La jeunesse du Parti de l’indépendance et du travail (Pit) couverait dans les rangs, notamment de ses sections de l’extérieur, une révolte alternative contre sa direction actuelle d’hiérarques vieillissants au passé confus et sans perspective à long terme. Cette dissidence larvée est déclinée sur le mode de la dispute oiseuse de postes politiques et administratives. Elle serait piteuse si elle reste dans les limites étriquées de la politique d’appoint à l’hégémonie de la social-démocratie, du libéralisme et du néolibéralisme. Tout ce qui a fermenté dans la dure lutte du Parti africain de l’indépendance (PAI) depuis le triomphe du néocolonialisme en 1958, a pourri dans sa détermination de se maintenir dans le champ politique sans réussir à adapter la pensée de Marx et de Lénine aux réalités de notre temps et de nos pays et à toutes les sciences exactes ou sociales.

A la période tumultueuse des luttes sociales et politiques déclenchées en mai 1968, lors d’une de ses conférences mémorables, le professeur Babacar Sine avait abordé l’épineuse problématique du rapport du marxisme aux sociétés africaines contemporaines. C’était en 1969, dans la grande salle de la cité universitaire qui servait en même temps de buvette. Toutes les organisations démocratiques et les groupes combattants étaient représentés. Dans la fourchette des inscrits au débat, je me rappelle être intervenu après Omar Blondin Diop et Djibo Ka, entre autres. Avec ma certitude d’adolescent puisée dans mes lectures éclectiques, j’ai cité Frantz Fanon, après avoir décliné que «le marxisme était européocentrique» sous la clameur d’un public à majorité d’étudiants dont à cette époque, je savais que seule une poignée appartenait réellement à une organisation telle que le PAI ou le Parti communiste sénégalais (PCS) dans la clandestinité.

J’étais assis, selon une tradition révolue, entre le conférencier Babacar Sine et le président de séance Maguette Thiam qui me soufflait à l’oreille gauche dans le tumulte qui grondait : «Conclus camarade, conclus ! » Imperturbable, j’allais au bout mon propos : «La grande nuit dans laquelle nous fûmes enfoncés, nous devons la secouer et en sortir… Nous devons développer une pensée neuve pour faire avancer l’humanité d’un cran…» En fait de camarade, l’exemplaire des «Damnés de la Terre» que j’avais lu, avec une reluire originale, faisait partie du lot réservé au comité central du PAI. La clandestinité n’était pas propice à un débat d’orientation, comme l’a souligné un ancien de la section dakaroise établi en Europe qui avait été exclu avec le groupe «antiparti» en 1966 : «Nulle part dans les documents du cinquantenaire du Manifeste, je n’ai vu l’autocritique de nos chefs.» Et en effet, l’occasion était bonne de saisir de cette instance créée par des jeunes militants des divers gauches y compris du PIT.

Le refus des dirigeants du PIT comme de ses divers cadres dissidents de plusieurs générations, de participer au symposium du cinquantenaire, laisse entière la question d’une nouvelle rectification. Les jeunes du PIT de l’extérieur ont-ils la volonté et la capacité de la faire ? Les actes de remise en cause posés par les autres jeunesses dans le Parti socialiste, dans l’AFP et dans Rewmi notamment, ont une intensité plus forte jusqu’ici que dans le PAI où les cadres pourtant étaient autrement plus percutants que partout ailleurs avant la grande saignée. Mais ce parti qui se disait de type nouveau a subi plus que tous les autres les rigueurs de l’Histoire, faite d’une histoire jalonnée d’une indicible tragédie et d’incommensurables sacrifices capitalisés aujourd’hui dans l’opinion sénégalaise en faveur d’un Amath Dansokho tôt parti en exil. Alors que l’ombre de l’ignorance enveloppe ses camarades de la résistance intérieure dirigée par Seydou Cissokho qui ont gagné bien des batailles sociales et perdu toutes les batailles politiques.

L’objectif des jeunes turcs, par delà le rajeunissement de la direction du parti, serait démocratique : s’imposer comme une force politique respectable au lendemain des consultations électorales locales de 2014. Les moyens aussi devraient être démocratiques pour que le déracinement de figures emblématiques des luttes sociales ne cause des lésions douloureuses. Un congrès extraordinaire accepté d’accord parties devrait être la clé de voûte des transformations nécessaires à la remobilisation de la dernière fraction du parti le plus prestigieux de notre pays. Pour cela, ils ne devraient pas ignorer les autres forces politiques dites de gauche susceptibles de cheminer avec eux sur la base d’un programme. Une avancée significative dans ce sens serait de rompre avec cette suffisance du PIT qui lui fait assumer seul l’héritage du PAI historique et qui l’a tenu à l’écart de toutes les tentatives d’unification de la gauche sénégalaise.

Les anciens membres du PAI historique et les membres des organisations issues de ses nombreuses scissions seraient alors interpellés sous l’arbitrage du cinquantenaire du Manifeste du Parti africain de l’indépendance dans la logique de poursuivre ensemble l’idéal de souveraineté nationale et de justice sociale qui ont prévalu à sa naissance. Puisque la tendance du moment semble être le bris de la coalition au pouvoir, la nouvelle force politique qui émergerait d’une tendance inverse de rassemblement, devrait être en mesure de proposer une nouvelle reformulation de l’alliance de gouvernement en termes de programme de développement économique et social pour le prochain quinquennat à finir.