Publié le 29 Nov 2012 - 01:30
TAUX D'INTÉRÊT ÉLEVÉS, FRAIS DE FORÇAGE ET DE COMMISSIONS

L’arnaque bancaire

BECEAO-DAKAR

 

 

C'est un secret de polichinelle. Les banques se sucrent sur le dos des usagers. C’est comme qui dirait leur raison de vivre et d'être. Beaucoup de clients, un tant soit peu vigilants, dénoncent la panoplie de frais de commissions et autres opérations bancaires que l'on débite de leurs comptes. EnQuête vous fait lecture des relevés de compte de certains usagers.

 

Mamadou* a été informé de la vente d’un véhicule d’occasion qu’il ne voulait pas rater. Ayant toujours rêvé de conduire une citadine pour se rendre tranquillement au boulot et vaquer à ses occupations, il tombe d’accord avec son vendeur au prix de 5 millions de F Cfa la transaction. Mais ne dispose pas de la somme. Il est au courant que sa banque, une de la place et parmi les plus réputées, est en promotion et applique des taux préférentiels de 7%. Du moins, c’est ce qui est indiqué sur les affiches pour les prêts à la consommation à l’approche des fêtes de fin d’année. En petit intello, il prend sa calculette, fait une petite simulation et le tour est joué. Il se rend compte qu’il pourra solder sans grande difficulté par rapport à son revenu. Étant solvable, il va voir son gestionnaire de compte à qui il explique le projet et sollicite le crédit. Celui-ci lui remet un contrat, il appose sa signature sans prendre la peine d'en lire les termes. ''J’étais pressé de recevoir l’argent, car je ne voyais que le véhicule garé devant la porte de ma maison. C’est quand j’ai commencé à rembourser que j’ai compris qu’il fallait lire attentivement avant de signer. On m’a appliqué tellement de frais supplémentaires, qui ont complètement faussé mes prévisions. On m’a prélevé plus que le taux de 7% annoncé au départ'', se désole Mamadou. Mais à qui la faute ?

 

Beaucoup d’usagers des banques dénoncent cette forme de publicité mensongère par omission. Laquelle consiste à appâter le client par un taux initial alléchant, pour ensuite lui appliquer un taux réel ruineux. ''Avant engagement, le demandeur de crédit doit s’intéresser à la convention qu’il signe, parce qu’en général, tout y est. Il faudrait aussi que les gestionnaires de compte communiquent sur le taux effectif global comprenant toutes les commissions et non sur le taux nominal qui figure sur l’affiche'', conseille Abdoulaye Gaye, secrétaire exécutif de l’Observatoire de la qualité des services financiers (OQSF). Mais Mamadou ne décolère pas depuis sa mésaventure, car il voit son salaire amputé plus que prévu : ''Le contrat est long, la police très petite, c’est fastidieux à lire. Et encore faudrait-il comprendre le langage bancaire. C’est du genre je vais l’emmerder.'' ''En réalité, les gens payent plus, parce que les banques ne respectent pas le principe de l’annualité du taux d’intérêt'', souligne Saliou Sarr, président de l’Association sénégalaise des usagers de la banque (ASUB).

 

Ces plaintes donnent du grain à moudre au président de la République, Macky Sall. Lequel a donné le ton lors du cinquantenaire de la BCEAO (3 au 6 novembre2012), s'émouvant des taux d'intérêt élevés appliqués par les banques de l'espace Uemoa en général, du Sénégal en particulier. Le chef de l'État sénégalais a pointé ‘’l’application usurière de taux d’intérêt prohibitifs'', ajoutant qu'‘’Il y a la nécessité de baisser les taux d’intérêt''. A en croire du reste l'expert Gaye, ''toutes les enquêtes de perception ainsi que les complaintes des clients des banques et des services financiers insistent sur la cherté des taux d’intérêt''.

 

Barème discrétionnaire

En fait, depuis la réforme du secteur bancaire intervenue dans les années 1990, chaque banque fixe son barème de prix sous réserve de respecter le seuil de l’usure (plafond des taux) fixé par la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Cette limite maximale est de 18% pour les banques qui constituent 19 établissements au total et de 27% pour le système financier décentralisé qui se chiffre à des centaines d’unités. Le combat de Saliou Sarr de l’ASUB consiste à voir les mécanismes par lesquels ce taux d’usure pourrait être revu à la baisse. Car la Banque centrale a un taux minimum de soumission de 3% et un taux du guichet de prêt marginal de 4%. Il explique : ''Il faudrait concevoir une réglementation fixant le nombre de points déterminés (1-2-3 ou 5) que les banques sont autorisées à ajouter sur les taux directeurs de la BCEAO. Il demeure entendu que pour que les banques jouent le rôle de moteur du développement, il faut appliquer des taux en deçà de 18%''.

 

Cependant, selon une source bancaire, si l’État veut attaquer ce problème, il devra changer une réglementation signée par huit pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). La mission de la BCEAO est la surveillance de l’activité bancaire. Les taux directeurs sont fixés par le Comité de politique monétaire après analyse de la situation économique des États membres. ''La seule possibilité qui existe, ce sont des mécanismes internes consistant à diminuer les taxes, à subventionner certains secteurs et à ouvrir des lignes de crédits'', soutient l’expert financier.

