Publié le 27 Dec 2012 - 10:15
CARNET DE ROUTE

Pèlerinage au Pays des Hommes intègres – la mémoire du Capitaine Sankara encore plus que vivante

 

 

Haute Volta - Au milieu des années quatre-vingt, plus de 20 ans après nos indépendances, arrive au pouvoir un jeune capitaine marxiste qui n’a pas fait que rebaptiser son pays en le nommant Burkina Faso, un nom issu de la tradition africaine. Il incarna aussi un espoir pour tout un continent et un renouveau pour un pays qui souffrait de famines chroniques, d’épidémies endémiques et j’en passe. Les idées avant-gardistes qu’il mit au profit de son peuple continuent d’inspirer respect et admiration à des millions de sympathisants aux quatre coins du monde. C’est dans ce cadre que s’est inscrit notre pèlerinage à Ouagadougou pour honorer la mémoire de « l’homme intègre ». Pèlerinage au cours duquel la famille du « Père de la révolution burkinabé » nous a accueilli dans la maison familiale. Récit.

 

Il est minuit quand l’avion s’immobilise sur le tarmac de l’aéroport international de Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso. Ouf !!! Après des heures de vols et de multiples trous d’air, nous sommes comme sauvés. Doucement, les passagers emboîtent le pas à une belle hôtesse avec des rondeurs africaines et un teint café au lait. Dehors, le vent balaie un air un peu chaud et sec. Il faut faire la queue pour les formalités d’enregistrement à l’aéroport. Puis nous gagnons notre hôtel vers les coups de 1 H où nous devons nous reposer vite pour être en forme pour la mission qui nous attend les jours à venir. Le lendemain, un coup d’œil depuis ma fenêtre qui donne sur la rue, me rappelle que je suis bien dans « la capitale des deux roues », pour ne pas dire le temple des « Jakarta ». Les piétons traversent les routes en slalom entre vélos, motos et véhicules qui passent. A l’extérieur, l'air est sec et chargé de poussière. C’est l'harmattan. Ce vent qui soulève le sable du désert donne ainsi le jour avec un ciel blanc et mal lessivé. A la « Maison Des Savoirs » (MDS), lieu de notre rencontre et des retrouvailles pour certains, on s'interpelle, on palabre, on se chicane, mais la bonne humeur l’emporte toujours et finit d’ailleurs par créer une nouvelle famille baptisée plus tard « Famille Ouaga 2.0».

 

 

Vendredi , début du pèlerinage

 

Il est deux heures de l’après-midi quand finit l’heure de la prière du vendredi. Nous entamons notre première visite qui a lieu au cimetière municipal où est enterrée une figure très emblématique du monde des médias : le journaliste engagé Norbert Zongo. Ce dernier était un journaliste burkinabè, directeur de publication de l’hebdomadaire L'Indépendant. Après avoir commencé une enquête sur la mort mystérieuse de David Ouédraogo, le chauffeur de François Compaoré, frère du président burkinabè Blaise Compaoré, il meurt assassiné le 13 décembre 1998, avec trois personnes qui l'accompagnaient. Ce qui souleva ainsi une très vive émotion à Ouagadougou, à travers tout le pays et jusque dans les pays voisins.

 

J’ai connu le nom de ce journaliste à travers un chanteur dont les mélodies ont rythmé ma jeunesse. Il s’agit du « prophète » du reggae africain Alpha Blondy. Il avait écrit en 2000 dans son album Elohim, une chanson intitulée « Journalistes en danger ». Blondy y dénonçait l'assassinat de Norbert Zongo et le pouvoir burkinabè qui essaie d'étouffer cette affaire. D’après la commission indépendante sur le meurtre, « nul ne doute que la mort du journaliste était due à des motifs purement politiques, en raison de ses investigations surtout au sujet de la mort « après torture » de David Ouédraogo ». Un de mes guides m’a aussi raconté que Zongo s’était fait engager dans une mine malgré un salaire misérable pour les besoins d’une enquête sur les conditions de vie des mineurs. Ce qui montre son niveau d’engagement à la recherche de la bonne information et à la lutte pour le bien-être des masses populaires. Ce qui faisait que toutes ses parutions faisaient toujours trembler nos gouvernants qui sucent le sang du bas peuple.

