il précisé. Il souligne que c'est pour cette raison qu’un comité international de chercheurs indépendants a été mis en place. Ce comité devra constituer une aide à la reconstitution exacte des faits et à une meilleure connaissance de cette séquence de l’histoire partagée avec la France. ‘’Pour faciliter les travaux de recherche, j’ai sollicité du président de la République française la mise à disposition de tout document d’archives pouvant contribuer à la manifestation de la vérité et leur collaboration, le moment venu, dans la localisation des sépultures et d’identification éventuelle des victimes’’, a clarifié Diomaye Faye.
Des rapports contradictoires
Le chef de l’État du Sénégal souligne que deux rapports contradictoires des autorités coloniales parlent de 35 et 70 morts pendant que d’autres témoignages évoquent des centaines de morts et de nombreux blessés. ‘’Les archives réclamées permettront, d’après les chercheurs, de savoir comment on en est véritablement arrivé à la tragédie de Thiaroye ; d’avoir une lecture plus fidèle de l’état d’esprit des tirailleurs rapatriés, de leur nombre exact, de leur identité et leurs origines, des lieux où ils sont enterrés, des épreuves endurées, des frustrations et humiliations subies ainsi que du montant de ce qui est dû à chacun’’, a déclaré le président du Sénégal, notant que ce travail est complexe. Il lance donc un appel aux acteurs étatiques et non étatiques des pays concernés, y compris la France, aux historiens et chercheurs de tous bords, afin de joindre leurs efforts pour porter un regard lucide sur cet épisode sombre de l'histoire.
‘’Identifier les victimes et situer les responsabilités est essentiel pour ouvrir la voie à une réconciliation sincère’’, a soutenu Diomaye Faye. Ainsi, il a rendu un vibrant hommage aux Africains et non Africains qui se sont battus pour que l’histoire des tirailleurs et du massacre de Thiaroye soit préservée de l’oubli et de la falsification.
‘’L’histoire de la guerre et des répressions armées n’est jamais ordinaire. Elle est rarement racontée de façon intégrale’’, a noté Diomaye Faye. Il a cité la Seconde Guerre mondiale et surtout ses conséquences dans les colonies qui connurent des répressions innommables : Thiaroye 1944, Sétif et Guelma, en Algérie 1945, Hanoi et Haiphong au Vietnam en 1946, Madagascar en 1947, Douala, au Cameroun ou Dimbokro, en Côte d’Ivoire 1948-1949, etc. Il précise que ‘’rendre hommage à ces tirailleurs, ce n’est pas seulement pleurer nos martyrs’’. C’est, selon Diomaye Faye, porter leur combat et en faire un levier pour réinventer nos rapports avec nous-mêmes, avec notre histoire et avec les héritiers de ceux-là qui ont été les auteurs de la tragédie’’.
Cela va également permettre, pour lui, de ‘’dire au monde que les tirailleurs sénégalais n’étaient pas des mercenaires, mais bien les défenseurs d’une dignité humaine universelle. C’est proclamer haut et fort que cette dignité, si longtemps bafouée, ne sera plus jamais sacrifiée sur l’autel du silence et de l’oubli. Que cette commémoration, 80 ans après, ne soit pas qu’un moment de recueillement’’. Le président d’ajouter : ‘’Qu’elle soit un serment renouvelé. Un serment de justice, un serment de mémoire, un serment de vérité. Pour que, jamais plus, Thiaroye et les événements similaires ne se répètent, sous aucune forme, nulle part dans le monde.’’
Le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères : ‘’Il n'y a pas d'apaisement sans la justice. Il n'y a pas de justice sans la vérité.’’
Le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, est sur la même longueur d’onde. ‘’Les douleurs encore si vives provoquées par cette plaie béante dans notre histoire commune, seul un travail de mémoire peut conduire à les apaiser. Il n'y a pas d'apaisement sans la justice. Il n'y a pas de justice sans la vérité. La vérité, l'histoire et la mémoire ne sont pas des postures, mais des processus portant une part de complexité devant lesquels nous ne devons pas reculer’’, a-t-il déclaré. ‘’C'est pourquoi la transmission des archives a été décidée en 2014. C’est pourquoi la France a accueilli une mission d'étude des archives que vous avez mandatée, qui contribue aux travaux du comité dirigé par le professeur Mamadou Diouf. C'est la raison pour laquelle le président de la République (de la France) vous a écrit, Monsieur le Président, pour vous dire que la France se doit de reconnaître que ce jour-là s’est déclenché un enchaînement de faits ayant abouti à un massacre. Et si la France reconnaît ce massacre, elle le fait aussi pour elle-même, car elle n'accepte pas qu'une telle injustice puisse entacher son histoire’’, a poursuivi le ministre Barrot.
El Ghazouani : ‘’La vérité et le droit triomphent toujours.’’
Jean-Noël Barrot invite à la culture de l'amitié entre le Sénégal et la France sur les fondations d'une mémoire qui rassemble plutôt que d'une mémoire qui divise. ‘’Monsieur le Président (du Sénégal), vous avez posé avec le président de la République (de la France) le 20 juin dernier à Paris, les bases d'un partenariat renouvelé fondé sur le respect mutuel, au service des intérêts réciproques de nos deux peuples, unis par des valeurs démocratiques partagées et une relation d'amitié’’, a-t-il rappelé à Diomaye Faye.
Poursuivant, il a demandé une réinvention de ce nouveau dialogue, ‘’franc et respectueux des intérêts et des valeurs de chacun, transparent sur les objectifs, juste quant à la réalité des actes, juste quant au récit qui les entoure’’.
Pour sa part, le président de la Mauritanie et de l’Union africaine a parlé au nom de ses homologues présents à la cérémonie. Il était à côté d’Azali Ansoumani de l’Union des Comores, d’Adama Barrow de la République de Gambie, d’Umaru Sissoko Embalo de la Guinée-Bissau, de Brice Clotaire Oligui Nguema du Gabon.
‘’En ce tragique 1er décembre de 1944, ici même, dans cette caserne où l’écho de l’injustice criante, de l’ingratitude et du déni résonna encore, toujours et pour l’éternité”, a soutenu Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani. Il estime que ‘’la vérité et le droit triomphent toujours, inexorablement”. Le président Ghazouani a aussi relevé que les tirailleurs ont traversé des continents pour ‘’défendre une cause qui n’était pas la leur’’. Le chef d'État mauritanien de déclarer que ‘’le massacre de Thiaroye symbolise la violence et le déni des droits fondamentaux dont les Africains ont si violemment souffert’’, a-t-il déclaré. Cet événement tragique symbolise, aux yeux du président mauritanien, ‘’l’inébranlable détermination des Africains à lutter pour leur dignité’’.
Il faut rappeler que la commémoration du massacre de Thiaroye a également été faite le 1er décembre 2014, dans le cadre des 70 ans de ce massacre. Auparavant, en 2004, Abdoulaye Wade avait aussi rendu un vibrant hommage aux tirailleurs sénégalais et avait choisi d'instituer le 23 aout comme Journée nationale du tirailleur sénégalais. La date choisie fait référence à la libération de Toulon en 1944, lors de laquelle les soldats du 6e régiment de tirailleurs sénégalais ont été les premiers à entrer dans la ville, selon certaines sources. Elle a été choisie pour magnifier la participation des soldats africains à la libération de la France.
BABACAR SY SEYE