 

10,5 milliards d’économie

Les banques n’ont pas que ce péché mignon (taux élevés) aux dépens des usagers. Dans une de ses fiches de paie, en plus des retraits liés au crédit, Mamadou retrouve d’autres frais dont il ne comprend pas les tenants ni les aboutissants. Une taxe de 7 F Cfa, des intérêts de retard de 40 F Cfa, 1 117 F Cfa de frais impayés, 1 783 F Cfa d’intérêt de commissions, des commissions de retrait de guichet automatique de banque (Gab) de 234 F Cfa, des commissions de solde en Gab de 117 F Cfa et une facturation de 9 819 F Cfa. ''J’avoue que je ne comprends rien et tout cela m’a été débité'', se lamente Mamadou, dépité par les commissions de la banque. Son ami Woury, qui a domicilié son salaire dans une autre banque, ne comprend pas la facturation sur les relevés bancaires. ''Au lieu de nous l’envoyer par mail comme promis lors de l’engagement, ils attendent qu’on fasse la demande pour la facturer et la débiter automatiquement du revenu'', grogne-t-il.

 

Suite et fin

 

 

''Les banques s’enrichissent sans motif sur le dos des usagers. Rien qu’avec la suppression des frais de paiement de chèque que les titulaires présentent dans une agence où leur compte ne sont pas domiciliés, les usagers ont pu économiser plus de 10,5 milliards de F Cfa en une année'', fulmine Saliou Sarr par ailleurs administrateur civil à la retraite qui a mené de pied ferme cette bataille avec l’ASUB.

 

Moussa, quant à lui, gère une petite unité (SARL) au Sénégal qui dispose d’un compte bancaire en Europe. Ce qui l’indispose le plus, ce sont des pratiques que les ''sociétés mères'' de certaines grandes banques ne font plus en Europe et que, malheureusement, les antennes ou filiales perpétuent au Sénégal. Ce sont les dates de valeurs ou délais d’imputation dans le compte, les frais de chèques, frais de forçage ou anticipation de quelques heures sur la solde et les pénalités sur le remboursement anticipé. ''Tantôt on te fait payer pour recevoir ton argent (forçage), tantôt on te fait payer des commissions d’anticipation des paiements parce que tu es un bon payeur, c’est extraordinaire !'' ironise-t-il. Moussa juge en outre les agios trop élevés. ''On me prélève 200 000 F Cfa par trimestre et quand j’ai un découvert de 10 millions qui est le plafond qu’on m’autorise, le prélèvement est de 500 000 F Cfa. Il y a aussi des frais de consultation en ligne de 5 000 F Cfa pour les particuliers et de 11 200 F Cfa pour les PME. Les agios sont énormes et on n’a pas d’informations sur ces montants.'' Toujours dans sa comparaison, il évoque le taux des crédits qui est de l’ordre de 2 à 3% en France et qui avoisine les 12% au Sénégal. ''Cela fait, dit-il, que nous ne pouvons pas être plus compétitifs que nos collègues qui gèrent des PME en France''. Alioune, son collègue entrepreneur, qui a logé son compte dans un banque filiale d'un grand groupe africain, émet des réserves sur la supposée mission d’accompagnement des banques vis-à-vis des PME. Il fustige la panoplie de documents à fournir pour avoir un découvert à la banque. ''Pour un simple découvert, la banque demande comme garantie un titre foncier, un bail ou un véhicule de moins de 5 ans en plus de l’attestation de revenu irrévocable. En plus de cela, il faut attendre plusieurs jours avant de rentrer dans ses fonds. Ce qui constitue un blocage énorme pour nos activités car, comme prestataires, nous préfinançons pour être payés à la livraison.''

 

Une microfinance plus salée

Jugeant son revenu modeste, Abdou a domicilié son salaire dans les livres de l'une des plus grandes institutions de microfinance. Il contracte un prêt de 1 million F Cfa pour deux ans. Mais ce qu’il n’avait pas compris, c’est que les mutuelles font partie des Systèmes financiers décentralisés (SFD) dont le plafond du taux est de 27%. Autrement dit, ils appliquent un taux supérieur à celui des banques. Grande a été sa surprise de voir le tiers de son salaire amputé par mois. En outre, il s’est vu imposer une épargne obligatoire de 5000 F Cfa par mois remboursable à la fin du crédit : ''Cela m’avait complètement dérouté, même si à la fin de l’échéance, on m’a retourné mon épargne.''

 

Les histoires entre clients et banquiers sont légion. Un petit tour à l’Association des consommateurs du Sénégal (ASCOSEN) a permis de constater le nombre de plaintes reçues. ''Nous recevons en moyenne une dizaine de plaintes par semaine, que nous transmettons à l’OQSF. Notre rôle consiste à enregistrer les plaintes et à orienter les victimes'', informe Momar Ndao, président de l'ASCOSEN. Mais il se garde de mettre le contenu des plaintes à notre disposition prétextant du respect de la vie privée des plaignants. M. Ndao flétrit cependant le comportement de certains agents de recouvrement des SFD qui font des descentes chez les clients en les intimidant alors qu’ils n’ont pas cette prérogative. ''Nous avons beaucoup de cas de ce genre où les agents usent de moyens peu indiqués pendant le recouvrement pour contraindre les clients au paiement''. Ainsi va la finance sous tous ses contours.

 

Les noms des usagers sont d'emprunt

 

PIERRE BIRAME DIOH

 

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