 

L’empreinte indélébile de « Thom Sank »

 

L’autre aspect qui impressionne à Ouagadougou, c’est l'environnement boisé. A coté de la nouvelle ville qu’on appelle « Ouaga 2000 », il y a la « vieille ville » qui rappelle une marque indélébile laissée par le jeune capitaine Thomas Sankara. De par sa vision révolutionnaire et son engagement en faveur de l’écologie, il a bâti une ville « verte au cœur du Sahel ». Il paraît d’ailleurs qu’il a institué une tradition selon laquelle à chaque événement dans un quartier, mariage ou naissance, on plantait un arbre. Une tradition qui avait réussi à « changer la nature de Ouaga » en l’espace de quatre années. Malgré le peu de temps qu’il a passé au pouvoir et les obstacles de l’époque, l’homme a laissé une trace positive dans tous les secteurs de la vie que nous n’étalerons pas ici.

 

Le samedi dans l’après-midi, nous partons nous recueillir sur sa tombe. Notre véhicule emprunte l’avenue Charles de Gaulle avant de déboucher sur une piste latéritique soulevant ainsi quelques particules de poussière jusqu'à notre arrivée au cimetière de Dagnoën, dans la zone Est de Ouagadougou. Dans ce lieu protégé par un haut mur et un portail rouge avec un poste de garde, nous entrons sans difficulté. La tombe du père de la révolution burkinabè (bien que rien n’atteste formellement que le corps de Thomas Sankara repose ici) est à quelques mètres de l’entrée aux côtés de ses autres compagnons d’infortune. Ils auraient été inhumés ici en catimini et dans la précipitation. Sankara n’était pas quelqu’un qu’on emprisonne. C’est sans doute pour cette raison que les putschistes Burkinabés du 15 octobre 1987 ont préféré l’éliminer.

 

La première chose qui ne manque pas d’attirer mon attention dans ces moments d’émotion, c’est bien l’état de la dernière demeure de « Thom Sank ». Vous y voyez toujours les stigmates de la dernière profanation dont la presse nationale burkinabé et internationale avaient fait écho en début juillet 2012. Cette profanation, pour la deuxième fois rappelons-le, avait provoqué une vague de réactions d'indignation, tant au Faso qu'à travers le monde. Les coups de pioche sur la dalle centrale et l'épitaphe tombale démolie sont toujours visibles. Ce qui fait naître une multitude de questionnements dans ma tête : tout en déplorant ce piteux état de la dernière demeure de l’homme du 4 août, je demeure convaincu que même mort, le leader hante toujours le sommeil de ses assassins, ces « vomissures de la contre-révolution », comme il les appelait.

 

Une heure de temps dans la maison familiale « Sankara »

 

Nous sommes dimanche. Le climat ouagalais n’est toujours pas clément, contrastant avec celui de Dakar qui accueille tout doucement l’habituelle fraîcheur du mois de Décembre. Il est midi passé quand nous arrivons devant une maison située à l’angle. La plaque «Rue Sambo Joseph SANKARA» indique que c’est bien la demeure familiale du leader où on nous reçoit avec un peu de méfiance au début quand on évoque le nom de Thomas. J’ai dû décliner mon identité et l’objet de ma visite pour que la méfiance se transforme peu à peu en sympathie. C'est un grand honneur pour moi. Mais rien de surprenant quand on est a Ouagadougou qui signifie en mooré (langue locale) : « là où on reçoit des honneurs, du respect ».

 

C’est une demeure simple qui a tout le style d’une maison des grandes familles modestes d’Afrique. Quelques débris dans la cour, des enfants qui révisent leurs leçons au milieu de trois bâtiments. A gauche, la chambre d’étudiant de Thomas Sankara et une autre plus large qu’il occupait à son retour de formation d'officier à l'Académie militaire d'Antsirabe de Madagascar, en 1976. Le plus imposant des bâtiments est une véranda avec un salon en rotin, des photos de la famille au mur et puis d’au moins deux chambres. Seuls les carreaux qui tapissent la véranda témoignent un signe de modernité ici. On se demande bien si c’est la maison familiale d’un ancien Président de la République comparée à celles de nos simples Directeurs de sociétés dans nos pays. Ah oui c’est vrai : « Sankara est mort comme il a vécu, les poches vides » contrairement à nos dirigeants actuels qui se remplissent les poches des maigres ressources de nos pays.

 

C’est son petit frère du nom de Valentin qui nous reçoit. Un moment riche en révélations, en anecdotes et autre histoires diverses (de son enfance jusqu’à sa mort) qui nous permirent de mieux connaître l’homme et surtout de l’admirer davantage. Valentin ne passe pas par le nom de son frère qu’il désigne par « le regretté ». Dès que le nom de Thomas est prononcé, le petit frère commence à s’étouffer et en avoir gros le cœur ; signe que la blessure saigne encore pour ce jeune frère éploré comme pour tout autre Africain qui voit en Thomas Sankara le leader de la révolution Burkinabé, « l’espoir assassiné». Nous ne reviendrons pas maintenant sur les détails de notre discussion.

 

Mais toujours est-il que Thomas Sankara n’était pas un dirigeant qui profitait de sa situation pour se servir. A ma question de savoir ce qu’il fut devenu quand son frère arriva au pouvoir, Valentin me répondit sans aucun regret : «Je suis resté l’agriculteur que j’étais. Ce n’est pas parce qu’on a un frère haut placé qu’il faut vraiment changer de niveau de vie». Ça ne semble pas être dans leur gène familial de partager les biens du Peuple. « Il faut penser aux autres qui n’ont pas de frère » renchérit-il avant de conclure : « Le regretté lui-même nous disait que vous avez compris que je ne suis pas le Président d’une famille Sankara, mais de toute la famille voltaïque (NDLR : à l’époque la Haute Volta n’avait pas encore changé de nom) » Une réponse pleine de sens.

 

Il nous raconte aussi qu’un jour, un dirigeant européen (si ma mémoire est bonne) est venu dans la maison sur invitation du capitaine. Éberlué par l’état modeste de la maison, il s'est demandé si c’est bien ici la maison du Président avant de proposer à Thomas de raser la maison pour construire une autre plus digne, à la hauteur de son statut. Ce qu’il refuse gentiment car il dit vouloir vivre comme le commun des Burkinabè. Décidément, si la loyauté avait un visage au Faso, ce serait certainement la famille Sankara.

 

Après un peu plus d’une courte heure de discussion intéressante, nous prenons congés de notre hôte avant 17 H, l’heure du retour sur Dakar. Quelques heures qui nous permettent de visiter d’autres lieux symboliques de la révolution du 4 août. Une occasion de nous rendre compte qu’aucune structure ne porte son nom ici. Nous terminons par le Conseil de l’Entente où Sankara, le « Che africain », a été assassiné le 15 octobre 1987. Impossible d’y entrer ni même de prendre des images au risque d'y laisser sa vie. C’est une zone de haute surveillance militaire. D’ailleurs, d’après mon guide, plusieurs personnes, qui par curiosité qui pour besoin d’enquête, y ont disparu mystérieusement.

 

Certes, nul n’est parfait et aucune gestion n’est exempte de reproches, mais le Capitaine Thomas Sankara est et restera à jamais le Président burkinabè qui s'est donné corps et âme pour le Tiers monde et plus particulièrement pour son pays. Nous Africains, nous sommes fiers de lui et l'histoire ne l'oubliera jamais tout comme Patrice Lumumba, Amilcar Cabral, Cheikh Anta Diop, Kwamé Nkrumah et d’autres leaders africains dont l’élan visionnaire a été précocement brisé par la puissance impérialiste. Dormez en paix, chers compatriotes !

 

El HADJI DAOUDA DIAW (Sénégal)

www.djoloffactu.com

PS : Ce vendredi 21 décembre 2012, Thomas Sankara devait fêter ses 63 ans.

 

 

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